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SOMMAIRE DE LA NEWSLETTER :
[L’INSTANT CULTURE]
L’anorexie à l’écran • L’anorexie à l’écrit • L’anorexie d’un point de vue philosophique
[OÙ EN EST LA RECHERCHE ?]
L’anorexie, une addiction ? • Une évolution difficile • Le risque suicidaire • Ceux dont on parle peu
[BOÎTE À OUTILS]
Des questions pour faire le point
[LES COUPS DE COEUR DU SAFE SPACE]
Recos lecture • Nos contenus en lien avec les TCA • Ressources pour celleux qui ont besoin d’aide
Depuis l’apparition de la COVID, on constate dans les hôpitaux une augmentation importante (certains avancent le chiffre de +30%) des demandes de consultations spécialisées pour les troubles des conduites alimentaires : anorexie mentale, boulimie, hyperphagie boulimique sont les plus connus. Pour cette série thématique, nous vous proposons de nous intéresser de plus près à ces troubles psychiques.
Nous commencerons par celui qui est sans doute le plus tristement célèbre, l’anorexie mentale. C’est important de préciser mentale parce que l’anorexie, qui étymologiquement veut dire pas d’appétit, peut arriver en d’autres circonstances.
Pensez à votre dernier épisode de grippe ou de gastro-entérite, il est quasiment certain que pendant quelques jours vous ayez eu à manger à contrecœur, voire à jeûner. On a là le cas d’une anorexie qu’on peut expliquer par l’affaiblissement de l’organisme à la suite d’une infection.
Quand on précise que l’on parle de l’anorexie mentale, on prend soin d’exprimer que celle-ci n’est pas, à ce jour, explicable à l’aide de raisons que l’on peut objectiver, observer concrètement. Il s’agit d’une maladie mentale – d’un trouble psychique, comme on préfère dire aujourd’hui. C’est toute la complexité de la psychiatrie qui transparaît à travers ce besoin de précision. Ici, on comprend, mais on n’explique pas.
Pour faire bref, l’anorexie mentale se caractérise principalement par une restriction alimentaire stricte et une peur intense de grossir – en réalité, pour être plus précis d’un point de vue du sens profond, de prendre du poids. Mais, de ce dernier point, on reparlera un peu plus loin. |
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À L’ÉCRAN
Commençons par regarder un peu du côté du monde culturel. On le sait, beaucoup de nos représentations sont issues de la manière dont les concepts sont intégrés dans la culture : chansons, films, livres, etc.
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Un film récent sur le sujet et déjà culte gagne à être vu : To the bone (littéralement Jusqu’à l’os). Ellen, interprétée par Lile Collins, est une jeune femme dans sa vingtaine qui souffre d’anorexie mentale. On y voit de manière plutôt réaliste certains comportements liés à cette pathologie : de nombreux rituels, des obsessions, des évitements, des vérifications corporelles, etc. Nombreuses sont les faces cachées de l’anorexie mentale, qui ne se limite pas simplement à un appétit fortement diminué.
Quoique ce film permette de se représenter de manière plus visuelle comment le quotidien d’une personne souffrant d’anorexie peut être impacté sur de nombreux plans, il peut aussi être critiqué. En effet, pour représenter une telle situation de manière télégénique, il est assez fréquent de tomber dans une sorte de “glamourisation” de la maladie, qui permet aussi de moins affecter les spectateurs. Un reproche que l’on peut adresser à l’ensemble de l’industrie cinématographique et qui n’est, en tout cas, pas spécifique à ce film.
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Cela dit, un autre problème, plus grave, se pose à propos de ce film. En effet, Lily Colins, qui tient le rôle principal, a elle-même souffert d’anorexie mentale. On peut trouver louable de sa part de participer à la sensibilisation à cette maladie, cela dit elle a dû perdre beaucoup de poids pour incarner la jeune Ellen, c’est-à-dire qu’elle a dû renouer d’une certaine manière avec ses anciens démons, qui, rappelons-le, ne disparaissent jamais vraiment – bien qu’ils puissent être domptés.
Et vous qu’en pensez-vous d’un point de vue éthique ? Dites-le nous en répondant à cette newsletter !
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Le film Black Swan, bien que n’étant pas centré sur le thème de l’anorexie mentale, donne à voir un autre aspect intéressant de ce trouble : le perfectionnisme et le sur-engagement dans le travail ou les études, comme une manière de rehausser l’estime de soi.
