Souvent on oppose aussi jeux vidéo et éducation. C’est une idée reçue. S’il est bien encadré
l’univers immersif des jeux vidéo permet de nous mettre dans un état de flow. Le flow, vous savez c’est l’état dans lequel on est lorsqu’on prend du plaisir à réaliser quelque chose et qui nous permet d’être dans de bonnes conditions d’apprentissage.
Lorsque les joueurs sont pleinement engagés dans une tâche de jeu, ils entrent dans ce que le psychologue Mihaly Csikszentmihalyi appelle aussi la «zone». Pas étonnant donc que
Minecraft soit utilisé comme outil pédagogique dans des écoles en Suède.
Mais ces avantages peuvent devenir des inconvénients si l’usage des jeux vidéo n’est ni régulé ni contrebalancé par des moments de connexion In Real Life (IRL). Par exemple le flow peut devenir de l’Alexithimie c’est-à-dire générer une grande difficulté à identifier, et exprimer nos émotions. Les jeux vidéo inhiberaient notre monde intérieur ce qui rend beaucoup plus compliqué de détecter les signes de dépression et d’anxiété des gameur·se·s.
“Trop de jeu vidéo” peut aussi facilement conduire à des comportements addictifs dus à la libération trop importante de dopamine. La dopamine est le neurotransmetteur qui régit notre expérience de plaisir. Cependant, quand un joueur a besoin de jouer de plus en plus pour avoir la même quantité de plaisir, alors il est très probablement en train de devenir accro.
L’usage des vidéos est donc un outil qui peut être au service du meilleur comme du pire si il y a mésusage.
La génération iGen souffre en moyenne de problèmes de santé mentale plus importants que leurs aînés en raison du déclin des interactions sociales et de l’essor de l’usage des smartphones.
LE POIDS DE LA CULTURE INCEL DANS LE CYBERHARCÈLEMENT
Il faut aussi ajouter que les aspects communautaires et systémiques font des jeux vidéo l’écrin idéal pour diffuser des messages de haine. Les commentaires violents et sexistes que reçoit la gameuse Avamind illustre “parfaitement” ce lien. Ce type de commentaire fait référence à une certaine culture, celle des INCEL qui à mon sens est à la source de nombreux débordements et comportements toxiques au sein de la communauté des gameur·eus·s. Les INCELS ou “involuntary celibate” désigne la culture des communautés en ligne dont les membres se définissent comme étant incapables de trouver une partenaire amoureuse ou sexuelle. Ils font partie de la « Manosphère », un regroupement de groupes d’intérêts pour les droits des hommes qui puise ses racines aux US dans le mouvement des droits des hommes (libération des hommes). Il a commencé dans les années 1970 en réponse à la deuxième vague du féminisme. La Manosphère croit à la réalité « redpill » selon laquelle les hommes sont aujourd’hui désavantagés par la société par rapport aux femmes. Comme si on leur avait fait avaler une “mauvaise pilule”.
Les incels sont les plus jeunes de la Manosphère allant entre 18 à 30 ans. Ils sont convaincus que tous les hommes ont droit au sexe et que leur incapacité à trouver des partenaires sexuels ou romantiques est entièrement déterminée par leur apparence physique. Ils ont le sentiment d’être injustement exclus car ils ont raté le coche pour rencontrer la bonne personne ou pour avoir leur première expérience sexuelle. Ils en veulent à la terre entière, et surtout aux femmes. Bien sûr ce genre de réaction ne naît pas sans fondement psychologique. Les traumatismes subis pendant l’enfance, y compris la violence sexuelle, la violence physique, l’intimidation, le rejet et le harcèlement peuvent rendre les hommes plus vulnérables à l’idéologie INCEL. Souvent, il y a une hyperfixation sur des expériences négatives non résolues avec une femme, comme une mère ou un partenaire, ou une figure misogyne. Et la réaction du repli au sein de communauté sectaire et violente est une forme de réponse et de « réconfort”.
Mais leur rapport aux soins et aux professionnels de santé mentale est compliqué. Ils voient la thérapie comme un blâme qui renvoie la faute sur eux plutôt que sur la hiérarchie de la société fondée sur l’attractivité physique dans laquelle ils croient vivre. Et malheureusement une thérapie ne viendra jamais changer leur apparence physique c’est donc inutile.
