SOMMAIRE
I. On pose les bases
II. Les grandes familles de troubles dépressifs
III. Ce que la dépression fait à la vie quotidienne
IV. Qui est concerné ?
V. Pourquoi n’est-elle pas considérée comme une maladie comme les autres ?
VI. Mythe ou réalité ?
VII. Comment savoir si j’ai une dépression ?
Salut, nous sommes le lundi 15 janvier 2024 et nous sommes le jour le plus déprimant de l’année : le fameux “Blue Monday”. En réalité cette légende urbaine a été créée en 2005 par Sky Travel, une chaîne de télévision de voyage britannique. Pour autant, saviez-vous que la dépression est la seconde cause d’invalidité dans le monde ? Malgré un coup de projecteur mis sur la santé depuis 2020, ce trouble psychique demeure largement méconnu et stigmatisé. L’année dernière, nous vous avions sollicité pour savoir quels étaient les sujets sur lesquels vous souhaitiez avoir davantage d’informations scientifiques et médicales. Le sujet de la dépression est arrivé en tête avec les troubles des conduites alimentaires (TCA) que nous aborderons dans deux semaines dans le safe space. Mais pour débuter, posons les bases et essayons de comprendre pourquoi la dépression est encore un sujet.
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• Invisible, la dépression reste abstraite pour ceux qui ont eu la chance de ne pas en souffrir
• Indicible, il est compliqué pour celleux qui en souffrent de mettre des mots sur leurs maux et d’en parler autour d’elleux, y compris avec leurs proches.
• Stigmatisante, la dépression est souvent perçue comme le syndrome “des faibles” dans nos sociétés performatives.
Le trouble dépressif peut donc être vécu comme une triple peine alliant souffrance, isolement et incompréhension.
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La dépression est la seconde source
d’invalidité dans le monde
The Lancet Psychiatry, février 2022
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Contrairement aux idées reçues, la dépression est un problème de santé fréquent. Elle ne se confond pas avec la tristesse, la misère ou le désespoir lié aux épreuves d’adversité. Ce n’est pas non plus une simple baisse de moral (fluctuation normale de l’humeur), le fameux “coup de déprime” trop souvent employé pour la décrire. La dépression s’installe dans le temps et bloque la personne dans une humeur unique, basse, restreignant son répertoire émotionnel.
Contrairement au coup de déprime, une dépression se définit par la persistance pendant plus de 2 semaines d’émotions négatives (en ce qu’elles sont pénibles à vivre), de perte d’intérêt pour à peu près tout (en particulier les choses – et les personnes ! – Que l’on aimait), associés à des troubles du sommeil, de l’appétit, de la libido, à une diminution des capacités cognitives (concentration, mémoire, planification, etc.)
Surtout, ces symptômes sont source de souffrance pour la personne et marquent un changement par rapport à sa façon de vivre et sa personnalité initiale.
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Plus encore que pour d’autres maladies mentales, la définition de la dépression fait débat : la psychiatrie est parfois suspectée de “pathologiser” la tristesse normale, avec pour conséquence d’exposer des personnes à des traitements (psychothérapies, médicaments, etc.) dont elles n’auraient pas besoin*. Grâce à la recherche sur les maladies psychiatriques mais aussi sur le fonctionnement physiologique et psychologique “normal”, les classifications des maladies et les diagnostics évoluent pour mieux distinguer ce qui relève d’une variation de la « normalité » (diversité) de processus pathologiques.
*Alan Wakefield, Horwitz et Jerome C. Wakfield. Tristesse ou dépression, comment la psychiatrie a médicalisé nos tristesses
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Le philosophe J. Wakefield a ainsi proposé en 2006 de définir les maladies comme des dysfonctionnements néfastes (“harmful dysfunction”). Pour Wakefield, les deux termes sont importants car il peut y avoir des dysfonctionnements non néfastes pour la personne. Wakefield prend l’exemple de quelqu’un qui serait né avec une phalange en moins sur un pouce et qui vivrait sans ressentir de manque. À l’inverse, il peut également y avoir des fonctionnements normaux qui sont vécus comme néfastes (comme par exemple le désespoir d’un deuil).
Dans tous les cas, la dépression est une entité hétérogène avec des combinaisons variées des symptômes, ainsi que des degrés de sévérité et des trajectoires de vie différents. C’est pourquoi dans la psychiatrie nous parlons plutôt de “troubles dépressifs” et d’épisode dépressif caractérisé”plutôt que de “dépression”.
