Je ne sais pas comment ça va vous mais moi, pas fort. J’ai été abasourdie pour la soirée du 9 juin. Les résultats des élections européennes ne m’ont sans doute pas complètement étonnée mais pour être honnête, je ne m’attendais pas à un tel score du Rassemblement National. Et je ne m’attendais encore moins à la dissolution de l’Assemblée Nationale quelques minutes plus tard. Ça m’a plongé dans une certaine fébrilité émotionnelle. Il y a deux années, lors des présidentielles, j’avais déjà été traversée par des sentiments forts à l’annonce du résultat du premier tour. C’était ce qu’on appelle de la politico-anxiété.
Cette fois-ci, pas le temps pour ça. Ni une ni deux, le 9 juin au soir, je me suis rendue Place de la République avec un·e ami·e pour exprimer ces émotions qui me mettent en mouvement : ma colère et mon indignation. Ces émotions sont bien différentes de l’angoisse et de la peur. Car c’est dans l’indignation que se forme et s’éduque le désir de justice, d’après Paul Ricoeur.
Ne soyez pas étonné·es en lisant ces lignes. Bien-sûr que mūsae est un média engagé. Comment faire autrement lorsqu’on parle de santé mentale comme enjeu citoyen ? Comment faire autrement lorsque l’on croit à la force du collectif en matière de soins ? Comment faire autrement lorsque l’on fonde un média indépendant? Aujourd’hui, nous sommes nombreux·ses à avoir peur et à être angoissé·es. Je ne vous demande pas de vous mettre en colère, mais de vous poser la question de qu’est-ce que ça changerait pour ma santé mentale si vous votiez pour…
Aujourd’hui à quelques heures du premier tour des élections législatives européennes, pour vous y aider, on vous livre avec Agathe Kupfer, notre analyse des programmes politiques. Et si vous voulez comparer avec les élections présidentielles de 2022, je vous invite à relire ma newsletter de l’époque.
Pour envoyer cette newsletter, nous avons travaillé d’arrache-pied en peu de temps pour vous livrer une vision globale. Alors soyez indulgent·e si tout n’est pas nickel mais soutenez-nous tant qu’il est encore temps. Et bien-sûr, allez donc voter.
PS : pour celleux qui vont nous lire jusqu’au bout, on a un podcast surprise pour vous.
DÉCRYPTAGE DES PROGRAMMES
En préambule, je voudrais rappeler ici mon point de vue sur la santé mentale. Il est holistique et systémique.
Qu’est-ce que ça veut dire ? Et bien que je considère que la santé mentale se lit bien-sûr à travers le prisme médical (suivi psychiatrique et psychologique, accès aux soins et aux établissements médicaux) mais aussi à travers le prisme sociétal. Notre psychique se construit dans une discussion permanente avec le monde extérieur. Le système éducatif, les relations affectives, le travail, l’engagement, le sport, la culture ont toutes un impact sur notre manière de nous sentir… Je le dis souvent :”la santé mentale est à l’interstice de tous nos pans de vie”.
C’est donc avec ce point de vue en tête que nous avons analysé, avec Agathe, les programmes, les votes, et les prises de parole sur la santé lors des mandats précédents. Et pas uniquement la santé mentale. Car sinon, je suis désolée de vous le dire, cette newsletter s’arrêterait là dans la mesure où le terme n’est pas du tout évoqué dans les programmes des législatives, par aucun des partis politiques. Nous avons donc fléché plusieurs enjeux à analyser :
D’un point de vue de la méthode, toutes nos sources sont ici :
ON DÉBRIEFFE LES EUROPÉENNES
Rappelons-nous que les élections législatives anticipées s’inscrivent dans un contexte : les élections européennes. Que s’est-il passé depuis le 9 juin du côté de l’Union Européenne pour la santé ? Et bien pas grand-chose. Dans son rapport en date du 12 juin 2024 qui donne les grandes lignes directrices des années à venir, le Parlement européen mentionne tout juste le secteur de la santé comme étant sensible. Aussi, le budget du programme EU4Health a fondu comme neige au soleil. Pour info, c’est ce dispositif qui avait été adopté en réaction à la pandémie de COVID-19 pour mieux préparer l’UE aux crises. Vous l’aurez compris, la santé n’est pas un objectif prioritaire du côté de l’Union Européenne. Et je doute que cela change avec la nouvelle présidence de la Commission européenne de la Hongrie qui commence lundi 1er juillet pour 6 mois. Le pays est dirigé depuis plusieurs années par Viktor Orban appartenant au Fidesz, un parti politique hongrois d’extrême droite, national-conservateur et populiste. Les copains du RN en somme qui ont fait beaucoup de mal à la santé et aux droits des populations vulnérables, comme en Italie ou en Pologne. Plus d’infos ici. Ambiance…
ENSEMBLE
Cette partie est naturellement plus développée car nous avons analysé les mandats précédents du parti présidentiel et ne nous sommes pas cantonnées au programme pour les élections législatives. Le précédent mandat présidentiel a été marqué par la pandémie de COVID-19 creusant les inégalités sociales et faisant émerger de fait le sujet de la santé mentale. C’est à ce moment là que mūsae a vu le jour. Dès 2021, nous parlions de la détresse psychologique des étudiant·es, des personnes vivant dans les déserts médicaux, ou encore des personnes en situation de précarité en proie aux addictions. Face à cette situation d’extrême urgence psychologique, des dispositions ont été prises “quoi qu’il en coûte” pour améliorer ou accélérer l’accès aux soins notamment à l’occasion des Assises de la santé mentale en septembre 2021 avec :
Le remboursement des soins avec la création du dispositif Mon Psy avec sa V2 Depuis le 14 juin, elle permettra d’améliorer les remboursements des séances de psy (12 séances vs 8 initialement + remboursement à 50 euros par séance vs 30 euros initialement et sans besoin de passer par son médecin généraliste auparavant). On le rappelle, la première version du dispositif était pratiquée par seulement 5% des psy car les conditions d’accès au dispositif ne rejoignaient pas du tout la réalité d’un suivi thérapeutique.
