AS-TU VÉCU UN ÉVÉNEMENT DÉCLENCHEUR ?
Ma dépression était très évidente. Je sais que c’est important de dire aux gens qu’une dépression n’a pas toujours l’air d’être une dépression, mais la mienne avait vraiment l’air d’en être une. Je ne sortais plus, je ne me lavais plus, je n’allais plus en cours, je ne faisais plus le ménage, je ne faisais plus rien, à part regarder New York Unité Spéciale, manger le même bo bun tous les jours et fumer des pétards. J’avais très peu d’interactions avec le monde extérieur. À chaque fois que je voyais quelqu’un, ça faisait six mois que je ne l’avais pas fait. C’était cataclysmique socialement. Je ne pouvais que m’en rendre compte.
En revanche je ne me rappelle pas d’un jour en particulier où je me suis dit : « Là, ça ne va pas. » J’ai pris conscience que j’avais besoin d’aide, depuis longtemps… Lorsque j’étais plus jeune, il y a eu des étés entiers où je ne sortais pas de ma chambre. Mes parents pensaient que c’était lié à la fameuse crise d’ado. « Elle ne veut juste rien faire parce qu’elle est en crise d’ado”. Non, elle n’est pas en crise d’ado, elle est en dépression. Elle a bon dos la crise d’ado, six étés de suite ! (Rires)
Finalement cela faisait très longtemps que je n’allais pas bien. Une dizaine d’années, je pense. Mais c’est quand j’ai commencé à habiter toute seule que ça a été la chute libre. Lorsque j’habitais chez mes parents je n’avais pas du tout pris la mesure mon mal-être. Parce que lorsque tu es au lycée et que tu as une famille qui reste à peu près fonctionnelle, la vie se passe. Lorsque tu vis seul·e c’est différent. Tout s’est cristallisé.
EST-CE QUE L’ART A ÉTÉ UNE CATHARSIS POUR TOI ?
Complètement. J’ai toujours eu ce truc où je voulais être une artiste. En revanche aud épart, j’étais dans la recherche d’ésotérisme artistique. Je me posais, je me disais : « ok, je vais faire une œuvre d’art, là ». Je n’avais pas du tout le bon cheminement parce que ça ne fonctionne pas du tout comme ça, en tout cas pour ma part.
Et puis il y a deux ans et demi, je me suis dit : « qu’est-ce que tu as envie de dire ? » sans essayer de faire du beau. J’ai couché sur le papier ce que j’avais dans la tête, et ça a fonctionné immédiatement. Je me suis dit que j’avais peut-être mis le doigt sur quelque chose.
Plus ça avançait, plus je me permettais d’aller au fond des choses, de dire des choses violentes parfois et en retour il y avait de plus en plus de gens pour me dire : « mais moi aussi » ! C’est pour cela que je me permets de plus en plus de choses, d’aller dans le cynisme à mort, dans la violence, de donner des détails un peu glauques. Ces détails glauques, c’est ce qu’on élude quand on parle de santé mentale. On ne dit jamais que tu ne vas pas te laver, que tu pues et que tu n’as pas vu quelqu’un depuis trois semaines. C’est important de le dire. On a besoin de figures d’identification. Personne ne veut parler des choses qui sont difficiles. Lorsque tu le fais, tu te rends compte que tu n’es pas seul·e.
@ch.tam
Je suis contre le fait de glamouriser les troubles mentaux car ce n’est pas la réalité. Mon maître mot, c’est de dire qu’il ne faut pas rendre ça mignon. Il ne faut pas non plus pointer les gens du doigt qui en souffrent car ce n’est pas de leur faute. Mon travail est génial pour ça car il a un double effet. Premièrement, je me libère, je mets les choses sur le papier, je les poste au monde entier, et en retour, les gens de ma communauté s’identifient. Je reçois des messages qui me disent « grâce à toi, je me sens moins seule ». Je leur réponds : « j’ai reçu 2000 fois ce message, donc imagine à quel point moi aussi je me sens moins seule. » Toutes ces voix avec qui ont fait un gros nuage dépressif, ça fait vraiment du bien. (Rires)
QUELS IMPACTS A TON TRAVAIL SUR TA SANTÉ MENTALE AU QUOTIDIEN ?
En ce qui concerne mon travail artistique, j’essaye de rendre le propos le moins dur possible visuellement. C’est pour cela qu’il y a beaucoup de silhouettes. La violence se situe davantage dans le texte. En réalité ça va car je ne me retrouve pas face à des images dures.
Ce qui est difficile, en revanche, c’est le sentiment d’abandonner ma communauté. Je reçois beaucoup de témoignages non sollicités. J’ai un peu tendu le bâton donc je ne peux pas reprocher aux gens de vouloir se confier, mais je ressens une énorme culpabilité de ne pas pouvoir répondre à tout le monde. J’ai l’impression d’abandonner des gens, mais en même temps, je ne peux pas être la ressource de tout le monde.
