Pour écrire ce livre, j’ai passé trois mois en immersion au sein d’un centre psychiatrique pour adolescent·es. Quelque chose m’a sauté aux yeux : l’envie de mourir, notamment celle de Nell à qui je dédie le livre et qui est la jeune fille dont Jérôme va tomber amoureux dans Les Dragons.
Qu’est-ce que ça signifie un monde où un enfant de moins de 15 ans a envie de mourir ?
Je pense aussi que ce phénomène a été aggravé par le COVID. Pendant cette période, les adolescent·es n’ont pas pu être adolescent·es. Iels n’ont pas eu l’autorisation de grandir. Nous allons longtemps sentir l’effet néfaste de cette période car nous les avons coupé·es des autres. Cet « autre » qui est si important.
DANS LES DRAGONS, VOUS PARLEZ DU SUJET TABOU PAR EXCELLENCE DE LA SANTÉ MENTALE : LE SUICIDE. POURQUOI L’AVOIR CHOISI?
Parce que lorsque que j’étais un adolescent, je me sentais seul et je vivais une forme d’isolement, même si j’avais des amis. Et puis j’ai vu des chiffres. 1 enfant sur trois déclare souffrir de trouble anxieux en Belgique; Ça signifie que dans une classe de trente élèves, dix sont en souffrance psychologique. C’est effarant, non? Alors j’ai eu envie de m’emparer de ce sujet qui est pour moi une urgence sociétale.
Pour écrire ce livre, j’ai passé trois mois en immersion au sein d’un centre psychiatrique pour adolescent·es. Quelque chose m’a sauté aux yeux : l’envie de mourir, notamment celle de Nell à qui je dédie le livre et qui est la jeune fille dont Jérôme va tomber amoureux dans Les Dragons.
Qu’est-ce que ça signifie un monde où un enfant de moins de 15 ans a envie de mourir ?
Je pense aussi que ce phénomène a été aggravé par le COVID. Pendant cette période, les adolescent·es n’ont pas pu être adolescent·es. Iels n’ont pas eu l’autorisation de grandir. Nous allons longtemps sentir l’effet néfaste de cette période car nous les avons coupé·es des autres. Cet « autre » qui est si important.
IL EXISTE UNE IDÉE PRÉCONÇUE SELON LAQUELLE PARLER DU SUICIDE INCITERAIT À PASSER À L’ACTE. EST-CE QU’ON VOUS A FAIT LA REMARQUE ?
Mais tellement ! En ce moment je suis souvent appelé pour intervenir dans les écoles et les collèges afin d’évoquer le sujet de la santé mentale. Et puis les professeur·es creusent un peu. Iels lisent le livre et là je suis décommandé. Iels craignent qu’un geste posé dans un livre incite les jeunes à passer à l’acte. Il ne faut pas parler du suicide car cela pourrait donner des idées. Ce qui est complètement faux bien sûr.
Moi je me sens responsable de ce livre, de sa diffusion et de voir dans quelles mains il va. C’est pourquoi pour l’écrire, je me suis entouré de professionnel·les de la santé mentale et je leur ai demandé ce qu’iels en pensaient. Le suicide est un geste réfléchi. Ce n’est pas de l’égoïsme. Il ne faut pas le prendre à la légère. Il faut lever les tabous pour libérer la parole et casser l’isolement.
QUE SYMBOLISENT LES DRAGONS ?
Je voulais que ce titre soit un titre communautaire, qu’il permette aux jeunes qui ressentent un mal-être de se reconnaître sous une bannière. J’ai choisi « Les Dragons » pour plusieurs raisons. Car lorsque nous rentrons dans ces centres, nous nous rendons compte de ce que sont les lésions qu’iels s’infligent, comme l’automutilation. Lorsque ces lésions commencent à sécher, elles prennent l’apparence d’écailles de serpent.
Plus tard, je me promène sur Internet et je trouve le globe de Lenox. Je l’explique dans le livre d’ailleurs. C’est le premier globe terrestre connu. Il a été créé en 1510. Son inventeur a dessiné des dragons et il a écrit « hic sun dragones ». Ce qui signifie en latin « ici sont les dragons ». Il voulait ainsi décrire l’Asie comme étant une terre inconnue. Or ces adolescent·es dont je parle dans mon livre, ce sont bel et bien des terres inconnues.