Concernant les causes de la dépression, les scientifiques pensent que, comme pour d’autres maladies, l’apparition du trouble est multi-factorielle. C’est-à-dire qu’il faut qu’un ensemble de conditions soit réuni pour qu’émerge la dépression : une vulnérabilité biologique (une fragilité qui rend plus probable l’apparition de la dépression), des facteurs psycho-sociaux personnels et environnementaux. Certains évènements de vie précipitent l’apparition d’une dépression, (goutte d’eau qui fait déborder le vase”).
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La dépression est un trouble de l’humeur, si mystérieusement douloureux et insaisissable dans la manière dont il se manifeste à soi-même, à l’intellect médiateur, qu’il frôle l’indescriptible. Il demeure presque incompréhensible pour celleux qui ne l’ont pas vécue dans sa forme extrême.
William Styron (Darkness visible, 1990).
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L’épisode dépressif caractérisé (nom médical actuel de la dépression) se retrouve dans plusieurs contextes et sous plusieurs formes.
Le trouble dépressif majeur est le nom d’une maladie qui se manifeste par des épisodes dépressifs caractérisés récurrents, plus ou moins longs et plus ou moins rapprochés. Entre les épisodes, la personne est “euthymique”, c’est-à-dire qu’elle a une humeur “normale” (oscillations d’intensité et de durée normale pour cette personne qui ne sont pas source de souffrance ou d’incapacité dans la vie quotidienne). Lorsqu’un épisode dure plus de deux ans, on parle de “trouble dépressif persistant”.
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LA DÉPRESSION PSYCHOTIQUE
On va au-delà du “pessimisme classique” de la dépression, on parle ici d’idées délirantes, de culpabilité, de sentiment de catastrophe imminente, d’idées de persécution défiant tout “sens commun”. C’est le cas par exemple de certaines dépressions associées au trouble bipolaire de type 1 dont on parlera lors d’une newsletter dédiée.
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LA DÉPRESSION « MASQUÉE »
La dépression “masquée” qui est peu visible par les personnes qui la vivent et leurs proches. Ceci peut être dû à des facteurs socioculturels : le tabou sur le sujet est trop présent et la personne fait tout ce qui est en son possible pour maintenir sa présentation habituelle ou alors a des difficultés à décrire ce qu’elle est en train de vivre et ressentir.
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LA DÉPRESSION HORMONALE
• Les troubles SPM : quelques jours avant leurs règles certaines femmes peuvent éprouver des symptômes typiques de dépression jusqu’aux idées et comportements suicidaires.
• La dépression post-partum (à ne pas confondre avec le baby blues qui dure seulement quelques jours). Dans l’année qui suit l’accouchement certaines femmes rencontrent un épisode typique de dépression caractérisé par une humeur triste, une fatigue importante (souvent majorée par le manque de sommeil en lien avec les réveils nocturnes nécessaires pour les soins de l’enfant), des idées de culpabilité, de dévalorisation, de l’anxiété, une plus grande difficulté à réaliser les tâches de la vie quotidienne, un manque d’envie et une difficulté à éprouver du plaisir dans les activités qui étaient plaisantes jusqu’alors. Sont présents aussi des sentiments agressifs envers l’entourage et le bébé, générant une culpabilité encore plus grande. On vous invite à lire notre newsletter à ce sujet.
• La dépression liée à la ménopause.
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LA DÉPRESSION SAISONNIÈRE
Ce sont des dépressions qui ne surviennent que lorsque les journées sont courtes (en général entre début novembre et fin février). Certaines personnes sont très sensibles à la variation lumineuse qui est un synchroniseur du cycle veille/sommeil et qui joue sur l’humeur. La luminothérapie est une excellente indication.
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Dépression s’enfermer ou s’en sortir. Antoine Pelissolo, 2017
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La dépression a un impact négatif sur notre vie de tous les jours : dans nos relations à nos proches, à notre travail, au monde. Elle a tendance à favoriser l’isolement et l’incompréhension de notre entourage. Au-delà des symptômes cliniques, la dépression peut être un trouble particulièrement lourd à vivre dans les sphères intimes comme sociales en raison de symptômes stigmatisants qui isolent socialement. Néanmoins ce sont des éléments qui sont encore trop peu analysés dans le monde de la recherche. En 2020, la Docteure Astrid Chevance a mis en place une étude qui mettait en lumière les situations, les émotions et les symptômes réellement handicapants pour les personnes qui souffrent de dépression.
