2 mars 2023

Bien-être et sport-extrême, avec Marion Haerty

par

Il y a tout juste un an, on lançait le podcast mūsae stories. Depuis on en a fait plus d’une quinzaine sur ce format où je donne la parole à des personnalités qui changent la donne sur la santé mentale. Lors de l’un de mes premiers live Instagram, j’avais eu le plaisir de recevoir la quadruple championne du monde et vice-championne du monde de snowboard freeride Marion Haerty, pour parler de santé mentale et de sport de haut niveau. Originaire de Haute-Savoie, comme moi, on a partagé notre vision de la santé mentale dans le milieu montagnard. On a parlé de son rapport à la nature, de sa préparation mentale et de la gestion des émotions quand on démarre « un run en snow ». Aujourd’hui, j’ai à cœur de vous partager un extrait de notre échange pour vous donner sa vision du bien-être mental quand on est championne de haut niveau.

 

Ecouter le podcast.

 

 

 ON PARLE BEAUCOUP DE PRÉPARATION PHYSIQUE QUAND ON PARLE DE SPORT, MAIS EST-CE VOUS AVEZ AUSSI UNE PRÉPARATION MENTALE SPÉCIFIQUE ? EST-CE QUE C’EST UN SUJET DONT ON PARLE DANS VOTRE MILIEU ?

 

Je me suis penchée sur ce sujet il y a quelques années. Et si j’avais su avant que la préparation mentale m’aiderait autant, j’en aurais fait plus et beaucoup plus tôt. Déjà, c’est un domaine qui me passionne. Et puis je trouve ça très intéressant de comprendre ton mental car tout y est lié.
Tu as beau te préparer d’un point de vue musculaire, si le jour de ta compétition, tu n’es pas là dans ta tête, ça va mal se passer. Et surtout dans les sports où on doit vraiment s’engager, c’est important d’être au clair à ce moment-là. Donc la préparation mentale m’aide à organiser mes idées et la pressionÇa me permet d’avoir une épaule sur laquelle me reposer qui est en dehors de tout ce milieu de la compétition. Ainsi sur les pistes je peux vraiment me livrer. Quand il y a un peu de stress, j’ai tendance à me mettre la pression, par exemple quand il y a des grosses échéances ou des grosses compétitions. Prendre soin de ma santé mentale m’aide énormément. Et je n’en ai pas fini d’apprendre dans ce domaine-là, c’est génial !

EST-CE QUE TU AS UN PRÉPARATEUR MENTAL OU QUELQU’UN·E QUI T’ACCOMPAGNE ?

 

Oui, j’ai quelqu’un qui m’accompagne qui est basé à Annecy. Il s’appelle Thomas Ferry et il fait beaucoup de préparation mentale pour les grimpeurs. J’ai aussi été accompagnée par François Giraud qui est plus basé dans les exercices de PNL (programmation neuro-linguistique) et d’hypnose. Ils ont des outils différents et ça a été hyper complémentaire de travailler avec eux. Ils m’ont vraiment aidé à me surpasser et à atténuer ce manque de confiance en moi. Ils sont venus m’aider avec leurs outils pour réaliser mes objectifs et mes rêves de gamine.

 

C’EST UN VRAI ACCOMPAGNEMENT AUSSI IMPORTANT QUE L’ACCOMPAGNEMENT PHYSIQUE, LES DEUX SONT LIÉS, ET POURTANT…

 

Je trouve dommage que la préparation mentale soit encore un sujet tabou. On te prend pour quelqu’un·e de fragile, quelqu’un·e de faible alors qu’on devrait le démocratiser plus en France. Même quand on parle d’aller voir un·e psychologue : tu es tout de suite jugé·e comme quelqu’un·e de malade ou de nul·le… Il faudrait lever un peu les préjugés là-dessus parce que ça peut faire du bien à plein de personnes. Dans les moments difficiles, au lieu de tomber dans l’alcoolisme ou la drogue, on peut aller voir un psychologue ou quelqu’un.e qui est une épaule réconfortante dans notre quotidien. C’est très utile dans le sport. En France, on a encore trop de jugements à ce sujet et c’est dommage.

 

Illustration de la Mer de Glace à Chamonix par Siobhan Keane

 

 

ORIGINAIRE DE HAUTE-SAVOIE, JE SAIS AUSSI QUE C’EST D’AUTANT PLUS LE CAS DANS LES MILIEUX MONTAGNARDS OÙ LA VULNÉRABILITÉ N’A PAS FORCÉMENT SA PLACE  J’AI L’IMPRESSION QU’IL Y A UN CHANGEMENT DE MENTALITÉ PAR RAPPORT AUX JEUNES GÉNÉRATIONS. VOIS-TU UNE ÉVOLUTION ?

 

Dans le milieu montagnard, en général les gens sont très pudiques au sujet de leurs émotions. Tout ce qui est lié à la « psychologie” est assez difficile à aborder quand je vois des personnes de mon entourage. Mais je respecte cela. Je pense en effet qu’il y a un changement de mentalité qui arrive avec la nouvelle génération car on a accès à d’autres niveaux d’informations. Il y a plein de belles choses en ce moment qui émergent, par exemple sur les droits des femmes. Dans mon sport aussi, en 10 ans, je vois une évolution qui est vraiment super positive donc oui, je pense qu’il y aura aussi des changements de mentalité par rapport au bien-être mental d’année en année.