L’idée d’avoir peur que quelque chose se dévoile plus tard est merveilleux. J’ai trouvé ça beau. C’était tout trouvé, c’était mon titre de livre. Le sentiment de solitude est très dangereux, c’est pour ça qu’il faut lever tous les tabous. L’idée des Dragons c’était de dire « vous n’êtes pas seul·e ». Nous sommes légions, nous sommes les dragons. D’ailleurs, je me suis senti plus à ma place parmi les dragons que parmi les adultes.
IL Y A UNE PHRASE QUI M’A BEAUCOUP MARQUÉE DANS VOTRE OUVRAGE : « LA FORCE C’EST D’AIMER LE FAIBLE ». QU’EST-CE QU’ELLE ÉVOQUE POUR VOUS ?
IL Y A UNE PHRASE QUI M’A BEAUCOUP MARQUÉE DANS VOTRE OUVRAGE : « LA FORCE C’EST D’AIMER LE FAIBLE ».
QU’EST-CE QU’ELLE ÉVOQUE POUR VOUS ?
Merci de parler de cette phrase car pour moi elle est centrale dans le livre. C’est un extrait de ce que j’ai retenu du livre « Des souris et des hommes » de John Steinbeck. La force c’est d’aimer les faibles. Le seul conseil que j’ai donné à mes enfants est que « dans une situation d’urgence, prenez toujours la position et la défense du plus faible. ». Je suis choqué ou triste de voir qu’en tant qu’adulte, combien être fort c’est : avoir de l’argent, avoir une position hiérarchique dans l’entreprise, avoir une voiture allemande, être célèbre. Ça, c’est être fort. Et regardez la société qu’on a. Mais si on inversait ce paradigme. Si être fort c’était d’aimer le faible. Si être fort, c’était d’aimer les dragons. Alors dans quel monde vivrions-nous ? C’est pourquoi cette petite phrase c’est la plus importante de mon livre.
CETTE PHRASE RÉSUME POURQUOI LA SANTÉ MENTALE EST TABOUE. PARCE QUE FINALEMENT LE FAIBLE, C’EST LA VULNÉRABILITÉ. AUJOURD’HUI NOUS N’AVONS PAS LA PLACE POUR ELLE. IL Y A AUSSI UNE AUTRE PHRASE QUI M’A MARQUÉE : « ON NE DÉSIRE PAS AIDER UN ENFANT QUAND ON N’A PAS ÉTÉ SOI-MÊME UN ENFANT À SAUVER. ».
C’est Smensk, l’éducateur du centre qui dit ça dans mon livre. C’est un éducateur que les gamin·es n’aiment pas car il a un regard plus dur que les autres. Quand il entre dans une pièce, il regarde partout. Jusqu’au moment où les gamin·es vont comprendre qu’iels ont le même regard que lui. Eux aussi, iels regardent partout lorsqu’iels entrent dans une pièce pour savoir si il n’y a pas quelqu’un caché derrière la porte.
Nous sommes dans une société où nous devons aller bien, où tout le monde est beau, est fort et maigre. Or c’est faux. Tout le monde ne va pas bien quand nous marchons de la rue. Et c’est important de savoir que tout le monde ne va pas bien quand nous sommes malade. Ce que j’aime bien dans le personnage de Smensk, c’est qu’il renvoie aux faux-semblants. Il y a une apparence mais « je suis des vôtres ». En fait nous souffrons tou·tes. Alors nous ne l’acceptons pas de la même manière, mais nous avons tou·tes nos traumatismes et c’est bizarre d’en avoir honte.
Roman Les Dragons de Jérôme Colin, Allary Editions |
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J’AI AUSSI LU LES DRAGONS COMME UNE FORMIDABLE BOUFFÉE D’ESPOIR. C’EST UN LIVRE QUI DÉDRAMATISE LA SANTÉ MENTALE.
Oui je pense avoir écrit ce livre pour ça. Je suis frappé par la honte qui est attachée à la maladie mentale. En effet c’est ça. Il ne doit pas y avoir de honte à avoir mal. C’est pour ça que dans le livre, il y a une lettre qui est écrite par le père du protagoniste qui lui dit : « Quand tu as mal, dis que tu as mal. Quand tu es triste, dis que tu es triste ». C’est aussi simple que ça.