L’un des éléments le plus bloquants dans la vie quotidienne c’est le fait de ne plus parvenir à maintenir une routine qui peut sembler anodine pour le commun des mortel·les. « Le pire, c’est ma faiblesse. Je n’ai aucune énergie, je ressens une fatigue abyssale. Je ne peux pas sortir de mon lit. Je ne peux rien faire de ma journée, et je ne vois pas d’issue à cela. »*
La culpabilité et le manque d’estime de soi sont aussi des véritables poisons dans nos relations sociales et intimes. «Je ressentais que je n’avais aucune valeur, que j’étais inutile et je ne méritais pas d’être aimé. Je méritais d’être blâmée même quand j’agissais bien. Je me détestais continuellement et sans raison. »*
Parfois la dépression peut également nous faire vivre des situations gênantes, ou plutôt qui sont considérées comme étant inacceptables d’autant plus dans l’espace public ou professionnel. « Pour moi, le pire était d’être incapable de contrôler mes pleurs en public et la façon dont les gens vous voient après, surtout professionnellement : vous perdez toute forme de crédibilité. »*
Et puis, finalement souffrir d’épisodes dépressifs lorsqu’ils sont fréquents et intenses nous coupe du monde social, parfois on ne s’en rend même plus compte jusqu’au moment où ça va mieux. «L’isolement social et la solitude sont les pires choses à vivre. Quand je me suis rétablie et que j’ai pu me reconnecter socialement, j’ai réalisé à quel point l’isolement social m’a fait perdre. J’ai dû réapprendre une multitude de petites choses du quotidien. »*
L’engagement de la Dr. Astrid Chevance contre la dépression transparaît dans ses publications et projets de recherche. Aujourd’hui, elle poursuit son combat contre les troubles dépressifs avec ComPare Dépression, un projet de recherche publique qui fédère la plus grande communauté de patient•es touché•es par la dépression, pour mieux la comprendre, la guérir, et ainsi améliorer la vie de près d’1 français•e sur 5.*
*Identifying outcomes for depression that matter to patients, informal caregivers, and health-care professionals. The Lancet 2020. |
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UN RÉCAPITULATIF DES SYMPTÔMES
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• L’humeur triste et dépressive, qui peut se manifester à travers :
– Des pleurs fréquents et “sans raison” (par exemple faire tomber un objet par terre).
– Ou au contraire un blocage des pleurs, un visage fermé et crispé.
– L’irritabilité et des crises de colère (chez les jeunes et les personnes âgées).• L’anhédonie : la perte du plaisir et de toute forme d’intérêt pour toute activité (perte d’appétit alimentaire, perte d’envie sexuelle et relationnelle).
• Se sentir fatigué et manquer d’énergie : tout devient insurmontable y compris les tâches du quotidien. On culpabilise alors pour tout.
• Les troubles du sommeil (réveils nocturnes au milieu de la nuit et
rendormissement au petit matin par exemple)
• Une vision négative de la vie et de soi
• Idées suicidaires et conduites suicidaires
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À noter que les personnes de sexe masculin auront plutôt tendance à montrer des signes d’irascibilité et d’impulsivité ou des troubles liés à la consommation d’alcool tandis que les personnes de sexe féminin rapporteront de manière plus fréquente des troubles de l’humeur ou des perturbations de l’appétit.
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En France, en 2021, 13,3% des personnes âgées de 18-75 ans auraient vécu un épisode dépressif caractérisé au cours des 12 derniers mois. Ce qui représente près de 20 millions de personnes en France. C’est loin d’être anodin !
Je tiens à préciser que les troubles dépressifs concernent avant tout les personnes vulnérables : les 18-24 ans, les femmes, les personnes vivant seules, les familles monoparentales, tout comme celles qui ne se déclaraient pas à l’aise financièrement ou au chômage. Le risque de vivre un épisode dépressif caractérisé s’est cristallisé avec le COVID-19 car il a augmenté la précarité, l’isolement social et l’accès aux soins.
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13,3%
des 18-75 ans auraient vécu un épisode dépressif caractérisé au cours des 12 derniers mois en France.
Santé Publique France, 2021
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Les populations en vulnérabilité économique : la plus forte hausse d’épisode de dépression caractérisé avant et après le COVID a été observée chez les personnes se déclarant « juste » vis-à-vis de leurs ressources économiques (+5,5 points entre 2017 et 2021).
