7 septembre 2023

Nouvelles spiritualités et santé mentale

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Hello à tous·tes et bienvenu·es aux nombreuses personnes qui se sont inscrites pendant la trêve estivale. Toutes les deux semaines, ici, j’évoque un fait de société au prisme de la santé mentale.

Aujourd’hui j’ai envie de vous parler d’un sujet plutôt clivant : celui des nouvelles spiritualités en tentant de déconstruire des clichés pour ouvrir de nouvelles perspectivesDepuis le COVID-19, la santé mentale a pris un coup de projecteur. Même si on ne sait pas toujours très bien de quoi il en retourne, on en parle plus librement dans nos conversations avec nos proches, dans le monde du travail, dans les médias et même chez les marques. La quête de soi s’est normalisée : méditation, yoga, reiki, lithothérapie… Oscillant entre nouvelles formes de spiritualités et self-care, ces pratiques empruntées au New Age et à l’activisme afro-américain des années 70 sont devenues incontournables. 

Plus accessibles et plus attractives que certaines formes de soins en santé mentale, ces nouvelles spiritualités sont-elles au service de notre bien-être mental ou alors un piège à éviter pour notre sanité ?

RELIGION, SPIRITUALITÉ : À QUEL SAINT SE VOUER ?

 

Comme certain·es le disaient« le 21ème siècle sera religieux, ou ne le sera pas ».
Même si les religions monothéistes peuvent être vues comme étant passéistes, le 21ème siècle est clairement plus spirituel que jamais. Les codes ont bien sûr changé, laissant la part belle à des formes et des communautés spirituelles plus nombreuses qui divergent avec la religion au sens propre. Dans son article pour la revue Érudit, Noël Simard les définit comme « un ensemble spécifique de croyances et de pratiques habituellement reliées à un groupe défini, auquel on appartient et avec qui on partage une confession. Alors que la spiritualité a une vocation plus individuelle. Elle fait écho à des valeurs qui nous sont plus personnelles comme la paix intérieure, la raison de vivre, la relation aux autres ou encore le sens de la vie. » La spiritualité a quelque chose de plus accessible que les religions dites « classiques. »

La spiritualité est-elle une simple mode du 21ème siècle ?

D’après le penseur Raphaël Liogier interviewé par Marc Bonnemelli pour l’ADN, la spiritualité fait pourtant ses premiers adeptes au moment des Lumières. Elle a permis de combattre l’obscurantisme, de nourrir le libre-arbitre des individus en leur permettant de faire leurs propres choix pour mieux s’affranchir de la hiérarchie écrasante de l’Église. Mais jugée trop personnelle et émotionnelle à l’époque, la spiritualité n’a pas eu le succès escompté

C’est dans les années 1970 qu’elle fait son come-back à un moment où la quête de sens était prégnante, car l’époque dorée de l’après-guerre commençait à s’estomper et Woodstock battait son plein. C’est l’époque du New Age, les débuts du développement personnel ou encore du bouddhisme occidentalisé et de la méditation.

Dans l’excellent ouvrage, Les nouvelles routes du soi” de Marc Bonomelli aux éditions Arkhél’auteur cite en ouverture de son livre, Patrick Laude, professeur spécialiste du fait spirituel. 

Les fanatismes religieux, même sous leur aspect les plus monstrueux et haineux, veulent exprimer (…) n’est autre que le besoin humain de cohérence et de permanence d’une identité vectrice de sens”. 

Aujourd’hui, les nouvelles spiritualités prennent un nouveau virage dans un monde qui est en quête de sens. La sociologue Julia Itel dans le même ouvrage classifie cette quête personnelle ainsi : 

  • Les jeux de tarots et l’astrologie comme des guides pour sortir de la pensée rationnelle et faciliter l’écoute, l’intuition.

  • La psychologie, les psychotropes, les expériences chamaniques ou encore le chant comme une exploration de soi.

  • Le yoga, la marche dans la forêt ou encore la pleine conscience comme une manière se (re)connecter au Vivant. 

 

QU’APPORTENT LES SPIRITUALITÉS À NOTRE SANTÉ MENTALE ?

 

Les nouvelles spiritualités ont toutes cette même vocation : réenchanter notre monde intérieur dans un monde extérieur abîmé. Pendant longtemps, elles ont été décriées car peu sérieuse en apparence. Toutefois se reconnecter à soi n’a rien d’antinomique avec la pensée rationnelle. Dans la série de LSD sur le Yogaune philosophe explique comment elle a cheminé d’une pensée plutôt critique voire sceptique à l’encontre du yoga pour en voir finalement des atouts tout à fait complémentaires à son activité intellectuelle. 

