Hypersensible, vous avez dit hypersensible ? De nombreux comptes Instagram et TikTok ont fleuri sur le sujet. La chercheuse et psychologue américaine Elaine Aron en a été la première promotrice grâce à son best-seller The Highly Sensitive Person publié en 1996. En France, des auteurs comme Christophe André et Fabrice Midal ont pris le relais faisant de ce concept psychologique le fer de lance du développement personnel. Mais que recoupe-t-il vraiment ? Est-ce un réel trouble ou un simple argument marketing. “Spoiler alert”, ni l’un ni l’autre et je vous donne aujourd’hui ma vision de cette “émotion ++”.
Bonne lecture !
UNE FAÇON DE TRAITER LES INFORMATIONS
En psychologie, l’hypersensibilité se réfère à une sensibilité émotionnelle accrue aux stimuli environnementaux et interpersonnels. Les personnes hypersensibles peuvent ressentir les émotions plus intensément que les autres, que ce soit en réponse à des expériences positives ou négatives. Elle concerne donc nos émotions comme nos réactions sensorielles.
En anglais, on utilise souvent l’expression “sensory processing sensitivity”, autrement dit la sensibilité de traitement sensoriel. Ce qui m’intéresse dans cet usage anglo-saxon, c’est la notion de processus. Cette sensibilité exacerbée ne viendrait donc pas d’un sens plus développé, mais plutôt d’une manière de traiter les informations reçues plus méticuleusement. Lorsque je vous ai demandé en début de semaine ce que représentait pour vous l’hypersensibilité, vous m’avez répondu sur Instagram “davantage de fatigue que les autres car cela fait beaucoup plus d’information à traiter, à digérer voire subir”.
Donc ça, c’est sur le papier. Mais concrètement qu’est-ce que cela veut dire? Qu’est-ce que ça change au quotidien ? L’hypersensibilité d’après vous c’est « une façon intense d’être au monde. On est touché par (presque) tout puissance 2, 4, 10…”. Plus précisément, il y a 3 éléments clés :
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L’hypersensibilité induit un seuil sensoriel plus bas aux sons, aux lumières, aux odeurs, mais aussi aux émotions et aux situations sociales. “La foule est épuisante. Les temps de sociabilité le sont tout autant”, me disait-on sur Instagram. Le besoin de calme et de solitude se fait ressentir de manière prégnante. Une étude, menée pendant les confinements de 2020, démontre que le niveau d’anxiété des personnes hypersensibles n’a pas été altéré par l’isolement social. L’hypersensibilité, remplit alors une fonction défensive : la tendance à fuir les nuisances des stimuli, afin de s’en protéger”, explique l’étude.
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Le sentiment d’être dépassé·e par ses émotions mais également par celles des autres est une des caractéristiques de l’hypersensibilité. Vous avez été nombreux·ses à me dire sur Instagram que “vous étiez davantage fatigué·es car vous ressentiez également les émotions de votre entourage”. Ces stimuli peuvent également être internes que ce soit le sentiment d’avoir beaucoup de choses à faire en même temps ou une moins bonne performance.
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Une sensibilité esthétique accrue. Alors là je décris les éléments perçus comme négatifs mais la stimulation émotionnelle et sensorielle c’est aussi génial. L’un·e d’entre vous me livrait “certes j’ai besoin de me protéger de certains bruits, lumières. Mais aussi je réagis plus fortement à la beauté, je m’émerveille davantage”. L’hypersensibilité se caractérise aussi par une sensibilité esthétique : une capacité à être plus facilement touché·e par des œuvres d’art ou encore un goût pour le beau de manière générale.
Ainsi, loin d’être manichéenne, l’hypersensibilité est subtile. Je garde en tête cette très belle formulation que vous m’avez partagée : “Ma vie est faite de plus de beauté mais aussi d’une quasi-impossibilité de fermer les yeux sur l’horreur.” Je crois qu’ici on parle de vulnérabilité finalement.
Ma vie est faite de plus de beauté mais aussi d’une quasi-impossibilité de fermer les yeux sur l’horreur.
D’après le professeur et psychiatre Antoine Pelissolo, l’hypersensibilité est “une vulnérabilité qui ne dit pas son nom”. Elle est nourrie par une multitude d’éléments héréditaires, éducatifs, liés à l’histoire personnelle. Elle n’est pas seulement innée, contrairement à ce qu’on a essayé de nous faire croire.
QUI EST CONCERNÉ·E ?
L’hypersensibilité concernerait environ 15 à 20 % de la population d’après cet article. Et, contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas uniquement de personnes introverties. 30% des hypersensibles sont extraverti·es.
Autre cliché contre lequel il faut lutter : celui selon lequel les hommes, cis hétero surtout, ne pourraient pas être hypersensibles ? Faux ! Bien que cela soit moins visible ou moins accepté en raison des stéréotypes de genre, il s’agit d’un trait universel de la personnalité humaine. L’icône de l’hypersensibilité au masculin se fait encore rare. Heureusement, des personnalités ouvrent la voie comme Keanu Reeves, Julien Doré.
