Lorsque nous sommes anxieux·se, nous nous mettons à anticiper tout ce qu’on doit ressentir et les manifestations de tout ça sont souvent très similaires. Le cœur s’accélère. La transpiration apparaît. Tous ces symptômes montrent que nous sommes en alerte, prêt·es à réagir. Quand le cœur s’accélère, c’est parce que nous avons besoin de nous battre contre un prédateur. Nous avons finalement le même cœur et le même cerveau que les hommes des cavernes qui vivaient en milieu hostile. Aujourd’hui, nous continuons à détecter le danger et à tenter d’y répondre. Dans l’esprit, c’est cette fameuse alerte : « je me mets en éveil parce que je ne sais pas ce qui va me tomber dessus. Je surveille et je suis prêt à bondir ou à réagir et ça”. Et puis le dernier point dans ces phénomènes d’anxiété, c’est le comportement. On peut avoir un comportement de retrait ou d’agitation quand on est anxieux·se.
L’angoisse, c’est moins facile à définir précisément. En médecine, on utilise peu ce terme. Mais dans le langage courant, cela pourrait être : « je ne me sens pas bien et je ne sais pas pourquoi ». Comme s’il y avait un danger, mais on ne sait pas quoi. Dans chacune de ces manifestations, on peut avoir des degrés tout à fait normaux, on est tou·tes anxieux, heureusement qu’on a cette émotion-là qui nous permet de se préparer à des choses plus ou moins dangereuses. Il n’y aurait pas d’espèce humaine si on n’avait pas ce réflexe de défense qui passe par la peur. Mais ça peut être tout à fait normal comme ça peut être un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, perturbant et douloureux. Nous évoquons assez peu la douleur morale de l’anxiété. Pourtant elle existe vraiment et elle peut générer des troubles paniques et donc de l’anxiété sociale.
Pour définir l’anxiété sociale en deux mots, je dirai que c’est la peur du jugement et du regard négatif des autres. On a peur d’être blessant·e, d’être rejeté·e parce qu’on ne se sent pas comme les autres, ou comme il faut. Ça génère souvent de la honte et c’est malheureusement ça qui est le plus douloureux. Donc on n’en parle pas. On se replie sur soi-même. C’est la base de la timidité.
Environ 5%
C’est la part de la population française souffrant
d’anxiété sociale.
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POPSLAY, À QUEL MOMENT L’ANXIÉTÉ SOCIALE EST APPARUE DANS TA VIE ?
POPSLAY : Tout petit déjà, je faisais des stratégies d’évitement. Je ne voulais pas sortir de la voiture pour dire bonjour. J’ai toujours rêvé de faire de la musique, de faire du solfège et déjà à cette période-là, j’avais ce stress de me dire « je vais aller au solfège, je vais être confronté au regard des autres, je vais devoir potentiellement chanter devant eux ». Ça me rendait très anxieux. La solution est alors très simple : je ne le faisais pas, comme ça, j’étais tranquille dans ma tête. Mais ce n’était qu’un sentiment fugace. Ça a cultivé le cercle vicieux de mes angoisses. Parce que moins on se confronte à ce qui nous fait peur, plus l’angoisse se développe et plus elle sera forte sur les situations qui arriveront après. Ce sont les traits de ma personnalité.
Et puis, il y a eu un moment qui a tout fait basculer. J’ai vécu une agression physique assez violente en 2013 dans mon hall d’immeuble à Barcelone. Je me suis fait rouer de coups et laisser inerte au sol par une bande de mecs alors que je rentrais chez moi. J’ai cru ce jour-là honnêtement que j’allais mourir. Cet événement traumatique a aiguisé mon anxiété sociale. Donc ça a commencé comme ça puis ça a pris de plus en plus de place jusqu’à devenir envahissant. C’est là que j’ai posé un terme sur ce que je ressentais, c’était de la phobie sociale. J’ai donc décidé de consulter.
EST-CE QU’IL A DES PERSONNALITÉS PLUS SUJETTES À L’ANXIÉTÉ SOCIALE ?