Le sensoriel et l’émotionnel ont longtemps été boudés par le souci de la performance à tout prix. Et pourtant comme l’indiquait la philosophe Marie Robert dans notre podcast, le roi de la pensée cartésienne, aka René Descartes nous indiquait déjà l’importance de comprendre nos passions qui émanent de nos émotions. Nous possédons tous·tes des parts de nous-même qui échappent aux classements, aux normes, aux étiquettes. Descartes identifie six types de passion : l’admiration, la haine, la joie, la tristesse, le désir, l’amour. Plutôt que de les subir ou de les condamner à tout prix, il nous invite à prendre du recul, à les observer pour mieux les comprendre et nous en nourrir. 

Apprendre à ressentir ses émotions, à les nommer et à les analyser nous permet de nous faire grandir dans notre relation à soi, mais aussi aux autres. C’est particulièrement le cas dans nos relations amoureuses. Je vous invite à réécouter notre discussion sur le sujet avec Claudia Colombani de Self-Love Project.

Écouter ses ressentis permet en effet de créer sa propre boussole pour se guider dans la vie. Et si là tout de suite, vous preniez 5 minutes pour tester l’échelle émotionnelle de Laure Roussel

Qu’on les appelle nouvelles spiritualités, techniques de self-care ou développement personnel, ces pratiques peuvent avoir du bon pour notre santé mentale. J’en ai moi-même fait l’expérience lorsque j’ai quitté mon précédent emploi où j’étais en burn-out avant de lancer mūsae. Et j’aime autant vous dire que je faisais partie des sceptiques parmi les sceptiques à l’époque.
J’ai donc fait appel à une coach initialement pour m’aider sur ma reconversion professionnelle. Très rapidement, comme c’est souvent le cas dans ce type de thérapie brève, on se rend compte que la frontière entre la partie professionnelle et personnelle est ténue.
Ces 6 mois avec ma coach ont été salvateurs pour moi qui étais devenue une machine de travail complètement épuisée professionnellement. J’ai pu me reconnecter à ce qui me faisait vibrer et la conclusion ne fut pas de réinventer la poudre en devenant yogi ou maraîchère en Ardèche, mais de me rappeler que j’adorais lire, écrire et que j’avais à cœur de lancer un média qui parle de sujet d’intérêt général depuis mes 10 ans.

Loin de flouter toute forme de rationalité, revenir à sa propre intuition et à son monde intérieur, c’est aussi maîtriser quelque chose qui nous appartient. À nous, rien qu’à nous. C’est à mon sens aussi quelque chose qui redonne le pouvoir au patient. L’engouement pour les pratiques de développement personnel ou les nouvelles spiritualités vient d’une faille dans le système de soin où les patients et leurs familles ne sont pas entendus par les médecins qui se positionnent en expert tout-puissant. Le développement de la médecine a rationalisé la maladie et fait perdre le caractère unique des personnes malades (Philibert 1998).
Dans ce podcast du Guardian, Wellness Conspiracy, les journalistes parviennent même à dresser un lien de causalité entre la grande défiance de certaines femmes atteintes de handicaps invisibles et leur souffrance qui a été niée pendant trop longtemps. C’est particulièrement le cas de l’endométriose.

 

TROP DE ME-TIME, PAS ASSEZ DE COLLECTIF 

 

Les nouvelles spiritualités boostent notre estime personnelle. Si on en a certes bien besoin parfois, elles comportent des dérives individualistes. D’après l’étude : An Exploration of Spiritual Superiority : The Paradox of Self enhancement, l’entraînement spirituel aurait tendance à renforcer le besoin de se sentir plus performant·esplus respecté·es ou plus aimé·es
C’est la culture du “Me-time” qui en devient presque une religion personnelle. Elle vous donne l’impression de posséder ce je-ne-sais-quoi presque mystique. « Vous êtes Dieu avec une majuscule » (nous dit Lise Bourbeau).
Le développement personnel dans ses dérives égoïstes nous enferme dans nos propres besoins en oubliant ceux des autres, voire en les niant ou en les écrasant, comme ce post du compte Instagram, Les Lois de l’Attraction, passé maître en gourou du Me-Time. Or, ne nous construisons-nous pas dans l’altérité ? 

 

 

Marc Bonomelli dans son ouvrage nous livre que certain·es néo-spirituels aujourd’hui ne veulent plus simplement partir en exploration intérieure. “Ils veulent vivre une expérience forte, immédiate qui lui permettra de nourrir leurs légendes personnelles”. Suivre son intuition pour laisser sa trace comme l’Alchimiste de Paulo Coelho, livre phare de mes années lycée.
Cette notion de légende personnelle nous impose aussi parfois d’être le héros de notre vie. Il ne tient qu’à nous de devenir la meilleure version de nous-même. C’est, selon moi, un positivisme toxique qui d’une part occulte tout contexte socio-économique structurel et qui te fait te penser que tu n’es vraiment qu’un·raté si tu n’y parviens pas.
En clair, dans ce monde de bisounours où tout ne tient qu’à ton talent, le négatif n’a plus sa place. Nier le négatif, c’est se détacher de la réalité, être hermétique aux injustices sociales en refusant de se mettre en colère. Or, la colère ce n’est pas forcément à éviter, c’est aussi un formidable levier d’engagement.

