L’argent est un marqueur social. Il influence l’accès aux ressources, le niveau de vie, la réputation sociale, l’éducation et les opportunités professionnelles. Ce sont autant d’éléments qui ont un impact sur le bien-être mental, tant par les zones d’incertitudes et de manque d’accès aux soins qu’ils engendrent. La pandémie a eu des répercussions structurantes sur la santé mentale des étudiant·es et plus spécifiquement sûr ceux étant déjà en situation de précarité. Les chiffres illustrent eux-mêmes ce propos car l’on observe une significative dégradation de la santé mentale des jeunes en moins d’une décennie. D’après les données de Santé Publique France, les 18-24 ans étaient 20,8 % à être concernés par la dépression en 2021, contre 11,7 % en 2017.
Durant cette période de Covid-19 charnière, qui symbolise également le lancement de mūsae, nous avions organisé un live avec Laure Elisabeth Roussel, hypnothérapeute et Patrick Skehan, fondateur et directeur général de Nightline France à l’époque, pour discuter des enjeux autour de cette “jeunesse brisée”. « Quand on parle d’anxiété, on parle de quelque chose de généralisé comme si c’était une couleur latente, une sensation d’être en danger un peu permanent », affirmait Laure Elisabeth Roussel.
C’est justement cette sensation de danger et de solitude extrême qui a poussé le journaliste Hugo Clément a réalisé un documentaire sur la précarité étudiante au début de l’année 2021, afin de tirer la sonnette d’alarme sur le mal-être des jeunes.
L’ANGOISSE DE LA PRÉCARITÉ
La précarisation de la jeunesse a des conséquences significatives sur le bien-être psychologique. Les jeunes qui subissent des problèmes liés au chômage, à l’instabilité financière ou l’insécurité du logement se voient malgré eux sacrifier leur santé mentale pour leur avenir. L’incertitude constante génère un degré de stress permanent qui libère de l’adrénaline et une dépense énergétique accrue, contribuant à la fatigue. Quand on est stressé pendant longtemps, le corps libère également une hormone appelée cortisol. Si le cortisol est élevé pendant un moment, cela peut perturber notre sommeil, provoquer des problèmes comme l’insomnie, et rendre notre repos moins réparateur, donc nous rendre fatigués. C’est d’ailleurs un sujet que nous avions traité lors de notre passage au festival Pop&Psy autour d’une table ronde avec Popslay et Antoine Pelissolo.
Dans la thématique de la santé mentale liée à la précarité étudiante, je reste encore chamboulée par l’exemple d’Anas Kournif (dont on peut entendre le témoignage dans le reportage cité au-dessus), 22 ans en 2019, qui s’est immolé par le feu devant le Crous de Lyon. Le jeune homme a justifié son geste désespéré et politique par la perte de sa bourse, suite à son troisième échec scolaire en deuxième année de licence en sciences politiques. Un acte dur, fort et particulièrement poignant qui a eu l’effet d’une bombe à l’époque. De nombreuses manifestations avaient lieu à travers le pays, relançant les débats autour de cette problématique.
1 étudiant·e sur 5 ne mange pas à sa faim.
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Travailler en tant qu’étudiant·e précaire, tout en poursuivant ses études intensifie drastiquement la fatigue déjà présente. La pression financière accrue, les horaires chargés, et l’équilibre à trouver entre le travail et les cours peuvent créer une charge mentale particulièrement difficile à supporter.
Devoir remettre en question la continuité de ses études à cause de la précarité, tout en ayant peur d’être d’autant plus précaire dans le futur, faute d’avoir suivi un cursus qui nous amène à atteindre nos objectifs financiers est la pensée qui aboutit le mieux à la théorie du serpent qui se mord la queue. Et la machine est déjà enclenchée. Dans un article d’Egora, on pouvait lire que d’après une étude, plus de 42% des étudiant·es hospitaliers ont pensé à arrêter les cours soit plus de quatre sur dix, justement à cause de cette problématique et que 30% des étudiants dénoncent les conséquences de la précarité financière sur leur formation : rattrapages, redoublements, difficulté d’assister aux cours, etc.
De plus en plus de personnes prennent la parole à ce sujet sur les réseaux sociaux. L’exemple de Maëlle, 20 ans en 2022, étudiante boursière en quatrième année de double diplôme franco-allemand à Sciences Po, qui témoignait sur Tiktok des grandes difficultés qu’elle rencontrait entre ses études et son job étudiant·e. « Je travaille… Je galère à faire des études. Et je ne suis pas censée autant galérer juste parce que mes parents n’ont pas de moyens”, confiait-elle, en larmes. Cette jeune fille est le reflet d’une génération connectée, qui communique plus facilement, notamment par le biais des réseaux sociaux qui deviennent des outils de correspondance où les gens peuvent librement échanger et partager sûr des expériences similaires.
Bien qu’ils soient souvent critiqués pour leur caractère addictif ou la manière dont ils peuvent renforcer l’isolement, ils jouent parfois un rôle bénéfique, comme c’est le cas pour Maëlle : après le succès de sa vidéo, une étudiante a ouvert une cagnotte pour elle qui a récolté plus de 14 000 euros.
ISOLEMENT SOCIAL
La Tribune confiait que 76% des étudiant·es ont un « reste à vivre » de moins de 100 euros par mois, soit l’équivalent de 3,33 euros par jour, une fois leurs factures payées. Moins de cinq euros par jour pour vivre ou plutôt survivre, dans la période que nos ainé·es n’ont eu de cesse d’appeler « les plus belles années de notre vie. » Je crois sincèrement que cette phrase peut s’avérer culpabilisante et que pour beaucoup d’entre nous, c’est loin d’être la meilleure des décennies.