 

Ce n’est pas grave de ne pas aller bien de temps en temps. On n’est pas obligé·es d’être toujours des guerrier·res.

Marion Haerty pour mūsae stories. 

 

EST-CE QUE LA FÉDÉRATION FRANÇAISE DE SKI OU TES SPONSORS S’INVESTISSENT EN FAVEUR DE LA SANTÉ MENTALE DES SPORTIF·VE·S? SONT-ILS À L’AISE AVEC LE SUJET ? METTENT-ILS À DISPOSITION DES SYSTÈMES D’ÉCOUTE OU DU PERSONNEL SOIGNANT PAR EXEMPLE ?

Je suis super contente d’avoir des sponsors qui prennent le sujet au sérieux. Malheureusement, j’ai perdu des amis qui ont eu des accidents en montagne. Ça arrive malheureusement souvent dans mon domaine. L’un de mes sponsors a organisé une réunion où tout le monde s’est retrouvé pour parler de ça. On a vraiment échangé, libéré notre parole  et c’est plutôt chouette.

Ce n’est pas grave de ne pas aller bien de temps en temps, on n’est pas obligé·es d’être toujours des guerrier·res. Souvent dans notre société, on veut toujours faire plus. Il faut toujours être bien et souriant·e. Quand tu es au top, c’est comme une montagne, à un moment tu redescends et tu remontes, tu redescends et tu remontes et ça fait partie de la vie. Il faut accepter ces moments où tu n’es pas forcément bien. Des fois, ce n’est pas explicable. Comme tout le monde, il y a des matins où je me lève , je ne suis pas au top moralement, et c’est normal. Ça peut aussi être lié aux hormones ou à la nouvelle lune :  il y a plein de paramètres qu’il faut prendre en compte. Je ne suis pas formée pour donner des avis là-dessus mais il faut être un peu plus relax et moins dur·e avec soi-même dans ces moments-là.

 JE PENSE QU’IL Y A AUSSI LE FAIT D’APPRENDRE À LÂCHER PRISE ET QUE TU NE PEUX PAS TOUT CONTRÔLER. PARFOIS TU AS DES FACTEURS EXTÉRIEURS. ON A UN PEU TENDANCE, DANS LE SPORT ET DE MANIÈRE GÉNÉRALE DANS NOS SOCIÉTÉS, À VOIR LA VULNÉRABILITÉ COMME UNE SOURCE DE FAIBLESSE, ALORS QUE C’EST AUSSI UNE SOURCE DE CRÉATIVITÉ ET DE SENSIBILITÉ. 

 

Totalement. Et même des fois, moi je suis super dure avec moi-même, je veux toujours être au top, dans la performance, il faut toujours plus. Mais il peut y avoir un moment de rupture et c’est là où c’est dangereux, c’est là où tu peux te blesser si tu ne t’écoutes pas mentalement et physiquement.

 

 

 

QUAND TU FAIS TA PRÉPARATION MENTALE, IL Y A LA NOTION DE « PERFORMANCE SPORTIVE » CAR C’EST AUSSI TON MÉTIER. MAIS IL N’Y A PAS QUE CETTE NOTION, IL Y A AUSSI LA QUESTION D’APPRENDRE À GÉRER TES ÉMOTIONS, TES DÉMONS. QU’EN DIS-TU ?

 

À la base, tu as ton rêve et ton objectif d’être champion.ne du monde, de gagner… Mais en fait c’est un travail qui impact ton quotidien, sur les histoires de ton passé, tes forces, tes faiblesses, tes blessures. Et tu vas travailler là-dessus pour arriver le jour J avec un vrai sentiment de plénitude et pour avoir les idées claires. Moi j’ai besoin de ça quand je suis en montagne. Si je n’ai pas les idées claires, je ne maîtrise pas correctement ma planche et je vais faire des mauvais mouvements. Si je n’ai pas les idées claires, c’est là où c’est super dangereux. Et surtout dans ces sports où tu t’engages physiquement, il faut être présent·e mentalement. C’est pour ça que j’essaie vraiment de travailler sur moi et d’être la plus sereine possible quand je vais là-haut.

 

SI LA SANTÉ MENTALE EST TABOUE EN FRANCE, J’AI LE SENTIMENT QUE C’EST MOINS LE CAS CHEZ LES ANGLO-SAXONS.  TU VOYAGES PAS MAL, TU ES EN CONTACT AVEC DES RIDERS À L’ÉTRANGER, EST-CE QUE TU PARTAGES AUSSI CE CONSTAT DANS LE MILIEU SPORTIF ? 

 

C’est vraiment une culture de la communication qui est différente par rapport à la nôtre. Je n’ai pas fait d’études de sociologie pour expliquer pourquoi et comment. Mais c’est clair qu’un·e Canadien·ne ou un·e Américain·e va clairement plus s’expliquer sur ses pensées. Alors qu’en Europe, il faut tirer les vers du nez pour savoir les idées que tu as au fond. Iels sont plus ouvert·e·s d’esprit sur tout ce qui est préparation mentale, psychologie…Iels ont moins de préjugés si tu vois quelqu’un·e pour t’aider à ce niveau là, c’est plutôt cool.

 

 

Ce livre recommandé par Marion Haerty, s’intéresse à la peur qui nous surprend, nous paralyse, nous fragilise et à ces personnes qui ont choisi de la vivre quotidiennement en prenant des risques et en exposant leur vie : les aventurier·ère·s , les sportif·ve·s de l’extrême…

 

 

 

 

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