On dit souvent que le mieux est l’ennemi du bien, et c’est finalement totalement applicable ici : en visant une perfection utopique, on n’atteint jamais son but. On y voit la lutte acharnée d’une personne contre des pressions tant internes qu’externes à aller toujours plus loin.
Le besoin de contrôle, la persévérance confinant à l’entêtement obsessionnel, et les conduites autodestructrices (drogue, automutilation, suicide) sont eux aussi au centre des mécanismes de pensée fréquemment rencontrés chez les personnes souffrant d’anorexie mentale. Le personnage principal interprété par Natalie Portman semble cela dit principalement affecté d’un trouble schizophrénique, qui n’est pas vraiment représenté de manière réaliste mais grossièrement caricaturale, et c’est un point que l’on peut regretter. Le réalisateur, Darren Aronofsky, est d’ailleurs un coutumier de la représentation des troubles psychiques à l’écran : on se rappellera notamment le célèbre Requiem for a Dream (consommation de drogue), le moins connu Pi (hallucinations, délire paranoïaque, abus de médicaments psychotropes) ou encore le récent The Whale (syndrome dépressif, hyperphagie, isolement social).
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LA QUESTION PHILOSOPHIQUE
Vous aurez remarqué que jusqu’ici nous avons utilisé le verbe souffrir pour parler de l’anorexie mentale. Or, ce n’est pas tout à fait précis, en tout cas, pas tout le temps. En effet, souffrir d’un trouble implique d’en avoir conscience. Or, une composante essentielle, et sans doute celle qui joue le plus sur le pronostic vital de la personne atteinte, est évidemment le déni.
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Là aussi, on vous propose cette réflexion et on serait très heureux de recevoir vos retours : peut-on souffrir d’une maladie sans en avoir conscience ? Que pensez-vous de l’idée de dire plutôt qu’une personne a des troubles des conduites alimentaires bien avant d’en souffrir ?
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Vous connaissez peut-être Delphine de Vigan, une autrice, scénariste et réalisatrice française primée à de nombreuses reprises. Elle a publié plusieurs ouvrages qui traitent de la maladie mentale.
Son premier roman, Jours sans faim, paru en 2001, est une « fiction autobiographique » selon l’autrice.
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Elle y évoque le combat d’une jeune femme contre l’anorexie mentale, dans un service hospitalier spécialisé. Ce qui est intéressant, c’est qu’elle l’a d’abord publié sous pseudonyme pour préserver sa famille. Encore un point de réflexion, à replacer dans le contexte de l’année de parution : dans quelle mesure pensez-vous qu’il est acceptable de se cacher et se censurer lorsque l’on veut témoigner de sa vie ?
Sur le thème de la maladie mentale, on ne peut que vous conseiller après cette lecture de lire un autre de ses ouvrages, paru en 2011, Rien ne s’oppose à la nuit, dans lequel elle dévoile que sa mère est atteinte d’un trouble bipolaire.
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Souvenez-vous. Dans l’introduction, on vous parlait d’une peur intense de prendre du poids. Des recherches remettent en cause cette hypothèse et ont tendance à basculer du côté de l’addiction à la minceur !
L’ANOREXIE : UNE ADDICTION ?
Nous évoquions tout à l’heure la peur de grossir chez les personnes atteintes d’anorexie mentale. Il a donc été testé dans des études utilisant des techniques de mesure des réactions émotionnelles (conductance cutanée) lorsque l’on montre à des personnes souffrant d’anorexie mentale des images de personnes en surpoids et des images de personnes en sous-poids. En effet, l’addiction, qui étymologiquement renvoie à l’idée d’être soumis à quelque chose, se définit comme la perte de contrôle et l’impossibilité de résister à un comportement que l’on sait délétère. Il y a donc deux composantes ici que l’on peut mettre en parallèle : la peur de « grossir » et l’addiction à la minceur. Les chercheurs mettent en avant une hypothèse génétique à cette particularité dans l’anorexie mentale.
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Cette étude sur 70 personnes a révélé que l’exposition visuelle au surpoids ne provoque pas d’émotion différente chez les patients souffrant d’anorexie et chez les personnes témoins sans trouble. En revanche, l’exposition visuelle au sous-poids était associée à une réaction émotionnelle considérée comme positive chez les personnes souffrant d’anorexie au contraire des personnes témoins.
