LA LECTURE DANS L’ACCOMPAGNEMENT DU DÉVELOPPEMENT HUMAIN
On situe le début du processus d’apprentissage de lecture à partir de l’âge de 4/5 ans. C’est une partie intégrante du passage à l’école. Les enfants commencent à énumérer leurs premières syllabes, afin de former leurs premiers mots, leurs premières phrases. Puis une fois que s’est installée la compréhension en lecture, c’est le moment de lire des histoires et de les comprendre. Les livres pour enfants sont constitués de textes courts et d’images, afin de stimuler leur imagination.
Cette imagination va nous suivre dans notre évolution tout le long de notre vie. Elle sera nourrie par différents facteurs, comme des moments que l’on a vécus, mais également par le biais de la culture ; le cinéma, la photographie, la musique, la peinture, et notamment, la lecture.
La lecture est bien souvent une habitude que l’on prend dès le plus jeune âge, comme la pratique d’un sport. D’ailleurs, cette comparaison est plus que fondée quand on sait qu’il est vivement conseillé d’entraîner son cerveau comme un muscle afin de travailler ses neurones. Parmi les « exercices mentaux » que l’on préconise, il y a la lecture. Celle-ci permettrait en effet d’augmenter sa concentration, de développer un esprit plus créatif, et même de préserver notre cerveau des effets du vieillissement. D’après une étude publiée par la revue scientifique Neurlogy en 2013, « lire des livres, écrire et s’engager dans d’autres activités stimulantes pour le cerveau ralentit le déclin cognitif dû au vieillissement, indépendamment des maladies neurodégénératives liées à l’âge ».
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Outre les bienfaits évidents de lire, il y a aussi un vrai enjeu sociétal : lire représente l’émancipation mentale, l’ouverture d’esprit, la curiosité intellectuelle, la soif de culture générale. Cet aspect peut gêner celles·eux qui souhaiteraient s’initier davantage à la lecture, mais qui ne se sentent pas légitimes de le faire, notamment par peur de ne pas être à la hauteur de certaines lectures ou de ne pas avoir le bagage culturel nécessaire.
Pourtant, il existe bel et bien des ouvrages considérés comme primordiaux dans l’accomplissement de l’être humain à des étapes cruciales de la vie. L’Étranger d’Albert Camus en fait partie. C’est un roman qui se base sur le cheminement mental de Marsault, un condamné à mort. On le suit ainsi dans son parcours spirituel ; le questionnement face à sa situation, le décorticage des événements, l’analyse, puis la résilience. C’est une vraie réflexion sur l’existence et la mort, qui nous touche tous·tes de près comme de loin. Ce récit à la première personne nous induit implicitement à nous mettre à la place du personnage et à développer une certaine forme d’empathie, surtout si l’histoire explore sa vie antérieure.
J’ai longtemps été terrifiée par les araignées. TERRIFIÉE. Vraies ou fausses, petites ou grosses. À un stade handicapant. À être prête à dormir dans la voiture parce qu’il y en a une dans la chambre d’hôtel et qu’elle a disparu avant qu’on (sous-entendu « quelqu’un d’autre que moi ») s’en débarrasse. Et puis, j’ai eu un enfant. Et je n’ai plus tellement eu le luxe d’avoir du temps pour cette peur-là, parce que s’est installée la peur d’absolument tout le reste.
Autre exemple d’œuvre qui nous questionne sur notre propre condition ; La Métamorphose de Franz Kafka. Ce livre est considéré comme une véritable expérience littéraire. On se glisse dans la peau de Georges, un garçon que l’on devine très ordinaire jusqu’à ce jour où le livre commence ; le jeune homme est devenu une espèce de créature abjecte à la vue de tous·tes, que l’on décrit sans trop de détails. On discerne déjà cette volonté de l’imaginaire, qui permet aux lecteur·ices de prendre le chemin qu’il souhaite dans sa propre représentation de la répulsion. Mais surtout, que le nom du roman est à double sens ; c’est à la fois l’histoire d’une métamorphose, celle d’un être humain à une créature qui n’a pas sa place auprès des siens ainsi que celle d’une métaphore qui montre la nécessité de ressembler à ses semblables pour faire partie intégrante d’une collectivité. Ce livre, c’est finalement la traduction de la propre angoisse de l’auteur face à sa différence envers la société. Cette œuvre de fiction nous renvoie elle aussi à notre empathie, mais également à notre capacité de résilience.
