LE SPORT ? PAS MA TASSE DE THÉ !
Le sport n’a pas toujours été ma tasse de thé. Ce que m’évoquent les souvenirs de cours de sport et d’EPS ? La gêne à la piscine, le stress des courses de relais, l’envie de vomir à la fin du 3×500, des profs pas toujours sympathiques, la boule au ventre qui grandissait dans le car au fur et à mesure que l’on se rapprochait du gymnase ou du stade… Une appréhension qui n’avait pour égal que le soulagement du retour, consciente que j’étais « tranquille » pour une semaine.
Dans sa newsletter Aimer le sport, aimer un sport, Ariane Grumbach, « diététicienne gourmande et anti-régime », a nommé les raisons qui pourraient nous éloigner du sport : la réaction de rébellion (quand on ya été forcé·e), la culture familiale (quand nos proches valorisent d’autres types d’activités) et l’envie de se protéger (quand on se sent peu doué·e ou que montrer notre corps nous gêne).
De mon côté, aussi rapidement que l’on m’a identifiée comme sensible et intello, on s’est extasié sur les capacités physiques hors normes de ma sœur cadette. Pendant que je passais mes soirées à dévorer Twilight ou Harry Potter, cette dernière perfectionnait ses backflips sur son allumé. Championne de gym très jeune, elle a excellé dans tous les sports, n’a jamais eu moins de 20 de moyenne en la matière et a été la chouchoute de chacun de ses profs. En comparaison, j’étais gauche, faible et raide comme un piquet. À l’âge de 10-11 ans, ma mère m’a inscrite à un cours de natation auquel je me suis docilement rendue tous les mercredis après-midi pendant un an. L’été suivant, je me suis retrouvée dans un cours avec ma sœur. Le premier jour, après nous avoir suivis, le prof m’arrête et me dit : « bon, Louise, c’est normal, tu n’as jamais nagé. Mais regarde ta sœur ! ». J’en rigolais, mais ce contraste a contribué à ce que je « place mes pions » ailleurs.
VOULOIR OUBLIER SON CORPS
Il est possible que son aspect collectif et ses évaluations contribuent à mon rejet du sport, l’associant au stress et à la honte . 2003 : je n’arrive pas à faire une roulade arrière, si bien qu’on m’apporte un petit tremplin pour me donner de l’élan. 2004 : je suis toujours choisi dans les 3 dernières par les chefs d’équipe pour la balle au prisonnier. Je n’arrive pas à dépasser ma peur du ballon, le prof me fait des remarques goguenardes et j’ai l’impression d’être un immense boulet. 2005 : appelés par ordre alphabétique dans un silence de mort, on doit courir en diagonale et exécuter un « saut ciseau » par-dessus une barre en métal qui me terrifie. 2014 : je me fais violence sur la piste d’athlétisme pour tenir le rythme, malgré l’envie de vomir et d’atroces points de côté.
Quand j’ai pris du poids à l’adolescence, le sport est devenu une véritable injonction et mon rejet s’est accentué. J’étais très gourmande et quand j’étais enfant, on m’en faisait le compliment : c’était un signe de santé et d’appétit, ça faisait plaisir à voir… Jusqu’à l’adolescence, période où j’ai commencé à avoir assez d’autonomie et d’argent de poche pour m’acheter des cookies ou des mini-pizzas au retour du lycée. Je me suis arrondie et ma gourmandise est progressivement devenue problématique. Est-ce dû à l’inquiétude de mes parents ? Aux injonctions à la minceur omniprésentes dans la publicité et les magazines ? À la sensation de me sentir boudinée dans mes vêtements ? Entre 14 et 17 ans, je me sens très mal à l’aise dans ce corps que je trouve grassouillet et disgracieux. Je ne me suis jamais autant pesée et regardée dans le miroir qu’à cette époque et, même si j’avais bel et bien pris quelques kilos, je souffrais sûrement de dysmorphophobie (pensée obsédante sur un défaut imaginaire ou une légère imperfection de l’ apparence physique).
