LAUREN BASTIDE : Bonjour Christelle, je suis très honorée d’être reçue dans mūsae. C’est très bien résumé. C’est tout ce que j’ai voulu exprimer car il y a une urgence de ralentir. Ce livre, je l’ai écrit en 2023, l’année où j’ai compris que le ralentissement m’était vital pour apprendre à mieux gérer ma vie. Mais aussi parce que le monde va vite. On va tous·tes vite. On marche vite dans la rue. On consomme de l’information extrêmement vite. On a aussi l’impression globale d’une accélération du temps, de l’histoire, de l’actualité. De plus, je suis une personne qui va très vite dans ma tête. Ce sont des choses qui m’ont été diagnostiquées récemment.
NDLR : Lauren Bastide a été diagnostiquée TDAH.
L.B : Cette phrase est effectivement importante pour moi dans le texte. Disons que dans mon cas, m’isoler c’est une étape pour atteindre la résilience. Le fait de renoncer à certaines interactions sociales ça ne va pas de soi. J’ai l’impression aussi, en tout cas moi particulièrement c’est peut-être aussi quelque chose qui est induit par mon genre que j’ai été vraiment poussé dans le sens de la sociabilité. Il faut se montrer, être souriante, être présente, dire aux gens je vais bien etc… Le nombre de fois ces dernières années où j’ai fait ce genre de gestes en étant dans le déni absolu de mes véritables émotions. Je vais à présent choisir avec soin mes interactions sociales et m’allouer du temps pour être avec moi.
D’ailleurs dans ces moments où on se retrouve seul·e avec soi-même, on peut passer par des moments difficiles, avec des émotions compliquées à gérer. C’est quelque chose que j’entends souvent dans les récits de parcours de santé mentale. On traverse d’abord une période où on a le sentiment d’aller encore plus mal et on a presque envie de renoncer. Mais une fois qu’on a traversé, ce creux, on rentre dans un dialogue apaisé avec soi-même.
L.B : Tout à fait. Moi par exemple je n’ai jamais fait mystère de ma consommation de cannabis. Aujourd’hui je l’ai vraiment éliminée. Mais je ne vais pas blâmer la Lauren d’autrefois qui l’a utilisé pour dormir, pour calmer son anxiété, pour s’obliger à s’asseoir. Je ne fais pas la promotion du cannabis attention. Ce n’est vraiment pas bon pour la santé mentale. Mais ça a été un mécanisme qui m’a permis de me débrouiller dans la vie. Tout comme je pense que parfois des explosions de colère ou des moments de crise sont aussi des mécanismes de défense. Je pense qu’il faut aussi faire preuve d’indulgence pour ce qu’on est tout le long de ce chemin.
L.B : Je suis née dans les années en 1980. Autant vous dire qu’à cette époque on ne parlait pas du tout de santé mentale. J’ai compris très tardivement que j’avais une grand-mère qui était atteinte de troubles bipolaires. À l’époque on disait maniaco-dépressive. Ma grand-mère avait un rôle important dans ma vie, elle me gardait très souvent. C’était toujours elle qui était à la maison. Et c’est vrai que j’avais cette grand-mère très taciturne, avec des petites sautes d’humeur. Parfois il fallait lui faire une piqûre pour qu’elle aille bien. Je savais que régulièrement on l’envoyait en maison de repos. Mais on ne m’a jamais vraiment expliqué de quoi elle souffrait. C’est quand j’ai commencé à identifier mes propres troubles de santé mentale que j’ai commencé à remonter dans l’arbre généalogique. J’ai compris que finalement j’avais été confrontée à ces questions très jeune et mais que c’était tabou. Ma propre mère qui a grandi avec une maman bipolaire n’en a jamais parlé. Elle m’a transmis ce tabou. Et je pense que c’est aussi très symbolique de la façon dont finalement on met ses problèmes sous le tapis.