Dans le même article à ce sujet, on peut en effet lire que “la lecture de fiction fait appel aux mêmes réseaux cérébraux que l’expérience de la vie réelle. Lorsque vous lisez une histoire fictive, votre cerveau vit littéralement par procuration à travers les personnages à un niveau neurobiologique. En d’autres termes, lire des histoires sur quelque chose avec lequel vous êtes aux prises, c’est comme mettre en place une simulation de réalité virtuelle où vous pouvez vous entraîner dans un environnement sûr. Si vous apprenez à gérer une situation dans votre vie de lecteur·ice, vous vous sentirez davantage capable de la gérer dans la vraie vie.”
Même si la lecture est une activité solitaire, c’est aussi une véritable fenêtre sur le monde qui nous relie aux autres en nous aidant à développer nos capacités d’adaptation et de compréhension, comme l’indique cet article de Cundall.
LIRE ET ÉCRIRE POUR SE SAUVER
Dans son livre Comme un roman, l’écrivain·e Danniel Pennac a dit « Chaque lecture est un acte de résistance. Une lecture bien menée sauve de tout, y compris de soi-même. » C’est une phrase porteuse de sens sur la notion salvatrice de la lecture.
En effet, au-delà de son aspect positif sur notre créativité et notre aptitude à participer au Burger Quizz, la lecture peut également jouer un rôle important sur notre santé mentale. Il existe une véritable thérapie par la lecture appelée bibliothérapie, qui se base sur l’utilisation du livre comme outil de soin.
Cette pratique est née au début du XXe siècle aux Etats-Unis, grâce à Sadie Peterson. Après avoir entamé des études pour devenir assistante sociale, cette Américaine déjà très impliquée dans les activités de l’église de son comté, s’est investie à la bibliothèque de Harlem pour développer des programmes de lecture pour tous·tes, quelle que soit l’origine raciale, pour aider les aveugles ou les jeunes délinquant·es à accéder à la lecture, explique un article de Radio France. Elle va par la suite travailler dans l’hôpital Tuskegee, spécialisé pour les vétérans avec une bibliothèque très restreinte. Sadie Peterson va s’engager auprès de personnes porteuses de troubles psychologiques notamment, et créer une thérapie de groupe entre soldats par le biais de la lecture comme moyen de reconquête d’émotions et de sensations.
En 1946, Lucie Guillet, psychothérapeute, instaure ce même principe avec des patient·es souffrant de troubles psychiatriques, en publiant un essai sur la “poéticothérapie », soit une cure de repos par la poésie.
Ce n’est réellement qu’à partir des années 2000 que la bibliothérapie va être reconnue et mise en pratique, notamment en Angleterre, ainsi qu’au Canada puis en France et dans les pays anglophones où elle est intégrée aux différentes thérapies psychologiques. De nos jours, nombreux sont les professionnel·les de santé qui attestent des bienfaits de la lecture sur la santé mentale.
En effet, les vertus sont multiples. Lire serait un vecteur d’antistress. Dans une étude rapportée par le Telegraph, le neuropsychologue David Lewis estime que la lecture régulière permet de réduire le stress de 68 %.
Plus largement, la lecture nous induit à nous concentrer sur quelque chose pour une durée plus ou moins longue et comme je le disais précedemment, de manière complètement solitaire. Si cela peut s’avérer être anxiogène pour certain·es, c’est au final le meilleur moyen d’apprendre à se concentrer sur ses propres pensées et à relaxer son corps et son esprit. Paradoxalement, bien que la lecture soit en effet une activité que l’on pratique seul·e, elle peut nous aider à réduire considérablement le sentiment de solitude, comme l’atteste La Reading Agency. Une étude portant sur des personnes de plus de 65 ans a noté que si « les personnes interrogées pouvaient être considérées comme s’auto médicamentant pour atténuer leurs sentiments de solitude, le médicament le plus couramment rapporté était les livres ». Et si vous souffrez d’un problème de santé mentale, comme l’anxiété ou la dépression, lire des livres sur des personnages qui partagent vos difficultés peut vous aider à vous sentir moins seul·e”.