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On voit sur ce graphique la valence des émotions éprouvées par les personnes souffrant d’anorexie (AN) et les personnes témoins (HC). Plus la valeur est élevée, plus la réaction émotionnelle peut être considérée comme positive. On y voit bien, que les images de personnes en surpoids (overweight) provoquent une réaction négative dans les deux groupes, avec une différence relativement faible. En revanche, les images de personnes en sous-poids (underweight) provoquent une réaction positive dans le groupe des personnes souffrant d’anorexie, ce qui n’est pas le cas chez les personnes témoins.
On peut lire le résumé de l’étude sur le site de l’INSERM (lien), et l’étude intégrale sur les bases bibliographiques scientifiques (lien).
L’anorexie mentale semble ainsi progressivement s’inscrire dans la famille des troubles addictifs, et des prises en charge par des addictologues se font de plus en plus fréquentes. C’est une piste récente pour la compréhension et l’explication de ces troubles.
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UNE ÉVOLUTION DIFFICILE…
Malgré leur prévalence, les troubles des conduites alimentaires ne font l’objet que de peu d’études scientifiques. Il semblerait même qu’ils fassent partie des troubles psychiques les moins étudiés, et ceux qui bénéficient du plus faible financement. Au Royaume-Uni, par exemple, le budget alloué à la recherche sur les troubles des conduites alimentaires représente 10x moins que celui alloué aux troubles psychotiques, pourtant beaucoup moins fréquents.
Il n’existe à ce jour pas de traitement médicamenteux indiqué spécifiquement pour l’anorexie mentale. En revanche, certains médicaments peuvent être utilisés pour diminuer le poids de certains symptômes dits comorbides (c’est-à-dire fréquemment associés), comme les symptômes dépressifs. Un traitement médicamenteux est aujourd’hui à l‘étude est le nalméfène, qui pourrait permettre de réduire la sensation de « craving » dans les addictions comportementales, dont feraient donc les troubles des conduites alimentaires selon les avancées de la recherche scientifique. Ce traitement est déjà utilisé pour des personnes dépendantes à l’alcool, en complément d’un soutien psychosocial.
Cela dit, les structures hospitalières changent progressivement leurs pratiques sur le territoire, en proposant des prises en charge pluridisciplinaires : psychiatrie, psychologie, diététique et nutrition, médecine somatique, … La psychothérapie tient une place de choix dans le maigre arsenal thérapeutique destiné à lutter contre l’anorexie mentale. Les thérapies familiales sont intéressantes puisqu’elles s’inscrivent dans le cadre d’une prise en charge globale du système dans lequel la personne évolue. En effet, les troubles mentaux ne sont pas uniquement des manifestations de dysfonctionnements neurobiologiques, mais ils sont liés à un concours de facteurs biologiques, psychologiques et socio-environnementaux.
La psychoéducation, l’éducation thérapeutique du patient ainsi que la pair-aidance se font une place progressive pour informer la personne en souffrance et son entourage à propos de la maladie, ses manifestations, ses conséquences. Malgré tout, une prise en charge sérieuse, adaptée et régulière dans une structure spécialisée est essentielle pour améliorer le pronostic et la qualité de vie de la personne en souffrance.
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La psychoéducation, l’éducation thérapeutique du patient ainsi que la pair-aidance se font une place progressive pour informer la personne en souffrance et son entourage à propos de la maladie, ses manifestations, ses conséquences.
Mickaël Worms-Ehrminger |
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LE RISQUE SUICIDAIRE
C’est un fait peu connu, tant l’anorexie mentale a pu être banalisée, voire valorisée et glamourisée dans certains milieux, comme celui de la mode (cf. Victoire Dauxerre, Jamais assez maigre). L’anorexie mentale est la maladie mentale la plus mortelle. En effet, un double risque se présente dans ce trouble, psychique et somatique. En effet, l’anorexie mentale est très souvent comorbide à un trouble dépressif qui peut devenir très sévère et mener à une crise suicidaire suivie d’un passage à l’acte et malheureusement la mort. De plus, les conséquences sur l’organisme de la dénutrition, de l’hyperactivité physique et mentale, mais aussi des conduites de purge qui peuvent être retrouvées dans le cas d’une anorexie mentale accompagnée de crise hyperphagiquehyperphagiques, sont très importantes et peuvent également conduire au décès si elles ne sont pas prises en charge rapidement, ou à des séquelles à long terme.