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Parce que ses manifestations sont hétérogènes : par exemple certaines personnes vont avoir tendance à manger plus et prendre du poids là ou d’autres au contraire vont maigrir et perdre du poids. Certain.e.s vont avoir la tristesse comme émotion négative au premier plan alors que pour d’autres c’est l’irritabilité qui primera. Les symptômes, ou plutôt, les manifestations de la dépression varient selon les personnes. De même, ce dont les personnes se plaignent le plus est aussi varié : certain.e.s vont être plus sensible aux troubles de la mémoire, d’autres à la perte de sommeil, etc. En réalité les symptômes de la dépression sont très hétérogènes et contribuent à invisibiliser la maladie en étant essentiellement cognitifs et émotionnels. De plus, les personnes font souvent des efforts extrêmes pour dissimuler leurs symptômes. En réalité, si on prête vraiment attention à l’autre, la dépression se laisse voir : ralentissement, figement du visage, voix monocorde, etc.
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Plus récemment le comédien, influenceur et rappeur Thomas Goldberg a pris la parole à travers son livre “Promis, ça va aller” pour briser les tabous de la dépression chez les hommes.
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Parce qu’elle est indicible : beaucoup de personnes témoignent qu’il faut l’avoir vécue pour réellement la comprendre. Décrire la dépression relève d’une difficulté importante, et les personnes en étant atteintes emploient souvent des images, des métaphores (l’abîme, le tunnel, etc). Beaucoup d’artistes et d’écrivains qui ont (sur)vécu à la dépression ont voulu ensuite en témoigner par leur art. Vous pouvez lire les classiques comme Bonjour Tristesse de Françoise Sagan ou alors La Nausée de Jean-Paul Sartre qui permet de mettre la dépression en mots avec son héros Roquentin : « Est-ce que je connais des raisons de vivre ? Je ne suis pas, comme elle, désespérée, parce que je n’attendais pas grand-chose. Je suis plutôt… étonné devant cette vie qui m’est donnée – donnée pour rien. »
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« LA DÉPRESSION EST UNE INVENTION RÉCENTE »
Mythe ! Parmi les textes médicaux historiques on trouve des descriptions de ce que l’on appelle aujourd’hui “dépression”. Par exemple la mélancolie, terme ancien de la dépression, vient du grec melan (noir) et colie (bile). En effet, pour les Grecs de l’Antiquité, comme Hippocrate (père de la médecine), les troubles de l’humeur étaient provoqués par un excès de bile noire d’où l’expression “se faire de la bile”. Au Moyen-Âge, l’acédie qui décrit la perte du goût de vivre jusqu’à ne plus croire en Dieu et à vouloir mourir ressemble aussi à notre dépression contemporaine. La mélancolie est de nouveau le terme utilisé à partir de la renaissance jusqu’à nos jours, quoiqu’elle pût être utilisée plus généralement comme un synonyme de folie.
« LA DÉPRESSION EST UNE INVENTION DE L’OCCIDENT »
Mythe ! La dépression en tant que tableau clinique existe partout dans le monde. En revanche, ses symptômes peuvent varier, son expression aussi. C’est surtout l’interprétation qui en est faite et les façons de la traiter qui diffèrent selon les pays. La médecine chinoise dispose depuis des siècles des descriptions de personnes que l’on diagnostiquerait avec la médecine occidentale comme déprimée.
« LA DÉPRESSION C’EST DANS LA TÊTE »
Mythe et… réalité ! En effet, c’est une affection qui touche principalement les pensées, les émotions et les cognitions. Mais pas que : elle a aussi des répercussions physiques. Elle est une maladie multifactorielle entraînant des diabètes, des maladies cardiovasculaires, des maladies infectieuses, etc.
« SOUFFRIR DE DÉPRESSION, C’EST À VIE »
Mythe ! Heureusement, parmi les personnes souffrant de dépression, certaines personnes (30%) ne feront qu’un seul épisode au cours de leur vie. Seulement 10% des personnes auront une forme chronique, c’est-à-dire qui dure plus de 2 ans (on parle de dépression persistante) et le reste connaîtra, deux, trois ou plusieurs autres épisodes (on parle de trouble dépressif majeur). On peut donc guérir d’un épisode, stabiliser un trouble dépressif majeur, se rétablir d’une dépression chronique.
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« Et toi, ça va ? »
Court métrage du Dr. Astrid Chevance en collaboration avec la Fondation Pierre Deniker
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