Quand je les ai découverts il y a deux ans, j’ai été frappé par les « beach portraits » de Rineke Dijkstra , série de photos d’adolescentes en maillots de bain dans lesquelles j’ai reconnu la vulnérabilité, la gêne, l’impuissance. et le besoin de plaire que j’ai moi-même ressenti à mon adolescence , soumise aux diktats de beauté, de minceur et de performance de genre.
Je me souviens des séances d’essai qui finissaient en larmes dans les bras de ma mère, de la culpabilité après m’être « laissée aller » à manger en entier une pizza XL, des robes amples ou des gros pulls que j’enfilais pour me cacher. Je m’étais mise à me faire vomir, de temps en temps, pour retrouver une sensation de contrôle sur ce corps qui m’échappait . Je n’ai réalisé que récemment que j’étais passé, comme pas mal d’ados, par de légers TCA (troubles du comportement alimentaire). À l’époque, je n’y voyais qu’une petite purge anecdotique et je me rappelle penser : « tu profites du goût délicieux de la nourriture sans en subir les conséquences ». Une « super astuce » qui ne m’empêchait pas d’entretenir un cercle vicieux privation – craquage marqué par un sentiment de culpabilité constant. À part de laborieux tours de square exécutés sous le coup de pensées négatives – à la nuit tombée afin que personne ne me voie, je ne faisais que très peu de sport.
À la fin du lycée, j’ai minci naturellement, tout en continuant d’être dissociée de ce corps devenu un sujet problématique. D’ailleurs, je me suis beaucoup reconnue dans cet édito de Maud Ventura pour Madame Figaro: « j‘ai tendance à oublier que je suis un corps. Je suis beaucoup dans ma tête : je contrains mon corps à rester assis des heures pour écrire, je fais peu d’attention aux vêtements que je porte, je saute des repas et mange des céréales pour le dîner. Mes plaisirs sont finalement très peu corporels. Je lis, j’écoute la radio, je télécharge un podcast, je lance des discussions sur le sens de la vie. (…) Mon erreur, c’est que je considère mon corps de manière utilitaire. »
Entre 20 et 25 ans, il m’est quand même arrivé de me sentir envahie par des vagues de culpabilité , de celles qui m’ont fait rechercher « abdos fessiers 10 minutes » des dizaines de fois sur Youtube. Des séances d’exercices ultracourtes, que j’ai suivi sans plaisir ni régularité… Jusqu’à ce que je me bloque le dos lors d’une séance de yoga en ligne où j’ai un peu forcé la position du chat-vache . J’ai compris que je ne me faisais pas du bien avec ces vidéos, et j’ai décidé de me foutre la paix pendant un moment.
REDONNER DU PLAISIR AU SPORT
Et puis en janvier dernier, j’ai commencé à courir. Tout doucement, sans pression. Et progressivement, je me suis réconciliée avec mon corps . J’ai commencé à suivre des séances de gym suédoise avec ma tante et ma soeur. En janvier dernier, j’ai commencé à courir pour accompagner des amies dans un petit trail breton. Deux mois plus tard, après un réveil matinal, on récupérait nos dossards dans le gymnase d’Hillion, dans une ambiance conviviale et bon enfant qui contrastait avec l’idée que je me faisais des événements sportifs. Pendant 1h15, dans la douceur de ce début de printemps, sur une course à la queue leu leu le long des falaises et des bosquets fleuris, mis les pieds dans la boue et respiré de grandes bouffées d’air marin. Sur le trajet du retour, on était toutes sur un petit nuage. Autant vous dire que j’en étais la première surprise, moi, la traumatisée des 3×500.
Au fur et à mesure, je me suis rendu compte que faire du sport me faisait me sentir fièrement, puissante et badass, me donnait confiance en moi (indépendant du regard des autres), me procurait des sentiments de joie et d’apaisement – très loin de la détresse ressentie pendant mes séances de course à pied à 15 ans. Ça ne sort pas de nulle part : le sport permet au corps de sécréter des endorphines (plaisir, bien-être), de la sérotonine et de la dopamine (diminuer la sensation de fatigue). Charline Vermont, créatrice du formidable compte Instagram Orgasme et moi, s’était d’ailleurs confiée sur la joie, la fierté, la force que lui avait apporté le sport alors qu’elle se débattait avec la charge mentale domestique, parentale et professionnelle, frôlant dangereusement le burn-out. «Le sport a sauvé ma santé mentale . Sans le sport, ce compte n’existerait plus», avait-elle déclaré. Elle a aussi parlé des effets positifs liés à sa sexualité (estime de soi, désirabilité, vie affective, libido).
