Aujourd’hui j’ai envie de vous parler d’un sujet que je connais bien pour le ressentir au quotidien : la question de la santé mentale des entrepreneur·ses. Je vous en parlais d’ailleurs dans cette newsletter pour vous dire à quel point la santé mentale était taboue voire mal vue dans notre milieu. L’année dernière j’ai enregistré un podcast avec Agnès Sanso, également entrepreneuse et activiste de la santé mentale. À l’époque, Agnès avait fondé Dégaine Care, une marque de cosmétique engagé en faveur de la santé mentale. Aujourd’hui, Dégaine est devenu MOODMOOD. Au fil de notre discussion, nous partageons notre expérience, des réalités de l’entrepreneuriat, qui diffèrent souvent de la représentation qu’on s’en fait et on tente d’ouvrir des perspectives. Vous pouvez retrouver l’intégralité de notre échange dans le podcast où nous avons aussi parlé de beauté, des nouvelles générations et de safe place.
HELLO AGNÈS, EST-CE QUE TU PEUX TE PRÉSENTER ET NOUS DIRE POURQUOI TU AS EU ENVIE DE TE LANCER DANS L’ENTREPRENEURIAT ?
J’ai fait des études de droit et une dernière année en management. Cette année-là, j’ai découvert le yoga. J’ai toujours beaucoup aimé la danse et j’ai retrouvé dans ce sport le mouvement et la musique. Surtout, j’ai pu me créer un espace de respiration et de calme qui m’a beaucoup apaisé. J’ai eu un déclic à partir du moment où j’ai découvert cet univers. J’ai plongé dedans du jour au lendemain. Ça m’a beaucoup aidé et ça a remis en question beaucoup de choses chez moi. Je ne m’étais pas trop posée de questions sur qui j’étais et ce que je voulais. Mais à partir de cette période, j’ai fait ce travail sur moi. J’ai décidé de me reconvertir en créant mon entreprise. En même temps, j’ai suivi une formation de yoga et j’ai donné quelques cours. Je faisais aussi du conseil en stratégie de communication et en création de contenus, notamment podcast et événement. J’avais un média qui s’appelait Meufs mortelles pour lequel je créais des événements à Lille et à Paris sur l’entrepreneuriat.
ON PARLE BEAUCOUP DE LA NOTION « SELF CARE ». AUDRE LORDE DIT QUE C’EST UN MOYEN POUR LES MINORITÉS INVISIBILISÉES DE PRENDRE SOIN D’ELLES-MÊMES POUR ENSUITE AVOIR LA FORCE DE PRENDRE LA PAROLE. EST-CE QUE POUR TOI CETTE NOTION FAIT ÉCHO ?
À titre personnel, je pense que c’est une priorité numéro 1 d’être capable de faire ce travail. En tant que personne, c’est une obligation de le faire et je pense que le monde irait beaucoup mieux si tout le monde pouvait le faire. Pour moi, tous les petits problèmes du quotidien sont des problèmes de société que l’on est capable d’observer. Ce ne sont que des jeux d’ego, de faux semblants, des jugements. Si on est capable de faire ce travail sur soi-même et d’être honnête avec qui on est vraiment, ça aide beaucoup. Quand tu te montres vulnérable, ça change la donne. La personne ne va pas se mettre dans un jeu d’égo et la relation va être différente. Tu permets d’ouvrir la parole devant quelqu’un·e et tu montres qu’il n’y a pas besoin de faire semblant. Tout le monde fait semblant au quotidien donc tout le monde joue un rôle. Pour moi, ça aurait un très gros impact sur les relations et sur la société.
Tu as beaucoup de choses qui pèsent sur tes épaules. Parfois, tu aurais bien envie de les laisser derrière la porte et te sentir léger·ère. Quand tu es seul·e, tu n’es jamais léger·ère, parce que si tu déposes la valise, il n’y a personne qui la porte donc tu la portes tout le temps.
Agnès Sanso.
À TITRE PERSONNEL, POUR PRENDRE SOIN DE TA SANTÉ MENALE, EST-CE QUE TU AS DES ASTUCES SPÉCIFIQUES QUI TE FONT DU BIEN ?