 

 

DÉRIVES SECTAIRES

 

Ce sont dans les failles sociales et économiques que se nourrissent les dérives sectaires. On l’a particulièrement vu lors de la pandémie. Poussé à l’extrême, le “business du bien-être” peut être alimenté par des théories conspirationistes en tout genre. Il n’est évidemment pas le seul. Il profite d’un terreau social et d’une logique économique qui lui sont favorables

Les journalistes du Guardian s’interrogent dans l’excellent podcast Wellness Conspiracy si le secteur du bien-être est plus qu’un autre un terrain de prédilection pour le conspirationnisme. Leur réponse est simple. Comme beaucoup d’autres secteurs, le bien-être et la santé mentale sont devenus des opportunités business, pour le meilleur et pour le pire. Avant, les vidéos conspirationnistes qui étaient le plus monétisées parlaient d’aliens. Maintenant, elles parlent de bien-être. De nombreuses escroqueries capitalisent sur le flou artistique proposé par le conspirationnisme. Par ailleurs, les contre-pouvoirs actuels sont faibles. Il est particulièrement compliqué sur les réseaux sociaux de vérifier la véracité des produits ou des propos.

Une récente étude du Wiley définit le complotisme ainsi : “Une théorie du complot est un effort pour expliquer un événement en invoquant les machinations de personnes puissantes, qui tentent de cacher leur rôle tout en poursuivant des objectifs malveillants (Sunstein & Vermeule, 2009). De telles croyances amènent les gens à ressentir un sentiment accru de menace, ce qui réduit leur capacité à distinguer la vérité du mensonge (Newman et al., 2021). Cela contribue aux conséquences négatives en aval susmentionnées, comme l’approbation de la violence politique, le rejet de la science et l’ignorance des ordres de santé publique.” 

Cette même étude fait d’ailleurs le lien inextricable entre la dépression et le complotisme. Sans expliquer qui est la cause de quoi, mais le constat est fait : les personnes complotistes sont atteintes d’épisodes dépressifs. Et c’est bien logique, car le complotisme joue sur la peur et les phobies mentales des gens. 

Ces croyances permettent aux individus de faire face à l’incertitude en fournissant des récits rassurants pour expliquer des phénomènes menaçants, en donnant le sentiment d’appartenir à un mouvement idéologique fort pour sortir de l’isolement et d’une certaine détresse psychique. C’est pourquoi les dernières années ont généré une défiance envers les médias, les institutions et les experts scientifiques. 

Comment réagir ?

  • Ne pas stigmatiser ou se moquer des personnes qui croient en ces thèses. Elles sont dans une dynamique de peur psychologique

  • Essayer de prendre ça sérieusement et avoir une vraie politique de prévention.

  • Certifier les comptes sur les réseaux sociaux (et pas en donnant le moyen d’acheter la certification mais avec une vraie régulation qui reprend les bases du journalisme : diversifier les sources

  • Essayer de créer du lien social là où il n’y en a plus pour éviter la radicalisation. 

  • Éviter d’opposer les traitements naturels et médicamenteux. Les deux peuvent être complémentaires s’ils sont prescrits par des professionnel·les de leur domaine. 

Les nouvelles spiritualités ne sont pas diaboliques en soi. Elles répondent à un besoin d’écoute, de reconnaissance et de soin qui ne sont pas pris en charge par le système de santé publique. En revanche, dès qu’elles deviennent clivantes, violentes ou stigmatisantes pour certaines personnes, il est important de remettre chaque chose à sa place et en perspective. Pour ça, j’aime beaucoup la conclusion du podcast du Guardian : « Let him tell you how to do the lotus don’t let him tell you that the government poison the water. »

 

 

Cette série de podcasts fondée par Elisabeth Feytit nous pose une question : Et si on se demandait pourquoi on pense ce qu’on pense ? Chaque épisode nous plonge dans la psyché humaine en nous interrogeant sur la manipulation mentale, les biais cognitifs, le développement personnel, secte… 
Une enquête immersive du journaliste Marc Bonomelli sur les nouvelles spiritualités avec notamment des témoignages d’acteurs de cette quête moderne, repenti·es ou non. Pendant deux ans, il s’est initié à leurs rituels et à leurs croyances. Son enquête réunit de très nombreux témoignages et des entretiens inédits avec des chercheurs en sciences sociales.
Le média qui « explore le futur » étudie la question de la spiritualité à travers l’usage des nouveaux outils numériques dans sa 39ème édition de son magazine. De la façon dont nous nous connectons aux applications, plateformes et réseaux sociaux à comment cela transforme notre rapport à la spiritualité. « Tikthomélie », « croivance », « techtopie »… 
CONFÉRENCE DES ACTEURS INSPIRANT·ES DE LA SANTÉ MENTALE:  j’ai le plaisir d’animer cette conférence organisée par la Fondation AÉSIO en compagnie de Grâce Libissa, host de notre podcast États de Grâce. Pour vous inscrire c’est par ici. J’espère vous y rencontrer.

 

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