L.B : Ça me fait penser quand j’ai aussi lancé La Poudre. Le mot féminisme était également un gros mot .C’est du même ordre. Et pourtant le fait qu’on me diagnostique un TDAH, (un trouble de l’attention avec hyperactivité diagnostiquée), ça m’a vraiment changé la vie. Ça m’a permis de vraiment comprendre et aussi de dédramatiser des grands moments de mal-être que j’avais pu ressentir en me disant “mon dieu mais j’ai un énorme problème je suis complètement folle, je n’arrive pas à vivre”. Alors qu’en fait non, il y a des explications très rationnelles. Il y a un vrai travail de sensibilisation à faire sur la santé mentale comme on a dû le faire sur le féminisme. Je pense que ce que vous avez fait avec mūsae depuis trois ans et moi ce que j’ai envie de commencer à faire, c’est de mettre dans l’espace public un maximum de récits, un maximum de personnes qui partagent leur vécu. Parce que plus on sera nombreux·ses à le dire, plus la santé mentale existera.
LB : Avc grand plaisir. Moi c’est clairement la réflexion féministe qui m’a amené à la santé mentale. Je me suis rendu compte qu’au fil de mes interviews, je me suis retrouvée à parler de santé mentale, qu’il s’agisse de violences sexuelles, de dépression, du post-partum ou alors une séparation ou alors “juste” le chaos de la vie et de toutes les violences qu’on peut subir lorsqu’on est une femme. Bien souvent, mes invitées sortaient du podcast en me disant j’ai l’impression de sortir de chez la psy. Ça m’a fait tellement de bien de parler à la première personne, d’exprimer des émotions, d’avoir l’espace pour le faire. Par effet miroir, le fait de le faire a également eu un impact sur moi. M’obliger à m’interroger sur mes propres émotions, sur mes propres vécus et sur mon parcours. Donc bientôt, je lance le podcast Folie Douce. Je vais faire la même chose que dans La Poudre c’est-à-dire recevoir des personnalités, des artistes, des écrivaines, mais aussi des hommes.
Parce qu’entendre une autrice qu’on admire, un chanteur qu’on écoute pour parler de la dépression ou encore des médicaments ça normalise. Folie Douce, ça sera à nouveau des entretiens en profondeur avec toute la bienveillance que j’ai essayé de mettre dans mes interviews de La Poudre et que je veux continuer à transmettre à travers ce podcast. Ça sera aussi une newsletter dans laquelle je veux recommander principalement des lectures parce que c’est aussi ce que j’aime faire et ce que je sais faire. C’est-à-dire lire des livres et donner envie de les lire.
LB : J’ai simplement décidé de dire “le podcast pour libérer la parole sur la santé mentale”. Parce que je connais l’impact que ça quand des personnalités prennent la parole sur des sujets sociétaux. J’en reviens toujours à ce que La Poudre a produit comme effet. Il y a eu des épisodes qui étaient des tables rondes, où on parlait vraiment des questions politiques mais les épisodes qui ont eu un impact très fort, ce sont ces épisodes où simplement vous aviez une femme qui se racontait à la première personne sans forcément de discours politique, de grands de chiffres, ou de grands slogans.
L.B : Complètement. On va retrouver dans la santé mentale les mêmes mécanismes que dans la réflexion féministe. J’espère qu’on va en faire une vraie question politique ces prochaines années ensemble et dépasser effectivement les discours sur le bien-être qui malheureusement concerne concrètement qu’une poignée de personnes.
L.B : Je pense que c’est un enjeu important mais je dirais quand même que le principal blocage est celui de la vulnérabilité. Je sais que personnellement j’ai mis tellement longtemps à parler de mes propres dossiers. J’ai commencé La Poudre en 2016 et j’ai commencé à parler fait que ma sœur avait été assassinée par un homme et du stress post-traumatique que je vivais suite à sa mort violente seulement en 2020. Et quand on n’y pense c’est quand même hallucinant. J’étais devenue une voix, une journaliste référente sur les questions de genre en France et je n’étais pas capable d’énoncer le fait que dans ma propre famille un féminicide avait eu lieu. Cela montre aussi à quel point les mécanismes étaient ancrés en moi. Je ne vous dirai jamais que je vais mal. Je ne vous dirai jamais que je fais une dépression. Je ne vous dirai jamais que je pète des câbles et que je suis mal dans ma peau. Je ne vous le dirai pas. Je continuerai à être forte, parfaite, à être cette personne qui cache toutes les cases etc. Les héros sont des personnes qui sont fortes et qui sont endurantes. Or ce système de valeurs c’est un système de valeurs sexistes. C’est un système de valeur qui met la force au-dessus la vulnérabilité. D’ailleurs la pensée du “care” vient de Carole Gilligan qui est psychologue.