Je fais beaucoup de yoga et toute la philosophie du yoga me fait du bien, même si je n’ai plus le temps de pratiquer. Quand on commence à s’y intéresser, on apprend que la pratique physique est juste l’étape 1. Quand tu commences le yoga, tu es incapable de te détacher de tes pensées si tu n’es pas actif·ve physiquement. Ça te permet de prendre un premier recul. Quand tu es bien avancé·e, tu es capable de te détacher de tes pensées sans la pratique et de faire ce travail mental. Tous ces petits mécanismes d’esprit, je les ai inclus dans mon quotidien. Avec mon entreprise, j’ai tous les jours des mauvaises nouvelles, c’est normal car c’est le jeu de l’entrepreneuriat. Mais je les gère avec une philosophie qui me permet de faire un pas de côté. Il y a toutes ces valeurs et techniques que j’ai réussi à mettre en place. Quand je vois que je les oublie dans mon quotidien, j’essaie de me les rappeler. Sinon j’ai aussi commencé à aller voir un psy, ça me fait du bien. La musique me fait aussi du bien, par exemple quand j’écoute Bilie Eilish, c’est une thérapie.
QUELLE EST SELON TOI LA CARACTÉRISTIQUE PRINCIPALE DE LA SANTÉ MENTALE DES ENTREPRENEUR·SE ?
Être entrepreneur·se signifie clairement ressentir des ascenseurs émotionnels tout le temps. Il faut être capable de prendre du recul sur les événements, prendre les mauvaises nouvelles avec philosophie et comprendre qu’en fait ce n’est pas grave. Quelque chose qui peut paraître comme extrêmement grave pour ton entreprise ne l’est pas nécessairement en réalité. Si il y a une chose que je retiens du yoga c’est de revenir au pur moment présent. « Je suis bien, je suis en bonne santé, tout va bien dans ma vie. Au final s’il se passe ça dans mon entreprise, dans le présent, ça va« . C’est quelque chose de très difficile à faire car tu peux être pris·e très rapidement dans un tsunami de pensées qui te fait aller mal. Souvent, c’est quand tu te perds un peu dans le mental que tu peux te perdre dans tes émotions. Si tu arrives à faire ce pas de côté, tu peux plus vite revenir faire ce terre à terre. Parfois, c’est plus facile dans certaines situations. Parfois, c’est plus long. Parfois, tu descends quand même un peu plus bas. Mais, de manière générale, c’est vrai que j’ai quand même cette facilité à prendre les mauvaises nouvelles avec philosophie et à me dire “problème = solution”. Il faut aussi être capable de dire que ton entreprise, ce n’est pas toi. Ça, c’est le plus dur.
C’EST CLAIR. IL FAUT CRÉER UNE DISTANCE ET NE PAS TE CONFONDRE DANS TON ENTREPRISE.
Exactement. Te dire que si quelque chose ne va pas ou ne fonctionne pas, ça ne doit pas remettre en question toute ta confiance en toi, ça ne veut pas dire que tu es nul·le. C’est le plus dur parce que tu mets tes tripes dans ton projet. Tu n’as pas envie de te louper. C’est quand même difficile. Pour moi, la partie la plus dure, ce n’est pas d’encaisser les mauvaises nouvelles, mais c’est plutôt l’angoisse et la pression. Tu as beaucoup de choses qui pèsent sur tes épaules. Parfois, tu aurais bien envie de les laisser derrière la porte et te sentir léger·ère. Quand tu es seul·e, tu n’es jamais léger·ère, parce que si tu déposes la valise, il n’y a personne qui la porte donc tu la portes tout le temps. Même dans les moments où ça va mieux, quand tu arrives un peu à lâcher parce que tu es semi en vacances. Tu ne fermes pas ton ordinateur comme quand tu es au bureau et que pendant une semaine il y a d’autres personnes qui gèrent pendant ton absence. Ça n’arrive pas, c’est impossible.
Mais je ne m’en plains pas, c’est mon choix. Je ne le changerais pour rien au monde. Mais c’est vrai que, s’il y avait une chose difficile, c’est le fait que ça ne s’arrête jamais et tu peux vite te sentir oppressé·e et se dire “j’aimerais juste être tranquille”. Et ça, on n’en parle pas. L’entrepreneuriat, c’est super mais j’adore dire aux gens qui ont envie d’entreprendre que ce n’est pas fait pour tout le monde. Et ce n’est pas grave. Il ne faut pas sacrifier sa santé mentale au profit de l’entrepreneuriat. C’est difficile à faire. Je vois beaucoup de gens qui ne s’y retrouvent pas, qui ne savent pas prendre ce recul, qui n’ont pas forcément le tempérament pour. Même quand tu arrives à t’en sortir, il y a des gens qui le vivent mal. Le nombre de fois où je me suis dit “pourquoi j’ai fait ce choix ? Pourquoi j’ai décidé ça ? Pourquoi je m’impose ça ?”. Il y a une grosse pression tout le temps. Les sujets de santé mentale ne sont vraiment pas à négliger.