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L’action 31 de la feuille de route psychiatrie et santé mentale impulsant un programme et équipement prioritaire pour la recherche de 80 millions d’euros focalisé sur les quatre troubles les plus invalidants : les troubles bipolaires, dépressifs majeurs, schizophrènes et ceux du spectre de l’autisme.
Cette vision ne facilite pas non plus l’accès aux soins pour les personnes qui sont en “fracture thérapeutique”. C’est un terme que je viens d’inventer, oui oui. Il décrit le besoin de contacts humains et de lien social pour les personnes en situation de grande vulnérabilité psychologique et pour qui la santé mentale est encore taboue et/ou inaccessible (financièrement et socialement). Exemples
Mais peut-être que la complémentaire santé à un 1euro par jour, annoncée dans le programme des législatives, pourrait enrayer ce manque d’accessibilité terrain. Il faudrait bien sûr que les soins en santé mentale soient inclus dans l’assiette de remboursement. Rien n’est moins sûr mais pourquoi pas avoir de l’espoir 😉 Celle-ci s’adresserait ainsi aux 3 millions de retraité·es, étudiant·es, indépendant·es, demandeur·ses d’emploi qui aujourd’hui n’ont pas de mutuelle privée et sont au-dessus du seuil pour bénéficier de la Complémentaire santé solidaire.
SUJETS SOCIÉTAUX
L’analyse de la rédaction
LES RÉPUBLICAINS
Les Républicains, de leur côté, souhaitent selon nos informations « reformer en profondeur la santé », mais ne précisent pas comment, hormis un vaste plan de décentralisation qui peut avoir son avantage pour être au plus proches des usager·es.
ACCÈS AUX SOINS
- AME : Ce sont les sénateurs Républicains qui avaient introduit un amendement visant à transformer l’AME en aide médicale urgence lors de l’étude de la loi immigration en novembre 2023.
- Le parti avait déposé une proposition de résolution à l’Assemblée nationale en juin 2023 appelant le gouvernement à répondre aux “besoins urgents” concernant les troubles psychiatriques et pédopsychiatriques. Les député·es demandaient notamment d’investir massivement dans la recherche pour la santé mentale.
- Faire de la psychiatrie une grande cause nationale.
- Le parti veut favoriser l’installation de médecins « là où il n’y en a pas », sans indiquer par quels moyens (incitations financières, fiscales).
SUJETS SOCIÉTAUX : pas d’approche.
Analyses de la rédaction :
- Une envie de décentralisation sans plan d’actions précis qui n’impulse pas de vision globale et donne le sentiment de “refiler la patate chaude” aux territoires
- Une vision intéressante sur le plan de psychiatrie pour les enfants mais qui occulte les autres tranches d’âges.
- Pas d’approche sociétale de la santé mentale.
NOUVEAU FRONT POPULAIRE
Le Nouveau Front populaire n’a pas non plus de rubrique spécifiquement dédiée à la santé mentale, ni de vision d’ensemble d’une politique de santé publique. Mais on peut noter une mesure forte concernant la sauvegarde de l’hôpital public.
ACCÈS AUX SOINS
- Focus Sauvetage de l’hôpital public (dans les 15 jours suivant les résultats des législatives et faire une grande loi santé pour éviter sa saturation pendant l’été, proposer la revalorisation du travail de nuit et du week-end pour ses personnels)
- Réguler l’installation des médecins généralistes dans les déserts médicaux et rétablir des permanences de soin des soignants libéraux dans les centres de santé. Cette proposition concerne essentiellement les médecins généralistes, sage femmes et chirurgien·nes dentistes.
- Revalorisation des métiers et des salaires du secteur du soin. Plan non chiffré.
- Renforcer les réseaux CMPP mais sans précisions sur le mode opératoire.
- Élargir le remboursement des soins de l’AME.