Le terrain psychologique des INCELS est particulièrement perméable aux thèses suprémacistes blanches et virilistes qui ont le vent en poupe pour les plus jeunes notamment sur Twitch. Ils profitent alors de l’usage systémique et anonyme des jeux vidéo en ligne pour agir et se venger auprès des femmes mais aussi de la communauté LGBTQA+ et des personnes racisées qui se font régulièrement harceler.
LES SOLUTIONS
Ces problèmes de cyberharcèlement ne sont pas nouveaux. Il y a un an déjà on vous en parlait à l’occasion du ZEvent, rassemblement des gamers où de nombreuses streameuses libéraient la parole à ce sujet.
Libérer la parole c’est bien mais passer à l’action c’est indispensable ensuite. Les streameuses et toutes les personnes qui se font “cyberharceler” au sein de la communauté de gamers ont besoin d’être entendues. Je pense que la liste est longue mais je résume ici quelques changements structurels qui permettraient de faire avancer le sujet.
- Proposer des dispositifs de signalement efficaces pour les personnes cyber-harcelées
En décembre 2021, Twitch avait réagi aux nombreuses sonnettes d’alarme tirées lors du ZEvent en signant le code de conduite de l’Union européenne contre la haine en ligne . Ils ont aussi mis en place un système pour détecter les utilisateurs malveillants. Le problème c’est que ce dernier repose sur les personnes en situation de fragilité psychologique qui doivent être proactif·ve·s face aux harceleurs.
Les personnes marginalisées sont harcelées quotidiennement en ligne. Il n’est pas juste que ce soit à elles de faire elles-mêmes une liste noire des mots offensants sur Twitch. Cela devrait être là par défaut sur la plateforme.
Il en va de même sur Discord, Twitter, Instagram ou TikTok. Les serveurs privés et les clauses de confidentialités font qu’on ne peut rien faire contre les personnes malveillantes car elles sont protégées par l’anonymat et donc l’impunité. Les rares cas où on peut le faire grâce des fonctionnalités de signalement, ces outils n’ont presque pas d’effet.
Si plus d’1 Français·e sur 3 déclare avoir déjà fait la démarche de signaler un contenu ou un profil considéré comme malveillant ou inapproprié, dans plus de la moitié des cas, soit le réseau social n’a pas répondu, soit sa réponse a été insatisfaisante.
Il serait donc temps que les plateformes prennent la mesure de leur responsabilité en matière de santé mentale et ne se cantonnent pas à des campagnes de prévention.
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Prises en compte des plaintes au commissariat
Les forces de polices ne prennent pas en compte les plaintes à leur juste valeur parce que clairement elles ne sont pas formées et ne savent pas ce qui se passe dans le monde stream et du gaming. Très souvent les personnes “cyberharcelées” s’entendent dire “qu’elles n’avaient pas qu’à être sur Internet”. 67% des personnes qui ont fait la démarche d’aller porter plainte se sont vues refuser ce dépôt.
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Créer d’autres modèles de représentation dans les jeux vidéo
Les éditeurs de jeux eux-mêmes doivent produire des contenus plus inclusifs et représentatifs dans leurs œuvres des personnes racisées et de la communauté LGBTQ (coucou GTA 5) et en proposant des morphologies humaines plus réalistes pour les femmes sans être dans l’hypersexualisation (coucou Tomb Raider).
C’est un programme proposé par l’association Movember pour former les gamers aux comportements à risque liés aux jeux vidéo. C’est fait à travers un soutien psychologique, une communauté d’entraide entre gamers chevronnés et une formation certifiante pour apprendre à adopter un comportement bienveillant dans le gaming.
Les trois points clés à retenir
#1 Les jeux vidéo, un outil pour le meilleur et pour le pire de notre santé mentale
#2 Leur écrin systémique est un terreau idéal pour diffuser des messages de haine.
#3 Les plateformes et les services de police doivent passer à l’action
Dans ce podcast live créé avec Facettes Festival je parle de casser les codes pour rendre la santé mentale plus accessible. J’ai reçu au micro Eva Mazur, formatrice Premier Secours en Santé Mentale (PSSM), Maxime Perez-Zitvogel co-fondateur de l’association la Maison Perchée et Mickael Worms-Ehrminger chercheur en santé et co-fondateur du podcast Les Maux Bleus !