Il y a aussi la charge mentale. Je lis des témoignages de viols, des dépressions, des messages qui peuvent me « trigger ». Ce n’est pas évident mais j’apprends peu à peu à m’en détacher. De plus, ma communauté, est géniale. Les personnes s’entretiennent entre elles, se soutiennent les unes, les autres. Les commentaires de mes posts sont de vrais espaces dialogues et de soutien. C’est là où je me dis que j’ai fait quelque chose de bien.
EST-CE QU’IL Y A UNE CRÉATION QUE TU AS LE PLUS APPRÉCIÉE RÉALISER ?
Paradoxalement, les créations qui me font le plus de bien sont celles qui me font le plus de mal. Un matin, je peux me réveiller et me sentir bien et me dire “tiens, si j’écrivais sur ma boulimie.” Donc je me fous une journée en l’air parce que pendant une heure, je me replonge dedans. Mais, de moi à moi, c’est ce qui me fait le plus de bien. J’ai fait un post sur la bisexualité. C’était essentiel pour moi car mes parents ne le savaient pas. C’était finalement mon coming out.
@ch.tam
Il y a aussi ce post que j’ai fait il y a très longtemps sur la grossophobie. Dans ma vie, j’ai pesé dix kilos de moins comme dix kilos de plus. Je fais de gros yo-yo. La différence de perception que les gens avaient de moi me rendait toujours extrêmement triste. Lorsque tu es gros·se, tu prends de la place. Lorsque tu es mince, tu es jovial·e. C’est deux poids deux mesures. Par exemple j’étais considérée comme quelqu’un d”hyper smart” quand j’étais mince, et comme une fille qui se la pète quand j’étais grosse. Il y a un filtre quand tu es gros, que les gens se mettent devant les yeux. Sur ce post ci-dessous., jai illustré mes deux corps, l’un à un moment A et l’autre à un moment B. Il m’a vraiment libéré de quelque chose. J’ai eu l’impression d’avoir fait une randonnée de 15 ans avec un sac à dos, d’être rentrée chez moi et de l’avoir enfin posé.
EST-CE QUE TU PENSES QU’IL FAUT SOUFFRIR POUR CRÉER ?
Je crois surtout qu’il faut créer quand on souffre. Souffrir te fait te poser des questions sur toi, sur les autres et sur la vie. En revanche, jje trouve cela triste de se dire qu’on ne peut pas créer quand on est heureux·se. Je pense qu’il faut des sentiments forts pour créer sans forcément passer par la souffrance. Je pense que l’effusion de sentiments et de ressentis aide à créer que ce soit dans la joie ou la colère.
D’un point de vue strictement statistique, j’ai fait des posts où je parle de mon copain ou je dis que je suis folle amoureuse et ça marche très bien aussi. On peut donc aussi créer à partir du beau.
EST-CE QUE L’ART JOUE UN RÔLE DANS LA DÉSTIGMATISATION DE LA SANTÉ MENTALE ?
À fond ! Mon approche de la santé mentale est très artistique. L’art est politique. J’essaie d’apporter ma petite pierre à l’édifice. (NDLR : cht.am s’est beaucoup investie en juin dernier lors des élections législatives anticipées. Elles ont eu lieu après cette interview.) Sans m’ériger au rang de quoi que ce soit, je reçois des messages qui me disent “tu m’aides”. Les gens ne m’écrivent pas cela pour me faire plaisir.
Si avec simplement une petite tablette, je parviens à aider des gens en disant ce que je ressens, je suis intimement convaincue qu’on peut aider d’autres personnes en faisant cette démarche collectivement. C’est la honte qui nous bloque sur ces sujets-là. Il faut se débarrasser de cette honte. Le fait de donner des représentations, de poser des images sur des maux, de parler de ces choses publiquement, oui je pense que ça aide. Parfois, je vois dans les commentaires des personnes qui expriment des choses excessivement courageuses (violences conjugales, familiales, troubles du comportement alimentaire, avortement…). Iels n’ont pas honte. iels commentent fièrement car ce qui leur est arrivé n’est pas leur faute. Mais tout ce qu’ils peuvent faire c’est de témoigner pour aider les autres.
mūsae fête ses 3 ans au Pavillon des Canaux ! On vous a préparé un joli programme : fresque de la santé mentale® avec Nightline, un talk avec Camille Aumont Carnel et un DJ set d’Ultranöuk et Sloy P. RDV le 20/09 à partir de 18h et jusqu’à 02h. On a hâte de vous (re)voir !
mūsae était présent pour le 13e épisode de Folie Douce, le podcast de Lauren Bastide sur la santé mentale. En avril dernier, à l’occasion du festival Empowher, nous avons discuté avec elle, Jessica Galanth et Camille Teste de la prise de parole sur la santé mentale dans l’espace public et des difficultés autour de ce sujet.