- « Remettre à plat » les aides aux entreprises santé pour que « l’aide aille aux entreprises qui en ont besoin » avec un « financement à 0 %, voire à taux négatif, de leurs investissements ».
SUJETS SOCIÉTAUX
- Éducation nationale :
- Investir dans le bien-être des enfants et des adolescent·es à l’école en créant un service public d’accompagnement des élèves en situation de handicap, en formant et titularisant les actuelles accompagnantes d’élèves en situation de handicap (AESH).
- Développement du sport : Quatre heures de sport hebdomadaires dans toutes les écoles primaires.
- Renforcement de la médecine scolaire.
- Des plans interministériels pour prévenir et lutter contre l’antisémitisme et contre l’islamophobie à l’école mais pas de mention explicite sur le harcèlement scolaire.
- Travail
- Adopter un plan d’action « zéro mort au travail » avec mise à jour du tableau des maladies professionnelles en intégrant notamment le burn-out.
- Créer un congé menstruel dans les entreprises et administrations.
- Prise en charge du handicap psychique et troubles du neuro-développement.
- Drogues/alcool :
- Développer un plan de lutte contre les addictions au cannabis essentiellement grâce aux recettes des taxes sur le cannabis (dans le cas d’une légalisation on imagine mais ce n’est pas précisé).
- Minorités de genre et racisées
- Mettre en œuvre un plan d’éradication des violences à l’encontre des personnes LGBTQIA+.
- Violences sexistes et sexuelles : réponse à une attente de nombreuses associations féministes et personnalités sur le modèle de la loi “Solo si es si ”, adoptée en Espagne en 2022. Cette “loi intégrale” viserait à clarifier, entre autres, la définition du “viol” et du “consentement” etd’introduire celle d »inceste”. Il s’agirait notamment d’inclure la notion de consentement dans la définition du viol. Attention néanmoins la loi espagnole a eu tendance à diminuer les peines pour les viols requalifiés en agressions sexuelles. https://comparateur.nosservicespublics.fr/justice/violences-sexistes/NFP
Analyse de la rédaction :
- Un plan essentiel de sauvetage de l’hôpital public.
- Une réelle prise en compte des populations vulnérables (minorités de genres, minorités racisées, jeunes, seniors).
- Un réel manque d’échéances et d’indicateurs précis sur la mise en œuvre des mesures.
- Pas de prise en compte à proprement parler de la notion de santé mentale dans le programme.
LE RASSEMBLEMENT NATIONAL
4 mesures d’urgence seraient mises à l’honneur et activées d’ici à l’automne si le parti remporte les législatives dont fait partie la “qualité de vie” englobant la santé.
ACCÈS AUX SOINS
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- Remplacement de l’Aide Médicale d’Etat par une Aide d’Urgence Vitale. Cette mesure va à l’encontre des principes éthiques et humanitaires de notre Constitution de 19461 ainsi que de La Convention européenne des droits de l’homme :
- Les hôpitaux publics et privés doivent prendre les précautions nécessaires pour protéger la vie des patients (y compris les étrangers en situation irrégulière) ;
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- L’expulsion d’un étranger atteint d’une maladie grave vers un pays où les moyens de traitement sont inférieurs à ceux disponibles ne peut porter atteinte à l’article n° 3 que dans des cas très exceptionnels qui est censé secourir toutes personnes en risque”.Par ailleurs, dans le quotidien des soignant·es comment définir une urgence vitale ? Très bonne question !
- Priorité des soins aux Français·es pur souches. C’est en totale opposition avec le Serment d’Hippocrate.
- Suppression des Agences régionales de santé (ARS) remplacées par les préfets, ce qui revient à voir l’accès au soin par le prisme de la sécurité et de l’ordre public. On vous en parlait au tout début de mūsae, c’est précisément pour cette raison que la santé mentale est restée taboue pendant très longtemps. Je vous invite à relire cet article.
SUJETS SOCIÉTAUX
- Éducation :
- Systématiser les visites médicales scolaires – sans en préciser les modalités, le nombre de médecins scolaires étant en baisse continue depuis plusieurs années.
- Promouvoir la sanction et l’autorité contre toute forme d’empathie.
- Minorités de genre et racisées :
- Violences Sexistes et Sexuelles (VSS) : Le RN relie la problématique des violences sexistes et sexuelles en rejetant toute la faute sur la politique migratoire en oubliant que 75% des victimes de VSS connaissent leurs agresseurs. Il n’y a pas de mesure précise dans leur programme pour les législatives.
- Reconnaissance de l’endométriose comme affection longue durée.
Analyse de la rédaction :
Nous sommes nombreux·ses à nous être mobilisé·es pour résister au RN. Ce podcast en fait partie. Avec Double Dibondo, Samah Karaki et Claire Touzard qui anime ce talk, nous avons voulu vous proposer ce podcast pour expliquer en quoi la santé mentale est politique et que ce qui se joue actuellement est majeur pour ce combat mais aussi pour la justice sociale.