Depuis 2021, la France dispose d’une ligne nationale de prévention du suicide : le 3114. Elle permet ainsi aux personnes en crise suicidaire, à leurs proches ou à des professionnels ayant besoin d’informations sur la crise suicidaire de discuter avec des intervenants professionnels formés à la gestion du risque suicidaire. C’est une avancée, elle n’est pas spécifique à l’anorexie mentale, mais comme les conduites suicidaires peuvent être fréquentes dans les troubles des conduites alimentaires, il s’agit d’une ressource non négligeable.
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CEUX DONT ON PARLE PEU
Quand avez-vous entendu un homme parler de son anorexie mentale dernièrement ? En avez-vous déjà entendu un seul dans votre vie, d’ailleurs ? Les hommes ont tendance à ne pas évoquer le sujet de leur santé mentale et de leurs troubles mentaux. Cela est notamment dû au poids culturel de l’image de l’infaillibilité masculine. Pour beaucoup, être atteint d’un trouble de santé mentale est encore synonyme de faiblesse. Par ailleurs, la reconnaissance et l’expression des émotions est rarement quelque chose de valorisé dans la gent masculine, et ce dès la petite enfance : on voit encore beaucoup de différences genrées dans l’éducation des enfants.
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Dans mon cas, j’ai choisi de témoigner pour tenter de démocratiser la parole des hommes sur la santé mentale et sur ces troubles considérés comme féminins.
Mickaël Worms-Ehrminger |
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Avec l’évolution de nos sociétés vers plus d’inclusivité et de dilution des barrières socio-culturelles de genre, certains hommes commencent à s’exprimer. Cela dit, encore peu de professionnels sont pleinement conscients que les troubles des conduites alimentaires peuvent concerner aussi les hommes, ce qui peut mener à des impasses diagnostiques et thérapeutiques ! En effet, la statistique qui circule encore beaucoup veut que 9 personnes sur 10 souffrant de troubles des conduites alimentaires seraient des femmes. Or, on parle là de personnes qui consultent et sont diagnostiquées. La consultation spécialisée étant plus difficile d’accès pour les hommes, en raison de nombreux facteurs, il n’est donc pas possible à l’heure actuelle de disposer d’information fiable sur la part des hommes dans les personnes atteintes de troubles des conduites alimentaires : et c’est sans doute beaucoup plus que 1 sur 10 !
Dans mon cas, j’ai choisi de témoigner pour tenter de démocratiser la parole des hommes sur la santé mentale et sur ces troubles considérés comme féminins. Or, cela reste souvent difficilement compris, y compris par certains professionnels de santé : j’ai dû négocier avec mon médecin généraliste pour solliciter une hospitalisation d’évaluation car il ne pensait pas possible que je souffre d’un tel trouble, alors que j’avais perdu énormément de poids, et de manière très visible. Un comble !
Mais là aussi, les choses avancent lentement mais sûrement et nous ne pouvons avoir que de l’espoir pour les années à venir sur la sensibilisation des hommes aux questions de santé mentale, et finalement de santé tout court.
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Vos réponses vous donnent un premier éclairage et des premières pistes de réflexion, des points d’attention. Si vous vous rendez compte que ces réponses sont susceptibles de poser problème, il est essentiel de se tourner vers un professionnel de santé qualifié avec un diplôme reconnu par les autorités : psychiatrie, médecin généraliste, diététicien-nutritionniste, pour les principaux concernés par les troubles des conduites alimentaires. Cela dit, seul un médecin (généraliste ou psychiatre, en général) sera à même de poser un diagnostic et vous orienter vers une prise en charge médicamenteuse ou en thérapie, voire, si nécessaire, vers une hospitalisation spécialisée.
Vous avez du mal à franchir le cap de la consultation ? Vous pouvez commencer par joindre la ligne d’écoute de la FFAB dont vous trouverez le numéro ci-dessous, ou encore consulter les ressources à la fin de ce Safe Space.
Et de manière plus introspective, faire une balance décisionnelle :
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A priori, vous devriez vous rendre compte qu’il y a plus de raisons de changer que de rester dans un statu quo qui pourrait s’aggraver si un accompagnement n’est pas mis en place à temps. Faites-vous confiance, et n’ayez pas honte. Les professionnels sont là pour ça 🙂
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J’espère que cette newsletter vous aura été utile. Si vous avez des idées de sujet ou des questions, envoyez-moi un e-mail. Je vous dis à la prochaine.
D’ici là gardez la pêche.
Christelle.
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