AP : Oui, nous avons des prédispositions qui ne sont pas les mêmes d’une personne à l’autre. Il y a des gens qui ont un tempérament anxieux. Nous le voyons dès la naissance. Il y a des bébés qui sont plutôt timides, en retrait, sans être forcément voués à souffrir de ça. Et il y en a d’autres qui sont très à l’aise, dans toutes les situations, quelles qu’elles soient. Nous pouvons avoir des prédispositions mais tout dépend de ce que nous en faisons. Environ 25% des êtres humains ressentent des symptômes qui se rapprochent de la phobie sociale. Ça survient plutôt chez des gens qui étaient timides, mais pas toujours. Il y a des événements tels que vous les avez vécus, Guillaume, qui suffisent à créer une pathologie.
Le plus typique, c’est le stress post-traumatique qui peut arriver à tout le monde. Quand on est victime d’une agression physique grave, qu’on a failli mourir, n’importe qui peut avoir peur. Ça ne touche pas 100% des gens, mais on ne sait pas bien pourquoi certains vont être plus vulnérables que d’autres.
Le terrain joue un rôle important mais on peut aussi s’en sortir malgré ce terrain-là. On ne sait pas bien si c’est vraiment génétique ou quelque chose qu’on a appris. Ce qui compte beaucoup, c’est l’éducation, la manière dont on a été accompagné·e, protégé·e ou pas, guidé·e dans la vie au départ. Mais tout cela peut évoluer dans le bon sens heureusement parce qu’il n’y a pas de déterminisme définitif.

POPSLAY, AS-TU TROUVÉ REFUGE EN PARLANT DE TON ANXIÉTÉ À TES PROCHES ?
P. Pas du tout. Pendant très longtemps j’avais honte de dire que j’avais peur de parler à des personnes, que lorsque j’allais au cinéma, j’attendais que la salle soit vide pour sortir. Ce n’est pas quand même très sexy de dire que tu as peur des gens. Donc au départ je n’en ai pas parlé, mais ça m’a poussé à encore plus me refermer. Et puis j’ai commencé à prendre la parole avec des amis, des proches et j’ai été étonné de voir à quel point il y avait d’autres personnes qui partageaient ce même sentiment, que je n’étais pas seul, et ça m’a beaucoup rassuré.
Ça m’a permis aussi de me dire que ce n’est pas si grave que ça, que je n’étais pas unique, que c’était curable. Ça m’a fait beaucoup de bien. Et j’invite d’ailleurs tout le monde à en parler autour de soi, que ce soit à un spécialiste ou à des proches, parce que libérer la parole, ça fait du bien.
N’EST-CE PAS PARADOXAL D’ÊTRE CRÉATEUR DE CONTENU SUR YOUTUBE QUAND ON A CONNU DES PHASES DE PHOBIE SOCIALE ?
P. Ça peut paraître paradoxal en effet. Mais ça l’est tout autant d’être là devant vous. Tous les symptômes que vous citiez précédemment professeur, évidemment, je me retrouve dedans et un événement comme celui-ci peut me générer du stress. Aujourd’hui, j’arrive à surmonter ça et même à prendre du plaisir. Je suis très content d’être là, rassurez-vous (rires).
Mais effectivement, je comprends ce que tu veux dire parce que lorsque je fais des vidéos, je m’expose au regard des gens. Ce qui m’effraie réellement, dans la vie de tous les jours, c’est ce que vont penser les gens. Marcher devant un bar où il y a des personnes attablées c’est une angoisse pour moi. Tout de suite, je me dis intérieurement «mince, qu’est-ce qu’ils vont penser de moi ? » C’est très égoïste et autocentré comme réflexion. Car finalement les gens s’en moquent. Mais ce que je veux dire, c’est qu’en tant que créateur de contenus, il y a un cadre et puis il y a le filtre de l’écran. Certes, je vais être exposé au regard des gens, mais ça ne sera pas en direct.