J’ai donné mon prénom au héros des « Dragons » pour une raison : normaliser la souffrance. Je fais de la radio et de la télévision en Belgique. Donc les gens me reconnaissent dans la rue. Et je sais parfaitement ce qui se passe quand nous écrivons un roman. Les gens pensent que tout est vrai. Iels pensent que ce que je raconte c’est moi. Les gens pensent que le gamin c’est moi. Et j’ai voulu leur dire : « vous pouvez penser que c’est ma vie. Vraiment, je n’en ai rien à faire. Car si vraiment c’était la mienne, je ne ressentirais aucune honte car il n’y a pas de honte. » Et c’est pour ça que j’ai mis mon prénom.
J’espère que mon roman exprime deux idées fortes. La première est qu’il n’y a pas de honte à avoir mal. Et la seconde est que nous ne sommes pas seul·es. Ces deux choses là me tiennent énormément à cœur.
ET VOUS JÉRÔME, ÊTES-VOUS À L’AISE POUR PARLER DE VOTRE SANTÉ MENTALE ?
Tout à fait. C’est drôle car pourtant je viens d’une famille très normative : un papa ouvrier, une maman à la maison, un frère. Il y avait peu de livres à la maison, pas tant de culture, pas tant d’expressions. En revanche, nous savions dire que nous nous aimions. Je l’ai entendu quand j’étais enfant. J’ai toujours su que mes parents étaient présents. J’ai toujours été à part mais je n’ai jamais eu de problème avec le sujet de la santé mentale. Ça a toujours été facile pour moi d’en parler. J’ai même toujours trouvé cela réconfortant.
Dans les Dragons je dis que nous ne pouvons pas rester seul·e dans notre mal-être. Il y a vraiment une seule chose qui est importante dans la vie : ce sont les autres. Je pense que le soin ne passe que par les autres. Nous ne sommes pas capables de soigner seul·e.s nos blessures psychiques.
COMPLÉTEMENT, C’EST POUR ÇA QUE LA SANTÉ MENTALE C’EST TOUT SAUF UN ENJEN INDIVIDUALISTE, C’EST UN ENJEU COLLECTIF. QUELLE EST VOTRE DÉFINITION DE LA SANTÉ MENTALE ?
Je ne sais pas répondre à cette question. Définir la santé mentale c’est définir la normalité.
Mais qui est malade en réalité? Moi en allant voir ces jeunes? Nell m’a posé cette question : mais qui de vous ou moi est malade ? Moi qui ne supporte plus ce monde ? Ou alors vous qui faites des tonnes de compromis par jour ? Les adolescent·es du centre n’ont pas été que tendres avec moi. Mais ça a été précieux comme expérience.
COMMENT S’EST PASSÉE CETTE IMMERSION DE TROIS MOIS DANS CE CENTRE ?
Cela a été plutôt difficile. Alors que de prime abord, en y allant je pensais que ça allait aller. Mais je me suis trompé. Ce n’était pas simple. J’ai été très naïf et présomptueux. Je savais que les adolescent·es souffraient. Mais je ne savais pas à quel point. Je ne savais pas qu’on pouvait avoir vécu si peu et déjà souffrir si fort. Vraiment, ça m’échappait alors que je pensais être ouvert sur la question. Mais j’étais très loin de la réalité. C’était bouleversant comme expérience. J’ai eu un immense sentiment d’amour pour eux. Et c’est avec ça que j’ai écrit les Dragons.
QUELLE EST LA SUITE POUR LES DRAGONS ?
C’est d’en parler. Car c’est un problème de société. Car nous l’avons dit au début, ça concerne un enfant sur trois. Le problème n’est pas pris à sa juste mesure. Je ne vois pas de grandes assises sur la santé mentale de la jeunesse que ce soit en France ou en Belgique.
Et pourtant qu’est-ce qu’une société a de plus important que sa jeunesse ? Rien. J’espère que, comme Nell le souhaitait, ce livre fera du bien aux parents et aux enfants. L’espoir des Dragons, c’est de ne pas juger mais de dire « attends, l’autre va arriver et je te promets ça ira mieux ».
Si vous avez des idées suicidaires ou aider un de vos proches, en parler peut tout changer. Appelez le 3114, écoute professionnelle et confidentielle, 24/24 et 7j/7. C’est le numéro national de prévention du suicide, le 3114. Ce numéro est accessible 24h/24 et 7j/7, gratuitement, en France entière.
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