Le choix de lecture est tout aussi important dans le processus de guérison. Si lire peut aider à palier des problèmes d’anxiétés, de concentration ou encore de dépression, cela peut également permettre de développer de l’empathie et une ouverture sur le monde et ceux·elles qui nous entourent suivant les ouvrages dans lesquels nous allons nous plonger.
Je pense par exemple à Une Femme d’Annie Ernaux, un livre dans lequel l’écrivain·e retrace le contexte de la mort de sa mère et explore les facettes de la femme qui l’a mise au monde. Dans la même initiative littéraire, Juste Avant de Fanny Saintenoy, retrace le portrait d’une femme sur son lit de mort, par la voix de celle-ci et de son arrière-petite-fille. Un choc de générations que tout oppose et pourtant unies par les liens du sang. Ces écrits constituent comme une vie après la mort pour ceux qui restent et peuvent permettre, à travers le sujet de la vieillesse et de la mort, de nous aider à mieux comprendre et à anticiper le deuil. Ces lectures peuvent nous permettre de ressentir une empathie, même si ce sujet ne nous a encore jamais concernés.
LITTÉRATURE CONTEMPORAINE
Avis aux puristes de lecture classique : Jean Paul Sartre et Françoise Sagan ont beau être de grand·es auteur·ices de littérature, notamment par le biais d’œuvres sur la santé mentale telles que La Nausée ou Bonjour Tristesse, notre époque nous offre encore de très bons ouvrages contemporains sur le sujet.
De nos jours, l’écriture est une activité qui s’est démocratisée. Il n’est plus surprenant de voir un·e cuisinier·e, un·e chanteur·se, un·e sportif·ve ou encore un·e influençeur·se prendre la plume. Cette nouvelle ère de l’écriture a beau faire débat, on ne peut pas nier que désormais, chaque pot a son couvercle. D’ailleurs, Mercotte et Maïté ont elles aussi, fut un temps, eu leur moment de gloire au stand de dédicaces.
Loin de là l’idée ici de juger quelles lectures seraient plus valables que d’autres, mais il y en a certaines qui me paraissaient spécifiquement intéressantes de nommer dans cet article, toujours dans une démarche de relier lecture et accomplissement de soi.
Je pense tout de suite à La prochaine fois que tu mordras la poussière de Panayotis Pascot. Après s’être fait remarquer sur Canal+ à 17 ans, le jeune homme aujourd’hui âgé de 25 ans a sorti ce livre qui est tout bonnement devenu le best-seller de cette rentrée. Un succès qui se traduit par le sujet qu’il aborde : le coming-out. Plus largement, il est question ici d’une véritable introspection de sa personne à travers des thèmes comme la dépression, la complexité des liens familiaux et surtout une vraie autocritique poignante et sincère sur le chemin souvent compliqué de ce que j’ai perçu dans cet ouvrage comme une crise identitaire.
Je pourrais également citer Virginie Despentes au regard de sa plume et de ses choix de sujet, comme la drogue et le sexe (que l’on retrouve dans l’ensemble de ses œuvres). Après tout, Charles Baudelaire écrivait bien sur sa relation étroite avec l’opium dans Les Paradis Artificiels et même chose pour l’Amant de Marguerite Duras où le titre est révélateur du contenant.
Il (me) semble que l’aspect physique des choses commence à être entendu. On espère être à un point de bascule. L’idée qu’il ne soit pas complètement anodin pour un corps de mettre un enfant au monde, même dans un monde privilégié, aurait passé la barrière des casques antibruit que la société porte dès qu’il s’agit des femmes. Les violences obstétricales sont prises au sérieux et le discours sur les conséquences corporelles de la grossesse et de l’accouchement est audible. Toutefois, une souffrance reste invisible. Indéfendable à exprimer, impossible à entendre. « Spoiler alert bis » : les mères en bavent émotionnellement.
Cependant, il existe une nouvelle approche de littérature très à la mode que l’on nomme “feel good”. Ici, il n’y a généralement pas d’histoire ni de personnages auxquel·les s’identifier, mais plutôt des inspirations, des conseils sur le développement personnel ; une nouvelle façon d’aborder la psychologie avec un angle positif et léger. Cela permet de se créer des représentations sur un sujet qui n’a pas bénéficié d’une bonne imagerie collective.