Plus récemment l’artiste Gringe, dans son dernier album Hypersensible, se sert de ce sujet comme levier pour parler de sa vulnérabilité.
”Si tu me demandes comment ça va. Je me rappelle plus trop dе ce que je dеviens. Depuis Comment c’est loin .Peut-être le même jouisseur sans destin. Un marginal qui prend la marche du monde en sens inverse. Je traverse le temps comme un passager clandestin. J’suis toujours là avec mes fous. Prêts à gâcher nos potentiels. Certainement sous cachetons à côté du château dans le ciel. Évadé d’un HP, niché dans une maison perchée. Parce que l’État t’enferme quand tu lui trouves toutes les raisons de faire chier.”
COMMENT EN FAIRE UNE ALLIÉE POUR NOTRE SANTÉ MENTALE ?
L’hypersensibilité n’a pas toujours eu bonne presse dans le milieu de la santé mentale. Émanant d’un domaine de recherche trop récent, elle est considérée comme peu fiable scientifiquement. Sa précurseuse, la chercheuse Elaine Aron, incite d’ailleurs les départements de recherche à investiguer le sujet pour apporter d’autres regards que le sien. Perçue comme trop simpliste, elle est considérée comme un simple argument marketing pour le développement personnel..
Mais, finalement, je pense aussi qu’elle a mauvaise presse car l’hypersensibilité est finalement une manière précurseuse de mettre les émotions au cœur et de les faire exister en tant qu’intelligence. Je suis convaincue que l’hypersensibilité a permis de dédramatiser et démocratiser la santé mentale avant l’heure. Comment? En employant les bons mots et les bons points d’entrée. D’une part, le terme santé n’apparaît pas frontalement. Ensuite, on parle de situations que nous pouvons tous·tes connaître en lien avec notre for intérieur, nos croyances, notre éducation, etc…
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S’en servir de boussole intérieure : c’est un pas vers une meilleure connaissance de soi. L’un·e d’entre vous me livrait sur Instagram que ça a été “une manière d’apprendre à prendre soin de soi et de respecter ses limites”.
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Faire le test (gratuit) d’Elaine Aron pour savoir si on est hypersensible. Il est composé de 27 affirmations (pour les adultes) et invite à répondre par “vrai” ou “faux” selon la correspondance de l’affirmation à votre comportement. N’analysez pas seul·e ce test, consultez un·e professionnel·le de la santé mentale.
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Suivre la chaîne YouTube de la psychologue clinicienne Julie Smith qui a abordé ce sujet. NB les contenus sont en anglais.
Et puisqu’on parle d’émotions, j’ai aussi envie de vous partager mon dernier coup de coeur : la nouvelle saison du podcast Émotions de Louie Média hosté par la journaliste Marie Misset. Elle a glissé un petit mot juste, pour vous.
Depuis le 4 novembre, j’ai repris “Émotions”, un podcast de Louie Media que j’adore. Accompagnée par Elsa Bertault, j’y entremêle des réflexions personnelles avec des témoignages et des paroles plus expertes. C’est marrant pour moi de faire ce podcast parce que j’ai longtemps traité mes émotions comme des ennemies qu’il fallait faire taire ou censurer. Ce n’est que depuis récemment que j’apprends à les vivre.
Aborder ouvertement ces questions autour de la rage, du doute, de l’amour, de la peur, et donner un peu de moi, normaliser des émotions qui nous font peur, que l’on cache, dont on se méfie, il me semble que c’est déjà se débarrasser d’une honte et d’une solitude qui permet d’aller vers l’autre, voire vers soi. L’artiste November Ultra que j’ai interviewée pour mon premier épisode sur la zone de confort, me dit justement à quel point c’est salvateur de se savoir banale dans son anxiété et que des podcasts comme Émotions lui ont permis de verbaliser auprès des autres ses angoisses et ses blocages. Une autre femme, interviewée sur ses colères, m’a juré que rien ne la réconfortait plus que de savoir d’autres gens en butte à cette émotion désagréable et incontrôlable.
Parler de ses émotions, non pas pour s’en plaindre, mais pour apprendre à les nommer, me paraît essentiel pour parler de santé mentale avec plus de sérénité. Savoir qu’on n’est pas seuls quand on sent qu’on vacille, c’est déjà se retirer du poids. Mon rêve serait que les auditeur.ice.s ressentent parfois ce que je ressens moi en interview : de la gratitude pour la personne qui m’offre son histoire, mais surtout des illuminations, des clés de compréhension sur des choses toutes simples auxquelles je n’avais jamais réfléchi, car comme le dit le philosophe Maxime Rovere dans l’épisode : comment savoir si c’est moi le connard ? qui sortira le 18 novembre, le terrain de la connaissance de soi, c’est l’autre. Il parle aussi de brosse à dents, mais vous comprendrez en écoutant ! J’espère faire entendre et dialoguer ces autres.