Bonjour tout le monde, j’espère que vous allez bien ? Je me présente brièvement, je suis Charlène Deveaux, nouvelle recrue chez mūsae en tant que journaliste. Vous aurez donc souvent l’occasion de me lire désormais ! Aujourd’hui, je dédie ma première newsletter à la sortie du long-métrage « Loup y es-tu » de Clara Bouffartigue. Ce film documentaire, sorti le 13 septembre en France, nous offre une immersion dans le quotidien du Centre Médico-Psycho-Pédagogique (CMPP dans le jargon de la santé mentale), Claude Bernard. Cette thématique, c’est celle de la psychologie infantile, certes, mais plus largement de la pédagogie, de la parentalité, de l’apprentissage, de la confiance, et du temps que l’on accorde à soi et aux autres.
Dans Loup y es-tu, on se rend compte que l’enfance joue un rôle crucial dans ce que nous devenons chacun d’entre nous en tant qu’adulte. J’ai ainsi pu découvrir ce touchant documentaire qui nous rappelle combien le lien social et les CMPP jouent aujourd’hui un rôle clé pour l’avancée de la santé mentale en France. Aujourd’hui, je vous propose de découvrir mon interview de la réalisatrice, Clara Bouffartigue.
POURQUOI AVOIR CHOISI LES CENTRES MÉDICO-PSYCHO-PÉDAGOGIQUES COMME SUJET ?
C’est venu de ma rencontre avec ce lieu qui s’est faite par hasard. L’équipe du CMPP a découvert mon travail avec mon précédent film qui était sorti au cinéma en salles : Tempête sous un crâne. Il s’intéressait à la transmission des savoirs et plus largement de tout un rapport au monde qui peut se transmettre à l’école. À ce moment-là, j’ai découvert l’existence des CMPP, car j’avoue humblement que je ne savais pas que ça existait.
Surtout, leur manière de travailler et le regard qu’ils portent sur l’enfant en difficulté, mais aussi parfois sur des symptômes qui sont, dans le cadre scolaire, souvent regardés comme des échecs ou des défauts, et qui pour eux ont un sens. Et ça, j’ai trouvé ça fabuleux. C’est ça qui m’a donné envie d’approfondir. Je n’ai pas choisi de faire un film sur les CMPP mais au CMPP. Après cette longue immersion que le film a demandée, je me suis vraiment passionnée pour cette manière de travailler dans ce type d’institution.
Dans la manière de travailler dans les CMPP, je suis très sensible au travail pluridisciplinaire, à la manière dont ces regards qui viennent de professionnel–les qui ont des approches différentes, ces regards qui se croisent sur l’enfant le dessinent en trois dimensions, c’est assez fabuleux. Dans les CMPP, il y a cette dimension qui mêle le psychologique au pédagogique, et ça c’est unique. Les deux sont liés.
Je viens d’une famille d’enseignant·es, donc je suis habituée et sensibilisée aux échanges entre pédagogues. Ajouter cette dimension psychologie et se dire que les affects ont beaucoup à voir avec les apprentissages, je trouve ça passionnant.
DANS VOTRE TRAVAIL, QUELLE IMPORTANCE DONNEZ VOUS À LA NOTION D’ACCOMPAGNEMENT DURANT L’ENFANCE ?
Je crois que c’est ce qui m’habite, me passionne. Le cinéma est mon langage et ce dont j’ai envie de parler, le regard sur le monde que j’ai envie de partager, touche beaucoup à l’enfance, plus largement à l’humain, et à ce qui se passe dans les têtes. Donc effectivement du côté pédagogique, psychologique, et peut-être à d’autres endroits que je n’ai pas encore exploré et qui viendront les compléter. En tout cas, je serai très heureuse de pouvoir continuer de travailler sur des sujets qui touchent au psychisme.
DE QUELLES MANIÈRES ONT ÉVOLUÉ VOS ÉMOTIONS PENDANT LE TOURNAGE ?
Je suis passée d’une position de candide, à une intégration complète à l’équipe. J’ai pris un certain recul sur mes émotions, cela a été très troublant pour moi les premiers mois, voire la première année. J’étais traversée par des émotions extrêmement fortes et violentes. Par exemple, je pouvais parfois sortir d’une réunion de synthèse, être obligée d’aller aux toilettes car j’étais tellement émue que je n’arrivais pas à me contenir. Mais je ne savais même pas pourquoi.