Je n’ai pas encore parlé de la BD, qui est pourtant une partie intégrante du spectre littéraire et du travail sur l’imaginaire, alors je pourrais l’aborder avec Le Club des Anxieux qui Se Soignent, une bande dessinée signée Frederic Fanget, Pauline Aubry et Catherine Meyer. Une analyse très juste sûr ce qu’est l’anxiété et qui propose différentes manières de l’apprivoiser.
Ce que l’on retrouve aussi beaucoup dans les écrits sur la santé mentale abordée de manière décomplexée, c’est la “littérature témoignage”. Cela regroupe l’ensemble des écrivain·es, de notoriété publique ou non, qui livrent leur expérience personnelle sur des moments de vies marquants voire traumatisants, généralement dans une démarche liberatrice mais également comme tremplin de guérison pour les lecteur·ices.
Lorsque je parle de témoignage et de santé mentale, je pense immédiatement à Jérôme Collin et son dernier livre Les Dragons. Nous avons d’ailleurs eu la chance d’enregistrer un podcast avec lui sur ce sujet. Le romancier belge nous a ainsi dévoilé tout l’enjeu de son roman et les raisons qui l’ont poussé à l’écrire. Un ouvrage saisissant, tragique mais nécessaire sur le thème du suicide, de l’adolescence et les raccourcis qui peuvent se faire entre les deux. Tiré de son expérience de vie dans un centre d’éducation belge pour adolescent·es, ce récit apporte de nouvelles clés de lecture sur la santé mentale, sur le suicide et sur notre place en tant qu’adulte, autrefois adolescent·e et peut-être un jour, parent, ou pas. Mais comme je le disais précédemment, cela nous pousse automatiquement à développer une empathie que j’estime évidente.
Et puis, dans le terme “santé mentale”, il y a le mot “santé.” C’est pourquoi c’est important aussi de situer ce sujet sous un angle à la fois témoignant et plus méthodique. Dans cette perspective, on peut se tourner vers Vivre avec un trouble de la santé mentale, un livre qui lève les tabous autour des troubles psychiques, brillamment mené par Mickaël Worms-Ehrminger, docteur en santé publique et recherche clinique, lui-même concerné par ce sujet. « Pour enfin ouvrir le débat sur la santé mentale, j’ai décidé de prendre la parole en assumant le rôle du survivant·e d’une maladie parfois mortelle… »
Est-ce ce siècle particulièrement anxiogène qui induit les gens à se remettre davantage en question sur leur santé mentale ? Aura t-il suffit d’une pandémie, de plusieurs conflits mondiaux et de trends TikTok pour se questionner sur notre fiabilité mentale, émotionnelle, psychique ?
Finalement, je ne sais pas s’il n’y a vraiment pas de bonnes ou de mauvaises situations. En revanche, ce qui est sûr, c’est qu’il y a de très bonnes lectures qui peuvent servir à des périodes très mauvaises de nos vies.
Si ce sujet vous a plu, sachez que nous lançons à partir de janvier 2024 le Safe Space mūsae, un nouvel espace réservé aux membres avec de nouveaux contenus et notamment des books clubs. Alors si cela vous intéresse, n’hésitez pas à me dire en répondant à cet email, quel·les auteur·ices vous aimeriez rencontrer ?
Le premier roman de Panayotis Pascot, un récit autobiographique qui ouvre une nouvelle vision de la masculinité. « Trois années au peigne fin, mes relations, mes pensées paranoïaques, mon rapport étrange à lui, crachés sur le papier. Je me suis donné pour but de le tuer avant qu’il ne meure. C’est l’histoire de quelqu’un qui cherche à tuer. Soi, ou le père, finalement ça revient au même. »
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mūsae sera au festival Pop & Psy le vendredi 24.11 lors d’une table ronde « L’enfer, c’est l’autre ? » sur la phobie sociale, avec Antoine Pelissolo, professeur de Psychiatrie et auteur du podcast L’anxiété et Popslay, créateur de contenus. N’hésitez pas à nous suggérer les questions et les sujets que vous voudriez que l’on aborde en répondant à cet e-mail.
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