Parler de santé mentale est un enjeu sociétal très récent, et c’est valable également sur la pellicule. L’un des premiers films à avoir abordé le sujet est très certainement Psychose, réalisé par Alfred Hitchcock en 1960. Un film d’horreur devenu culte, basé sur le roman du même nom de Robert Bloch. Le film, à sa sortie, choque en premier temps par sa violence (qui n’était pas monnaie courante à l’époque dans les films grand public), mais surtout, et l’on s’en rend davantage compte de nos jours, car il était l’un des premiers à explorer les thèmes de la noirceur interne, du subconscient, de la folie, de la perversité, des névroses, en bref, de la psychologie humaine.
Plus récemment, prenons le cas du dernier Joker, sorti en 2019. Son récit porte sur la transformation d’Arthur Fleck, un individu méprisé et incompris, sujet à de divers troubles psychiatriques et neurologiques, atteint de dépression, de délires et d’hallucinations et d’un trouble de la personnalité antisocial (que l’on appelle également une sociopathie). Ce dernier voit brusquement l’arrêt de son suivi médical assuré par les services sociaux et se retrouve ainsi seul, confronté à lui-même et à une société qui le repousse car elle ne le comprend pas. Un constat pour le moins bien ancré avec la réalité.
Toutefois, son quotidien particulièrement terne et morose à Gotham City, en marge de la société, renforce le stéréotype du lien entre la marginalisation sociale et les problèmes de santé mentale. En effet, le Joker incarne le marginal social et soutient la pensée collective que la santé mentale ne concerne que les personnes hors normes, alors qu’elle touche littéralement tout le monde.
Autre exemple avec Split. Le film a été critiqué sur sa représentation spectaculaire de la dissociation de l’identité, une condition psychiatrique rare. En effet, 1 à 3% de la population mondiale serait touchée par ces troubles dissociatifs de l’identité.
En focalisant sur le personnage principal, qui présente ce que l’on appelait aussi autrefois un « trouble de personnalité multiple », le film simplifie et apporte une image à la fois dramatique et horrifique sur la complexité des maladies mentales. Pour cause, Kevin, le protagoniste, est littéralement un·e meurtrier·e.
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vit avec un trouble mental dans le monde.
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RESPONSABILITÉ SOCIALE DU 7ÈME ART
Cette approche réductrice renforce une nouvelle fois le stigmate en associant la maladie mentale à la violence et à la dangerosité. En mettant l’accent sur l’aspect sensationnel plutôt que sur la réalité des personnes vivant avec des troubles mentaux, le film contribue à perpétuer des clichés négatifs. Le cinéma a une responsabilité sociale, et la représentation biaisée de la maladie mentale dans ce film entretient les perceptions faussées du public et renforce les préjugés préexistants.
Le fond du problème, c’est que lorsque nous allons voir ces films, ce n’est généralement ni explicite dans la bande-annonce, ni dans le résumé et encore moins dans les discussions post-visionnage, que ces productions traitent de la santé mentale. Ce que nous retenons essentiellement, c’est l’intrigue du film. Et si le héros (ou plutôt l’antihéros) est atteint d’une pathologie mentale, cela va forcément tourner au sensationnalisme, voire à l’horrifique, afin de maintenir le spectateur en haleine. Ces films sont faits avant tout pour générer un très grand nombre d’entrées et la santé mentale reste encore très méconnue, surtout auprès des grandes productions pour qui faire passer un message sincère et authentique n’est clairement pas la priorité. Et il ne faut pas oublier que le sujet de la santé mentale est encore très récent, donc peu maîtrisé.
Dans l’émission France Inter « Grand Bien Vous Fasse », le professeur Jean Victor Blanc a pris la parole à ce sujet en expliquant que « Si le cinéma est un très bon support pour traduire une certaine réalité du quotidien des personnes atteintes de troubles mentaux ou psychiques, il continue toutefois à nourrir de nombreux préjugés sur la schizophrénie ou encore la bipolarité ». Comme c’est le cas de manière générale dans le milieu créatif.
Un constat pour le moins contradictoire, quand nous savons qu’en 2022, une personne sur huit dans le monde vivait avec un trouble mental.