Alors qu’actuellement je suis ici au Ground Control à Paris avec le public, en train de te parler et ce moment présent pourrait me générer davantage d’anxiété sociale parce que c’est en direct, parce que je n’ai pas le contrôle. Tandis qu’en vidéo, j’ai le contrôle sur le long terme, sur le son, sur le rythme et ça me permet d’être plus à l’aise. Et puis finalement le fait de m’exposer m’a aussi permis de surmonter mes peurs et de trouver une communauté géniale. Être créateur de contenu, ça m’aide dans la vie de tous les jours. En faisant ça, je change de mode opératoire, je sors de la stratégie d’évitement.
PROFESSEUR, AVEZ-VOUS NOTÉ UNE HAUSSE D’ANXIÉTÉ SOCIALE EN RAISON DES RÉSEAUX SOCIAUX ET DU TÉLÉTRAVAIL ?
AP. Nous n’avons pas de chiffres probants pour dire que l’anxiété sociale augmente c’est compliqué à mesurer. Mais nous savons que cela touche près de 10% de la population, donc c’est déjà très répandu.
En revanche, ce que je peux vous confirmer c’est que depuis la société industrielle, nous devons gérer des situations sociales qui n’ont rien à voir avec ce à quoi on était préparés initialement. Nous avons le même cerveau qu’à l’époque préhistorique. Or à l’époque, nous vivions dans une tribu ou il y avait 20 personnes. Nous connaissions tout le monde depuis toujours. A contrario aujourd’hui, nous rencontrons des inconnus tout le temps. Nous pouvons communiquer avec des outils à des milliards de personnes. Nous avons un potentiel de connexion qui est énorme. Alors pour certaines personnes, ça ne pose aucun problème, et pour d’autres, il faut s’adapter à cette communication multicanale.

Malheureusement, plus nous évitons, plus nous avons peur. La distanciation sociale pendant la pandémie a aidé beaucoup de gens sur le moment.
J’ai travaillé sur la peur de rougir devant les autres, ce qu’on appelle l’éreutophobie. Je peux vous garantir que nombreuses sont les personnes qui étaient bien contentes d’avoir des masques. Quand il a fallu les enlever, c’était difficile parce que malheureusement, plus nous évitons, plus nous sommes mal après. Donc quand il n’y a plus de télétravail, quand il n’y a plus l’écran entre la personne et vous, c’est encore plus dur. C’est le premier piège sur lequel il faut travailler, il faut se réhabituer au lien social.
De plus, l’ambiance sur les réseaux sociaux, est souvent malveillante et cela peut fragiliser les personnes vulnérables sont encore plus fragiles. Ce sont les mauvais côtés des nouvelles technologies. Je ne pense pas que ça crée des pathologies mais ça les accentue ou ça les rend plus pénibles pour les personnes qui en souffrent. Alors que lorsqu’iels sont dans un milieu plutôt favorable où il y a moins d’échanges, iels arrivent à rester plus serein·es.
Les aspects positifs, c’est que nous pouvons nous servir de l’outil pour faire quelque chose de progressif. Donc moi, il m’arrive souvent de conseiller à des personnes qui sont un peu repliées sur elles-mêmes, qui n’ont quasiment plus de vie sociale, de commencer par les réseaux sociaux. C’est une bonne première étape mais ce n’est pas la solution. Parce qu’il ne faut pas s’en tenir à ça, c’est ce que vous avez montré Guillaume et vraiment félicitation, j’imagine que c’est l’épreuve la plus difficile que vous faites là. Donc nous pouvons y arriver, à condition de le faire par étapes, de ne pas se jeter à l’eau comme ça sinon nous accentuons le traumatisme qu’il y a derrière, et surtout avec l’objectif de faire dans le réel, parce que les choses changent dans le réel. Notre nourriture affective vient du contact, elle ne vient pas de l’ordinateur, elle vient de la proximité. C’est ça qui fonctionne, c’est ça qui nous donne de l’élan.