LA FAÇON DE PARLER DE L’ENTREPRENEURIAT EST TRÈS MANICHÉENNE, JE TROUVE. SOIT ON DIT QU’ENTREPRENDRE, C’EST TROP DUR, SOIT À L’INVERSE, CE NE SONT QUE DES SUCCESS STORIES OÙ ON TE DIT « J’AI LEVÉ DES MILLIARDS EN PEU DE TEMPS ». MAIS LA RÉALITÉ RÉSIDE ENTRE LES DEUX.
Exactement et comme je ne suis pas encore au moment de la success story, on ne parle pas beaucoup de moi. C’est énervant qu’on attende que je sois potentiellement une success story pour être intéressé·e. On en parle que quand c’est connu pour avoir la renommée de parler de quelque chose de connu. Alors qu’en termes de représentation, la réalité est entre les deux. On commence à parler des entreprises qu’au moment où elles ont 6 ou 7 ans. Sauf qu’en tant que jeune entrepreneur·se, tu te compares à ces entreprises mais il y a un gap entre vous. Il y a 6 ans, on ne parlait pas d’elles. C’est humain de se comparer mais il faudrait qu’on puisse comparer ce qui est comparable. Si on te parlait au quotidien d’entreprises qui en sont au même niveau d’avancement que toi, là ça serait plus sain. Si tu fouilles un peu, il existe des podcasts où ils ont interviewé les personnes un peu avant d’être connues mais c’est rare. On entend toujours parler des mêmes entreprises. Je comprends parce que ce n’est pas utile de parler d’une entreprise si elle n’a pas réussi. Tu préfères parler de celles qui ont réussi pour suivre ces exemples et ne pas suivre le modèle de celleux qui ont raté. Mais dans ce cas-là, tu prends aussi le risque de ne jamais réussir parce que tu parles de ces entreprises-là trop tard.
LES ÉCHECS PEUVENT ÊTRE CONSTRUCTIFS ET FONT PARTIE DE LA VIE D’UN·E ENTREPRENEUR·SE. C’EST IMPORTANT DE NE PAS RACONTER QUE LES SUCCÈS. POUR REVENIR À LA SANTÉ MENTALE, S’IL Y AVAIT UN POINT SUR LEQUEL TU AIMERAIS QU’ON AVANCE EN FRANCE, ÇA SERAIT QUOI ?
J’adorerais qu’individuellement nous soyons ok avec le fait d’être vulnérable. Si demain, je pouvais faire ce que je voulais, je mettrais du développement personnel et de l’éducation sur la santé mentale dans les écoles. Ma sœur est en seconde, et je trouve ça dingue à quel point le système éducatif est déconnecté de la réalité. On lui met déjà la pression en lui donnant les soi-disant clés pour “y arriver dans la vie” : les maths, l’histoire géo. Alors que selon moi les bonnes clés sont la connaissance de soi, la compréhension de nos émotions et de leur fonctionnement. C’est un rêve et un objectif de pouvoir avoir un impact à ce niveau : dans les lycées, les écoles… On commence aujourd’hui à mettre en place des interventions dans certaines écoles, sur le harcèlement par exemple, mais c’est à la marge. Ça devrait être 50% du programme. Quand on voit à quoi ressemble la vie professionnelle aujourd’hui et le nombre de personnes qui font des études au hasard car iels ne savent pas quoi faire c’est fou. Il vaut mieux savoir comment rebondir et comment changer de travail plutôt que les maths, l’histoire-géo… Bien sûr qu’il y a des choses importantes, je ne dis pas qu’il faut refaire tout le programme mais il faudrait rééquilibrer. La pression mise sur ces matières et sur les notes, ça me rend dingue. Ça peut démolir la confiance en soi. Et encore une fois, en seconde, tu ne sais même pas qui tu es, comment peux-tu savoir quel métier tu vas faire ? Il faut prendre le temps d’éduquer sur qui nous sommes. Je vois que les gens qui se sentent bien dans leur peau aujourd’hui, ce sont des gens qui, grâce à leur environnement familial et à leur éducation ont grandi dans des environnements ouverts d’esprit, inclusifs, posés et qui ont été autant éduqués sur leurs émotions que sur l’histoire-géo. Iels savent gérer, iels ont eu des clés.
Dans cette newsletter, j’évoquais le fait que la santé mentale était encore taboue dans l’entrepreneuriat. Elle est issue d’un live que j’avais fait avec les créatrices de Nous Fomo où nous avons pu parler des émotions ressenties quand on entreprend.
J’ai également partagé mon expérience dans cet épisode du podcast de Chance. Je suis revenue sur quand et comment j’ai lancé mūsae et sur les coulisses de l’aventure entrepreneuriale.
On vous recommande particulièrement l’épisode avec Serge Marquis, auteur et spécialiste en santé mentale. Cet épisode s’intéresse au regard des autres et son impact sur nos comportements et nos pensées.
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