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Et cette stigmatisation ne date pas d’hier. En 1975 sortait Vol au Dessus d’un Nid de Coucou. Le héros du film, Randle P. McMurphy, brillamment interprété par Jack Nicholson, est transféré dans un hôpital psychiatrique après avoir simulé la folie pour échapper à la prison. Rien qu’ici, une nouvelle fois, s’évertue un lien entre la prison, qui représente indéniablement la notion du mal, du défectueux, du délit et l’hôpital psychiatrique, considérés tous deux ici comme la peste ou le choléra.
Une représentation pour le moins élémentaire, qui fait écho aux travaux de Michel Foucault qui réduit l’être humain à sa condition physique et qui n’aurait qu’une place mécanique, rudimentaire dans la société. « L’usine, l’école, la prison ou les hôpitaux ont pour objectif de lier l’individu à un processus de production, de formation ou de correction des producteurs ».
Pour le citer une deuxième fois, Jean Victor Blanc a écrit le livre Pop & Psy dans lequel il décrypte des œuvres cinématographiques et des séries qui colportent des clichés sur la santé mentale. Il raconte « un·e jeune patient·e, qui avait moins de 20 ans, est venu·e pour une crise suicidaire aux urgences. Je lui propose une hospitalisation dans notre service à l’hôpital Saint-Antoine. C’est un hôpital général, c’est-à-dire qu’il y a un service de psychiatrie mais à l’étage au-dessus, c’est de la cardio, en dessous de l’hématologie. Donc on est vraiment loin d’un hôpital psychiatrique. Je lui propose une hospitalisation dans le service et i·el me dit « non, je ne veux pas me retrouver dans le film avec Jack Nicholson ». Je me suis dit « c’est fou que quelqu’un de moins de 20 ans cite ce film-là. Ce film, c’est vraiment un traumatisme pour les malades et il continue d’alimenter les clichés. Bien évidemment, l’idée n’est pas de dire qu’il faut le censurer ou le canceller. C’est un beau film, qui a plusieurs sens. Ce que je regrette par contre, en tant que jeune psychiatre, c’est qu’il a longtemps été la seule référence quand on parlait de santé mentale. »
La pop culture a donc poussé davantage à la marginalisation du thème de la santé mentale à cause du manque de représentation positive.
DÉCONSTRUIRE LES STÉRÉOTYPES
Toutefois, l’époque actuelle ouvre les mœurs sur grand nombre de sujets autrefois tabous comme notamment la santé mentale. Cela naît d’une sensibilisation plus approfondie, alimentée par davantage de prévention, de nouveaux médias sur le sujet qui donnent la parole à des personnalités, publiques ou non, concernées par cette thématique et qui, par le biais de témoignages intimes, permettent justement au public de ne plus se sentir seul·es.
C’est en partie grâce à ces prises de paroles que nous voyons aujourd’hui de plus en plus de films aborder la santé mentale. Je pense par exemple au film Les Intranquilles, sorti en 2021 et réalisé par Joachim Lafosse, qui traite de la bipolarité, et qui nous offre une vue d’ensemble sur les ravages que ce trouble peut causer sur la famille, la parentalité, l’enfance. Le réalisateur maîtrise parfaitement son sujet, ayant lui-même même un père concerné par ce trouble.
Les scènes de crises sont intenses mais nécessaire et toujours juste. Le message essentiel du film est compris ; vivre avec quelqu’un atteint de bipolarité est un combat quotidien, pour la personne concernée autant que pour ses proches.
Dans le même esprit, on pourrait également citer The Father. Ce film qui a vu le jour durant l’année Covid est une véritable expérience cinématographique, d’une part, parce qu’il nous plonge dans la tête d’Anthony, atteint d’Alzheimer et consciemment interprété par Anthony Hopkins. Cela induit le·a spectateur·rice à ressentir les effets de la maladie et la manière dont la personne atteinte peut les interpréter.
Ce que nous observons une nouvelle fois, ce sont les répercussions sur l’entourage. Olivia Colman, qui joue le rôle de sa fille, nous offre une prestation poignante sur les sentiments de peur, d’échec, de résilience et d’acceptation de la perte mentale d’un proche. C’est un processus de deuil à la fois très différent de celui de la perte physique de quelqu’un, mais à la fois très similaire.
