LA DÉCOUVERTE DE LA VRAIE PEUR
J’ai longtemps été terrifiée par les araignées. TERRIFIÉE. Vraies ou fausses, petites ou grosses. À un stade handicapant. À être prête à dormir dans la voiture parce qu’il y en a une dans la chambre d’hôtel et qu’elle a disparu avant qu’on (sous-entendu « quelqu’un d’autre que moi ») s’en débarrasse. Et puis, j’ai eu un enfant. Et je n’ai plus tellement eu le luxe d’avoir du temps pour cette peur-là, parce que s’est installée la peur d’absolument tout le reste.
#MONPOSTPARTUM : UN HASHTAG DU RALLIEMENT
La parole s’est libérée autour de post-partum depuis un peu plus de deux ans, notamment via le mouvement lancé par les militantes féministes Illana Weizman, Ayla Saura, Morgane Koresh et Masha Sacré.
Le #MonPostPartum est né le 15 février 2020 dans la foulée de la censure, aux Etats-Unis, d’une publicité pour des produits post-accouchement. La déferlante de tweets, posts Instagram, articles de presse qui a suivi a ouvert une boite de Pandore qui ne demandait, semble-t-il, qu’à exploser. « Spoiler alert » : les mères en bavent physiquement.
La souffrance est inhérente à la socialisation des femmes. Il faut « souffrir pour être belle », les règles sont douloureuses, c’est comme ça, les contraceptifs ont des effets secondaires c’est comme ça. Même l’amour (physique et émotionnel) fait mal, nous dit-on. Il te tire les couettes à l’école, c’est parce qu’il t’aime bien. Le sexe, la première fois, c’est douloureux et tu vas saigner.
C’est un discours que je n’avais jamais questionné. « C’est comme ça et on n’en parle pas » Je m’attendais à avoir mal pendant et après la grossesse. Accoucher était une hantise, j’ai supplié pour une césarienne ; que je n’ai pas eu et qui est tout sauf une solution de confort pour la personne enceinte, en réalité. Physiquement, c’est relou. Sans péridurale, ça fait un mal de chien. Voilà le recul de mon expérience personnelle sur ce point. Mais ça peut être bien pire que ça. Par contre, j’ai VRAIMENT cru qu’une fois que bébé était dehors, le « plus dur était fait ». Ce gag.
LIBÉRATION DE LA PAROLE CERTES. MAIS QU’EN EST-IL DE L’ÉCOUTE ?
Il (me) semble que l’aspect physique des choses commence à être entendu. On espère être à un point de bascule. L’idée qu’il ne soit pas complètement anodin pour un corps de mettre un enfant au monde, même dans un monde privilégié, aurait passé la barrière des casques antibruit que la société porte dès qu’il s’agit des femmes. Les violences obstétricales sont prises au sérieux et le discours sur les conséquences corporelles de la grossesse et de l’accouchement est audible. Toutefois, une souffrance reste invisible. Indéfendable à exprimer, impossible à entendre. « Spoiler alert bis » : les mères en bavent émotionnellement.
L’ÉQUILIBRE ÉMOTIONNEL À L’ÉPREUVE DU FEU
J’ai eu peur avant ! J’ai eu peur de ne pas réussir à tomber enceinte. Tout me hurlait qu’il fallait se bouger les ovules rapido presto avant péremption.
J’ai eu peur, enceinte. De le perdre, de mal faire, déjà. J’ai eu peur de l’avant-goût de la vieillesse contenue dans la grossesse. J’ai eu peur de ce que ma réaction aux tests de détection de la trisomie 21 (qui se sont avérés négatifs) disait de mon rapport à la vie et à ce qui vaut d’être vécu. J’ai eu peur de mon corps endolori parfois, diminué par période, médicalisé beaucoup, d’un ressenti plus fragile et moins fiable. Alors qu’en termes de fiabilité, on peut difficilement faire mieux qu’un corps qui fabrique et abrite un autre être humain.
J’ai eu un seul enfant, tard, par choix profond. Et facilement, par chance. J’avais 40 ans quand il est né. Je me croyais informée. Sur mon corps et les suites de couches, c’était vrai. Ce que je n’avais pas compris, c’est que ma santé mentale ne m’appartiendrait plus. Qu’elle serait à vie en danger. Que tout pouvait basculer pour moi à tout moment, s’il lui arrivait quelque chose, à lui.
Maintenant, je sais, au plus profond de mes cellules, que je vais mourir un jour. Qu’il peut potentiellement avoir à grandir sans moi. J’ai l’impression qu’il est en danger de tout. Et que, moi aussi, je peux avoir à grandir sans lui. Tout ce qui a pu me sembler difficile auparavant n’est rien à côté de cette terreur-là. Avant, je l’ignorais, mais j’étais invincible. Aucune décision ne semblait irrémédiable, tout restait toujours possible.
Et voilà qu’un gouffre béant s’ouvre à la pensée de tout ce qui peut mal tourner, en une fraction de seconde, de la plus inattendue des manières. Parce que le pire n’est pas seul à être craint. Il ne faut pas que lui et moi soyons « seulement » en vie. Il faut qu’il soit heureux, en santé et avec une maman qui tienne la route.
Et bien, sa maman, elle s’est effondrée quand il avait 10 mois. Et ça couvait depuis qu’il avait 10 jours. J’ai reçu un doctorat en angoisse en même temps que son certificat de naissance. Diagnostic : dépression du post-partum.