Ce n’est pas un paradoxe ce que vous disiez Guillaume, je trouve. Les personnes qui sont sensibles au regard de l’autre aiment les autres. Ce sont des gens très sociables qui souffrent justement de ne pas pouvoir avoir plus de relations à cause de leur peur. Donc une fois que la motivation est là, ça se fait progressivement, on fait les choses, c’est exactement ce que vous décrivez et c’est très bien de le dire et c’est ce que tout le monde fait ici aujourd’hui, par exemple. C’est de dire que nous pouvons nous autoriser à franchir le pas.
PAR RAPPORT À TON PARCOURS GUILLAUME, TE CONSIDÈRES-TU COMME UN ROLE MODÈLE EN MATIÈRE DE SANTÉ MENTALE ?
P: Je ne me considère pas comme tel mais en tout cas, ça me tient à cœur d’en parler parce que ça me touche, évidemment. Mais c’était important pour moi d’en parler parce que forcément, le montage, la vidéo, c’est une version améliorée de moi. Nous avons du mal parfois à percevoir la vraie personne qui se cache derrière. Étant donné que j’échange beaucoup avec ma communauté, c’était aussi important de leur faire part ce qu’il se passait réellement dans ma vie. Et que non, parfois sur Instagram, tout ne va pas toujours très bien. C’est important aussi de montrer les côtés « négatifs ». Juste, la vraie vie. Comme je le fais avec toi pour mūsae en octobre dernier.
QUELLES SONT LES RESSOURCES QUI PEUVENT NOUS INSPIRER SUR L’ANXIÉTÉ ANXIÉTÉ SOCIALE ?
P. En termes de musique, je trouve que les artistes tendent de plus en plus à parler de leurs souffrances, de leurs peurs ou de leurs pensées sombres dans leurs musiques pour en faire quelque chose de dansant ou de positif, même si parfois ce n’est pas toujours très joyeux. Mais je trouve que c’est important qu’i·els le fassent et j’admire, de manière générale, tous·tes ces artistes qui arrivent à transformer leurs peines ou leurs pensées sombres en quelque chose d’artistique. Là tout de suite, je pense à Stromae qui a évidemment parlé très tôt de ses problèmes de santé mentale et ce qui touche au suicide, par rapport à sa chanson l’Enfer. Je pense également à Mika qui a vécu du harcèlement et qui décide aujourd’hui à 41 ans d’en parler en musique et en fait, ça aide les personnes qui écoutent sa musique à se sentir moins seul·es et ça permet aussi aux artistes de guérir, et je trouve ça génial.
AP. Selon moi la grande direction à prendre, c’est celle de s’exposer au regard de l’autre, à sa façon, car il n’y a pas une seule manière de faire. On dit souvent, faire du théâtre ou participer à une chorale, mais même faire du sport parce que c’est souvent en groupe et qu’on est confronté au regard des autres et ça fait plaisir.
L’important c’est que vous trouviez votre propre façon d’entrer en interaction avec l’autre. Oser aller plus vers l’autre, progressivement, et surtout en y allant avec un état d’esprit libre, en lâchant prise sur le fait de vouloir contrôler son image, son apparence pour plaire aux autres. Or c’est là-dessus où nous nous leurrons car nous ne saurons jamais l’image que nous avons dans les yeux des autres.
Profitons en plus pour nous concentrer sur le contenu, sur ce que nous avons à dire, sur ce que nous allons apprendre, comment nous allons interagir avec les autres plutôt que sur notre apparence, Plus nous nous auto- centrons sur nous-mêmes plus nous allons nous stresser. L’important c’est de se faire plaisir, ou du moins aboutir à un petit résultat à chaque fois. C’est ainsi que nous allons élargir le cercle de nos habitudes et de nos connaissances.
Cette discussion a été éditée pour en faciliter la lecture.
Le compte Instagram @bonjouranxiete nous inspire et nous informe sur l’anxiété pour nous aider à mettre des mots sur nos maux et nous sentir moins seul·e.
Leurs deux fondateur·ices nous livrent chaque jour une pensée bien sentie et bien illustrer.
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D’ici là gardez la pêche.
Christelle.
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