Et puis, je ne pouvais pas ne pas citer To The Bone, un film qui aborde la santé mentale sous le prisme des troubles de conduites alimentaires et de l’anorexie mentale. À ce sujet, nous allons d’ailleurs lancer dans notre safe place une newsletter sur les TCA, écrite par Mickael Ehrminger, en abordant des questions telles que le manque de prise en charge, les remarques des proches, le fait de devoir le cacher aux autres ou encore les dépenses associées.
Cette histoire est portée par Lily Collins dans la peau d’Ellen qui, souffrant de ces troubles, rejoint un programme de traitement. Le film a vu le jour en 2017 et offre une perspective déchirante mais réelle sur les complexes des troubles alimentaires comme l’anorexie mentale, d’autant plus quand on sait que l’actrice a elle-même souffert de ces troubles.
Le long-métrage aborde les pressions sociales, familiales et culturelles qui peuvent alimenter l’accroissement de ces troubles et analyse également la recherche d’identité, l’estime de soi et les diverses approches de traitement utilisées pour les traiter.
Ces acteur·ices représentent une nouvelle génération plus en phase avec la santé mentale car étant eux-mêmes concerné·es, c’est sûrement l’une des raisons pour lesquelles iels ont été choisis dans ces rôles, vecteurs de messages forts. Mais ce ne sont pas les seul·es. De plus en plus de personnalités publiques, dont des acteur·ices, mettent en avant des problématiques autour de la santé mentale. Je pense notamment à Tom Holland, Selena Gomez, Bradley Cooper ou Lady Gaga qui ont plusieurs fois pris la parole sur le sujet, eux-mêmes touchés par certaines pathologies qui se sont parfois accentuées à cause du système du show-business.
Nous comprenons ainsi que le cinéma a un rôle plus que déterminant dans les projections sociales sur la santé mentale. C’est pourquoi il est déterminant que davantage de films, plus enclins à la réalité, continuent de voir le jour. Dernièrement, on peut souligner la série française Mental, disponible sur Netflix, qui traite de la subtilité des troubles schizophrènes, bipolaires chez les adolescent·es et leur quotidien au sein d’une clinique pédopsychiatrique.
Cette année également, le cinéaste suédois Paul Jerndal, fervent défenseur de la santé mentale dans son art, a été proclamé vainqueur cette année lors du festival du film « Santé pour tous » 2023 dans la catégorie « Très courts métrages » pour sa création Mirrors.
“Par le biais du cinéma, nous avons le pouvoir de mettre en lumière les complexités des troubles de santé mentale, d’entamer des conversations constructives et de contribuer à la déstigmatisation des problèmes auxquels d’innombrables personnes sont confrontées” a exprimé le réalisateur.
Aujourd’hui, tout l’enjeu du 7e art est de rester dans cette perspective de visibilité et surtout de crédibilité sur les troubles psychiques. Il serait néanmoins utopique et surtout hors sujet d’attendre que le cinéma de fiction bascule dans le documentaire, car ce n’est pas son rôle. La fiction se doit d’être présente, c’est aussi pour cela que l’on apprécie un film comme une distraction, car il sort de notre quotidien. Toutefois, il est crucial de ne plus banaliser la souffrance mentale, ou même encore de tomber dans la glamourisation.
Je clôturerai cette newsletter avec une dernière recommandation cinématographique qui allie justement fiction et représentation avec À la folie d’Audrey Estrougo, un film dramatique sorti en 2022 sur deux sœurs qui se retrouvent pour un événement, et dont l’une souffre de schizophrénie. En cette période de fêtes, cela peut être louable de rappeler qu’autour de la table, entre la dinde et le saumon fumé, il y’a certainement un oncle ou une cousine qui peut être concerné par ce sujet.
Un court métrage produit par la société de production audio-visuelle Partizan, écrit et dirigé par Sharif Abd El Mawla et porté par la musique « Who Are You Running From » de Sevdaliza sur le thème de la schizophrénie et du suicide.
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