Cette nouvelle génération particulièrement encline à la déprime est un sujet à part entière. Dans un article de The Conversation nommé « Et si la solitude était le véritable mal du siècle ? », il est souligné la différence entre la solitude choisie et subie. La conclusion est profondément juste ; « Et c’est ainsi que l’individu, jadis triomphant, voit sa propre quête de gloire se refermer sur lui comme un carcan oppressant, l’entraînant irrémédiablement à se draper dans le terrible linceul de la solitude. »
Comme j’en parlais précédemment, cette solitude chez les plus jeunes s’est largement accrue pendant et après la période du Covid-19. De nombreux événements sociaux et culturels tels que les fêtes, les cérémonies de remise des diplômes, les concerts, les événements sportifs, les expositions ou encore les festivals ont été annulés ou reportés, ce qui a privé de moments de partage et de rencontre importants. Ce sont en effet des éléments structurants, car c’est en grande partie dans cette tranche d’âge que se font les premières rencontres professionnelles et personnelles importantes de nos vies.
LES LUMIÈRES AU BOUT DU TUNNEL
Malgré cet amas de nuages noirs, je l’entends, que représente pour l’instant cet article, il faut garder en tête que la jeunesse est la clé du futur. C’est pourquoi il est primordial pour l’ensemble de la société de tout mettre en œuvre afin de lui permettre de s’épanouir dans les meilleures conditions possibles, et ça passe en premier temps par un contexte sain durant les études. Dans ce sens, il ne faut pas nier qu’il y a de plus en plus d’actions réalisées en vue de soutenir les étudiant·es.
Sur le site de Campus Matin, on peut également lire que le coût de la restauration et celui du logement (des résidences du Crous) vont être réduits, et que l’Etat a également plafonné à 3,5 % la hausse des charges répercutable aux locataires dans ces mêmes résidences.
Mais comme souvent, dans la générosité, c’est l’arbre qui cache la forêt. En effet, les acteurs de l’ombre agissent tout autant à leur échelle envers la précarité étudiante. J’avais justement écrit un article en 2021 pour le média Le Type à propos de la précarité étudiante bordelaise et d’une compilation musicale numérique qui avait été mise en place par une petite association culturelle afin de récolter des fonds.
Encore récemment, on voit de plus en plus de personnes offrants bénévolement leur aide, comme c’est le cas de Jean-François dans un article de Ouest France, un simple habitant du quartier du Cap-Horn qui s’est proposé de faire à manger gratuitement aux jeunes dans le besoin. Autre exemple moins récent mais tout aussi impactant ; à Pau, des centaines de familles ont accueilli des étudiant·es pour des repas au sein même de leur habitat, afin de leur fournir de quoi manger et surtout un peu de compagnie.
Et parce que la précarité touche aussi particulièrement la santé mentale des étudiant·es, des aides d’ordre psychologique ont également été mises en place. Le dispositif Santé Psy Étudiant a été instauré durant la pandémie du Covid-19. Il vise à faciliter l’accès à des consultations psychologiques en offrant un remboursement partiel des séances chez un psychologue libéral. Les étudiant·es doivent en premier temps consulter un médecin (généraliste ou auprès du Service de Santé de leur université) qui peut ainsi prescrire jusqu’à huit séances offertes. Qu’on soit clairs, c’est une mise en place que l’on peut considérer comme relativement timide, car elle est loin d’être suffisante et qu’un suivi psychologique soutenu se fait dans le temps. C’est simplement une aide que je mentionne, car cela peut néanmoins s’avérer utile pour certaines personnes.
Il existe également Nightline, un service d’écoute totalement gratuit, fait par des étudiant·es, pour des étudiant·es, ouverte tous les soirs dès 20h30 et jusqu’à 2h30, 7 jours sur 7. L’association propose également un accompagnement dans les démarches de recherche de soutien psy ainsi qu’un kit de vie pour prendre soin de sa santé mentale et de celle de ses proches. De notre côté, nous avons mis en place depuis janvier le Safe Space mūsae : un espace dédié aux membres de notre communauté avec deux abonnements. En collaboration avec des chercheur·ses dont Astrid Chevance de Compare Dépression et Mickael Worms-Ehrminger, nous partageons des newsletters sur des thématiques ciblés afin de toujours mieux informer et comprendre les rouages de la santé mentale de manière accessible.
À titre personnel, je crois sincèrement à la bienveillance collective à l’égard des étudiant·es mais je pense qu’il est toujours possible d’en faire davantage. Je constate surtout que comme dans la majorité des cas, l’ensemble des problématiques de santé mentale concernent en priorité les personnes dites vulnérables telles que les étudiant·es, mais aussi les minorités de genre et racisées, les personnes âgées, en situation de handicap, etc. Il est primordial, surtout de nos jours où la crise en France frappe de plein fouet les plus précaires, de continuer à les soutenir, car parmi eux, il y a les adultes de demain. Mais ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui, The Kids Aren’t Alright.
Une organisation caritative dédiée à apporter son soutien aux étudiant·es confrontés à des difficultés financières. Elle s’engage dans une gamme d’initiatives, telles que la distribution de colis alimentaires, de kits d’hygiène, ainsi que la livraison de provisions, en région parisienne et dans d’autres régions de la France.
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