Depuis, je cours au moins une fois par semaine. Sans doute parce que c’est une activité flexible qui n’implique aucun horaire. Sans doute parce que je vais courir autour d’un lac et que c’est une vraie respiration dans ma semaine. Sans doute parce que je ne me mets pas de pression de rythme, de temps ou de distance. Sûrement parce que j’ai compris que courir me permettait de relâcher les tensions, de me vider la tête, et de m’éloigner des écrans, tout en me procurant un agréable sentiment d’accomplissement. Bref, courir me permet de prendre soin de ma santé physique et mentale . Pour celles et ceux que ça intéresse, l’autrice et prof de yoga Camille Teste a publié un post Insta super complet et « relatable » sur la course à pied. Son premier (très bon) conseil ? « Acceptez que vous êtes débutants et que c’est OK ».
Comme le rappelle la diététicienne Ariane Grumbach, il peut être salutaire de mettre de côté la performance pour simplement renouer avec le plaisir d’un sport : « Vous n’êtes pas obligée d’être une sportive dans l’âme pour pratiquer un sport. On peut aimer un sport plutôt qu’aimer le sport. Je n’ai jamais été une grande sportive même si certaines amies ont pu le penser, me voyant nager tous les matins ou presque. Je ne suis pas une grande sportive, j’aime nager ! »
J’ai accepté qu’il fallait que je m’écoute en dépit des modes et des fantasmes. Ainsi, j’ai renoncé au yoga (qui m’ennuie), à la nage (trop de monde à la piscine), aux cours de hip-hop pourtant si stylés du Lax Studio (j’étais larguée dans le cours débutant ). Ces dernières semaines, je me suis aussi rendu compte que j’avais envie d’une activité sportive plus « fun » que la course et que la gym suédoise, où j’ai la flemme d’aller. Au fond, je crois qu’aucune résolution ne tient si elle ne me fait pas vraiment plaisir . Spoiler : je teste un cours de danse africaine la semaine prochaine (hop, comme ça, je n’ai plus le choix !). Et puis, danser en soirée, me déplacer en vélo, marcher en ville ou dans la nature… J’apprends enfin à valoriser les activités qui n’impliquent aucune performance et ne sont pas des sports à proprement parler, mais qui me font du bien .
Je me sens rarement aussi bien dans mon corps qu’en ce moment. Non pas que je le trouve parfait, mais la reprise du sport a opéré un switch dans ma tête : d’objet du regard des autres, de mon propre mépris et de mes stratégies pour le contrôler, mon corps est devenu sujet. Beaucoup moins obsédée par sa beauté, j’arrive à l’écouter et à lui faire confiance : je mange à ma faim, sans me frustrer ni me gaver jusqu’à en avoir mal au ventre. Par ailleurs, je n’ai jamais été aussi gourmande. Bref, je le considère enfin comme un allié.
Cet article écrit par Ariane Grumbach, diététicienne et nutritionniste, parle de sa relation au sport et plus particulièrement de son amour pour la natation . Elle explique de quelles différentes manières elle a abordé et entretenu ses séances de nage.
|
|
|
Une série-documentaire de quatre épisodes à propos du long chemin des femmes envers la conquête du sport ainsi que des combats, difficultés et injonctions auxquelles elles ont du faire face afin de pouvoir s’intégrer dans ce milieu.
|
|
|
Un livre qui porte sur le sujet de notre rapport à tous·tes avec la nourriture, le patrimoine génétique que l’on peut avoir avec et de quelle manière réapprendre à déconstruire les injonctions alimentaires et rétablir le vrai bien-manger.
|
|
|