Il y a tout un système, une structuration qu’on pourrait appeler validiste ou “psychophobe” qui fait que toute personne qui présente le moindre début de dysfonctionnement va être disqualifiée. Or je ne connais pas une seule personne dans mon entourage qui n’a pas eu au moins un moment dans sa vie, un épisode dépressif, un burn-out, une insomnie, une addiction, un deuil difficile… Tout le monde connaît ces dysfonctionnements. Tout le monde avance masqué, verrouillé, avec la honte absolue d’en parler. Donc voilà je pense qu’ au-delà de cette structuration sociale dont on vient de parler, je pense qu’il y a aussi un énorme tabou culturel qui pour le coup est vraiment, vraiment partagé par tout le monde. Et c’est aussi pour ça que j’avais envie de donner la parole à des hommes dans Folie Douce. Parce que je pense que peut-être que les femmes, et surtout les femmes féministes, on commence à être un peu pionnières sur ces questions-là. Mais il faut absolument qu’il y ait des hommes aussi qui viennent parler de leur vulnérabilité et qui viennent aussi dire publiquement qu’ils ne sont pas des espèces de robot sur performants qu’on voudrait qu’ils soient.
L.B : Exactement. Je crois que j’écris cette phrase après un discours où j’avais entendu un académicien entré à l’Académie française en se servant de l’escargot comme l’espèce de symbole ou d’allégorie de la lâcheté. L’escargot est obsédé par sa propre sécurité. Il rentre dans sa propre coquille quand il a peur. Je me suis dit mais c’est tellement fasciste d’écrire ça. Et en même temps il est fascinant l’escargot car il est mou. Il n’a pas de vertèbres. Il a cette espèce de faculté intuitive innée à se rétracter dans sa coquille instantanément en cas de danger, s’il y a un coup de vent trop violent, s’il fait trop chaud, s’il fait trop froid, s’il a peur. Ça me fascine. J’ai commencé à écrire ce livre parce que je rêvais d’une coquille
LB : Je dis sans hésiter mon psy! Je continue à le voir, une fois par semaine. Ça a longtemps été deux fois par semaine. Il pratique la thérapie comportementale et cognitive. J’ai été j’ai été suivi par énormément de thérapeutes. Voilà j’ai vu j’ai des psychanalyses et des psychanalystes pendant quasiment 15 ans après la mort de ma sœur et jamais personne ne m’a aidé. C’est quand même dingue que les 15 thérapeutes que j’ai vus n’ont jamais réussi à mettre le doigt sur mon TDAH !
Ce que j’aime dans les TCC c’est le fait que la/le thérapeute se mette au niveau de la/du patient·e. Il ne se pose pas en expert tout-puissant. Il nous accompagne et nous met en action. Il m’a dit lis, ce bouquin, regarde cette vidéo etc… Il m’a beaucoup nourri. Cela m’a aidé de me sentir vraiment en possession de moi-même. Progressivement, je me suis même miss à identifier les signes précurseurs de crise. Là où autrefois les choses me tombaient dessus du jour au lendemain. Ceci me permet d’éviter des réactions impulsives en remettant à plus tard certaines choses. Vraiment je n’ai plus du tout le même quotidien qu’il y a deux ans et c’est génial ! L’impact est radical pour soi-même et pour notre entourage.
LB : Oui c’est ça, c’est vraiment la suite logique. D’ailleurs ça fait sourire mon psy justement. J’ai aussi envie de me dévoiler dans les interviews même si je vais garder un angle journalistique, je pense que je vais quand même plus parler de moi.
LB : Merci infiniment Christelle et merci à mūsae d’avoir ouvert la voie sur ces questions. Et je veux que ce soit gravé dans le marbre, aujourd’hui il n’y a que sur mūsae où nous pouvons trouver des informations fiables sur la santé mentale. Je suis très honorée d’être lancée par mūsae qui est le média pionnier sur le sujet.
Après le succès du podcast La Poudre; retrouvez Folie Douce à partir du 1er février, une série de conversations autour de la santé mentale avec des artistes,
activistes, auteurs, autrices et personnalités en tout genre. À retrouver en podcast et en newsletter. Crédit photo : Luna Harst.
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J’espère que cette newsletter vous aura été utile. Si vous avez des idées de sujet ou des questions, envoyez-moi un e-mail. Je vous dis à la prochaine.
D’ici là gardez la pêche.
Christelle.
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