La surprise totale. Tous les signaux étaient au vert. Un enfant désiré, un couple stable et épanoui, une grossesse facile avec un papa disponible et investi qui a pris spontanément plus que sa part avant même la naissance de bébé. Je n’avais pas conscience de l’impact de la dépossession. Je ne suis plus ‘une’. Il devient la pensée N°1, avant toute décision. Quel que soit le degré d’importance de ladite décision à prendre et sa proximité dans le temps. Il faut que ça aille pour lui, avant tout le reste. Je n’avais pas conscience de la fin du choix et de l’aliénation née de cet amour-là. On aime nos parents, nos frères et sœurs, nos amoureux.ses, nos amis. Mais, à divers degrés, toutes ces relations restent des décisions.
J’aime le père de mon fils de tout mon être, il est la meilleure décision de ma vie. Mais s’il se transformait en abruti total demain matin, je pourrais partir.
On parle ici d’une forme d’amour très différente ; J’en plaisante souvent en parlant de « Syndrome de Stockholm ». J’aime mon fils, parce que… Fin de tout débat. Il se trouve que j’ai de la chance, il est hyper cool. Je l’aime bien en plus de l’aimer tout court. Mais savoir que je suis dépendante de la qualité de cette relation pour rester heureuse est un abysse.
METTONS LES POINGS SUR LES I(NJONCTIONS)
Le tabou sur la santé mentale et la dépression post-partum sont encore prégnants à tellement d’égards que tenter de les lister est l’équivalent écrit de vider la mer avec un verre à dents. Un travail de fond titanesque est fait pour informer et lutter contre la stigmatisation des personnes qui souffrent dans un domaine ou un autre et changer l’idée que, tout ça, c’est une question de volonté.
Spoiler alert encore : si c’était un choix, personne ne serait dans cet état.
LÂCHE PRISE ET SOIS PARFAITE !
Supposément, dans notre société, les mères ont choisi de l’être. Et ce n’est que du bonheur. Parce qu’on est « faites pour ça ». Parce que « certaines n’y arrivent pas, arrête de te plaindre ». Parce que « tu l’as voulu, il n’a rien demandé ». Parce que « mais détends-toi, ça va aller ! ». Parce que « tu n’es pas la première, tout le monde s’en sort ». Parce que « nos mères et grand-mères n’en faisaient pas tout un plat ». Et puis, « arrêtez d’en parler comme ça, les femmes feront plus d’enfants ! » Et là, ça coince.
De nos jours, alors que le développement personnel est porté aux nues, les mères sont encouragées à s’oublier, à se déporter a minima, à se considérer ‘secondes’. Le message serait un peu « S’il faut vraiment, c’est ok de ne pas aller bien un moment, mais fais en sorte que ça n’ait pas d’impact. »
Et, bon sang, je voulais que ça n’ait pas d’impact.
Je voulais ne pas avoir l’impression constante d’échouer à la chose la plus importante que je ferai de toute ma vie.
Je voulais qu’il ne sente rien de la douleur de sa maman.
Je voulais être certaine qu’il savait que je l’aime.
Je voulais ne pas pleurer au-dessus de son berceau au milieu d’une nuit sans fin en le suppliant de s’endormir.
Je voulais le mettre sous cloche pour qu’il ne lui arrive rien.
Je voulais me mettre sous cloche pour cesser d’être terrifiée.
Je voulais changer le monde dans lequel je l’ai mis.
Je voulais l’aimer lui ET aimer être mère.
Je voulais que son papa retrouve une épouse en état de fonctionnement.
Je voulais revivre normalement.
IL FAUT UN VILLAGE POUR ÉLEVER UN ENFANT
« Spoiler alert « toujours : un jour, ça va mieux. Mon fils a 2 ans et 4 mois. Ce qui veut dire que moi aussi, d’une certaine manière. Est-ce que faire un enfant tard est un enjeu ici ? J’avais pris l’habitude pleine et entière de l’autonomie, la liberté et l’indépendance. Le tout avec une aisance financière relative mais supérieure à celle que j’avais à 25 ans. Est-ce que le sentiment de renoncement et d’effacement de soi-même est forcément plus fort ainsi ? Cette question reste ouverte pour moi aujourd’hui, mais passe en pertes et profits. On ne saura jamais et il est bien trop facile d’idéaliser la vie qu’on n’a pas eue.
Parce que j’ai pu et su appeler à l’aide, que j’ai eu accès à une psychologue (Clémence, si vous me lisez, reconnaissance éternelle), parce que le travail des associations comme Maman Blues et leurs groupes de parole existent, parce qu’Illana Weizman a écrit un essai essentiel sur le versant politique du post-partum, parce qu’Instagram peut faire lien avec d’autres mères en souffrance et que se savoir une parmi des milliers est une forme de réconfort (je pense par exemple au compte Instagram Mal de Mères), je suis redevenue un membre actif et heureux de ma famille et de la société.
La santé mentale des mères (et, soyons clairs, la liberté des femmes d’être mère ou non) est une problématique de santé publique. Nous élevons, dans un monde très objectivement terrifiant, de futur-es citoyen-nes. La nouvelle génération, et par extension l’état du monde, dépend du soin qui est pris en amont de celles qui la font grandir.
Le podcast de la sage-femme et chroniqueuse Anna Roy sur la maternité. Diffusé par Europe 1 Studio, il accompagne les femmes enceintes pendant leur grossesse et après l’accouchement. Ana Roy est également l’autrice de « La vie rêvée du post-partum » et « Le post-partum dure 3 ans ».
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Ce livre, écrit par la co-créatrice du mouvement #MonPostPartum, Illana Weizman, brise le tabou sur l’après-accouchement, libère la parole des femmes à propos de leur grossesse et de la réalité de la maternité et de ses nuances.
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Maman Blues est un espace non médical de soutien, d’écoute et de conseils qui s’inscrit dans le cadre de la difficulté maternelle. Cette association permet aux mères de témoigner librement des problèmes qu’elles rencontrent face à la maternité, par le biais d’un forum et d’un groupe de parole.
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