C’était des émotions à l’état brut. C’était très troublant, parfois pas facile à vivre. Et j’ai appris à les comprendre, à en faire quelque chose, et ce sont ces émotions qui m’ont aidée à réaliser ce film.
ÉTAIT-CE COMPLIQUÉ DE RENTRER DANS L’INTIMITÉ DES PATIENT·ES ?
Je ne dirai pas que j’ai eu du mal. Le secret de fabrication de ce film est le temps. Déjà le temps d’échange avec les soignants. Puis nous nous sommes présenté·es devant les patient·es en étant très au clair avec ce qu’on allait faire, vigilant·es mais sans crainte, sans peur, car elles se transmettent. Nous étions en confiance, et la confiance s’est transmise.
Il y a certains patient·es qui ne souhaitaient pas participer au tournage, pour des raisons tout à fait intimes et personnelles, qui concernent chacun·es et qui sont indiscutables. En revanche, il y en a beaucoup qui ont accepté. Je ne leur ai pas posé la question « est-ce que vous êtes d’accord pour êtres filmés ? ». Je leur ai dit « j’ai ce projet, ce film va se faire ici à Claude Bernard, on a pensé à vous. Moi j’ai besoin de m’immerger dans les séances pour affiner mon travail et passer ensuite à une étape de tournage. Ça va prendre plusieurs mois, peut-être plus d’une année. Est-ce que vous acceptez d’assister à vos séances, sans caméra, ça ne vous engage à rien, et ensuite on en reparlera ».
Cela s’est fait par étapes. Et lorsque nous en avons reparlé, la plupart ont accepté. Ce sont quand même des situations, des lieux où l’on est à l’écoute de ses ressentis. Ce n’est pas une confiance avec la tête, c’est une confiance qui vient d’ailleurs.
QUELS ÉTAIENT LES RETOURS DES PARTICIPANT·ES AU FILM ?
Les soignant·es sont très reconnaissant·es. Iels sont très heureux·ses du résultat, et surpris qu’il ait été possible de rendre compte de leur travail comme ça. Ce sont des personnes discrètes qui accomplissent un travail méconnu.
Le film a été aussi très bien accueilli par les patients. Parmi eux, les plus âgés du film ont dit « bon ça va on peut le montrer à nos parents ! » Les patient·es dans le film qui étaient présent·es dans la salle ont dit que ça leur a fait du bien car ça leur a permis de considérer leur souffrance dans quelque chose de plus vaste qu’eux. Et donc, de mesurer qu’iels ne sont pas seul·es, que chacun fait son parcours, comme un plan large.
PENSEZ-VOUS QUE LA SANTÉ MENTALE SOIT UN SUJET ASSEZ TRAITÉ AU CINÉMA ?
Assez, jamais assez. Moi, ça me passionne. Je ne sais pas si le public est aussi demandeur que moi, mais on peut aider. En tout cas, j’ai plaisir à vous recommander juste après mes trois films références sur le sujet.
PSYCHO, 1960 : Lorsqu’une secrétaire de Phoenix détourne 40 000 dollars du client de son employeur, elle part en cavale et arrive dans un motel isolé dont le gérant est un jeune homme sous la domination de sa mère. Ce film parle du trouble dissociatif de ce jeune homme qui est sous la domination de sa mère mais dont la double personnalité fait douter de l’existence de sa mère ou de la sienne.
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TITICUT FOLLIES, 1967. C’est le premier film du documentariste Frederick Wiseman. Il montre la vie quotidienne de patients détenus dans un hôpital psychiatrique à Bridgewater dans le Massachusetts (USA). Il réussit à témoigner sans moraliser ou polémiquer sur les conditions déplorables de détention.
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SHOCK CORRIDOR, 1965 : Pour obtenir le Prix Pulitzer, un journaliste ambitieux se fait passer comme ayant des troubles psychiques pour se faire interner dans un hôpital psychiatrique et enquêter sur un meurtre.
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TALK EN LIVE LE 11 OCTOBRE AVEC PETITE MU pour parler handicap invisible et santé mentale. Pour l’occasion, Alice et Anaelle, les fondatrices de ce média, prendront la parole à propos de leur propre expérience sur la sclérose en plaques et les troubles psychiques. Rendez-vous dans nos nouveaux bureaux à Paris au 87 Boulevard Ney, 75018 Paris. Inscrivez-vous ici.
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