Coucou tout le monde ! J’espère que vous allez bien et que vous avez passé un bel été. Le mien a été rythmé par les allers-retours en TGV, les randos dans nos jolies régions de France et quelques fêtes qui m’ont fait du bien. Aussi, je suis très heureuse d’y consacrer cette nouvelle newsletter mūsae !
LA FÊTE QUI LAVE LES CHAGRINS ET RELANCE LE FEU
Quand j’étais ado, mes parents m’ont fait découvrir La Grande Belleza, peut-être le plus grand film du réalisateur italien Paolo Sorrentino. Une des premières scènes du film, qui nous emmène dans l’euphorie hystérique d’une soirée de la jet-set romaine, m’a complètement fascinée. Les mouvements de caméra virtuoses, les rythmes électrisants du tube Far L’amore, les zooms sur les visages qui laissent deviner la joie, l’exubérance, la décompression, le désir… À chaque fois que je revois cette scène hallucinante sur Youtube, j’ai envie d’enfiler une robe noire courte et des talons hauts, de me mettre de l’eye-liner très noir et du rouge à lèvres très rouge, et d’aller me déhancher en boîte de nuit.
Pourtant, ces dernières années, j’ai peu fait la fête. Je suis encore moins allée en boîte. Non seulement je fatigue vite, mais je me suis longtemps sentie gauche en soirée, où il m’a longtemps semblé que le cours des choses, les dynamiques de groupe et les conversations suivaient un ordre mystérieux, inintelligible et déstabilisant pour qui aime garder le contrôle. Comme le dit très justement le philosophe Michaël Foessel : “en soirée, le calcul ne règne plus en maître et l’imprévu cesse d’être interprété comme une menace”… Et c’est précisément ce qui m’inquiétait, moi qui éprouve un certain besoin de contraintes et de clarté dans les règles du jeu. J’ai parfois eu le sentiment d’avoir du mal à “sortir de ma partition” et de ne pas savoir où me mettre… Par ailleurs, pour lâcher-prise et libérer la fantaisie qui n’attendait qu’à s’exprimer, j’ai souvent trop bu.
Suite à la fin des études, qui a coïncidé avec la fin des open bars et la rencontre de mon ex-copain, je suis devenue relativement sage et casanière. Quelque part, j’avais l’impression que c’était aussi ça, devenir adulte : s’installer avec son mec, s’occuper de son intérieur, bien travailler, se coucher plus tôt, arrêter les folies. Sans surprise, j’ai vécu ces années avec une nostalgie des études, cet âge d’or de divertissement, de légèreté et d’insouciance désormais achevé. Enfin, jusqu’au printemps dernier !
En mai, j’ai mis fin à une relation amoureuse asymétrique qui m’a beaucoup plus affectée que prévu. Le jour même de la publication de la newsletter mūsae que j’ai écrite à ce sujet, j’ai croisé par hasard le garçon qui m’avait tant plu… Et l’ai senti flasher, devant mes yeux, sur la copine qui m’accompagnait.
Le lendemain, je rejoignais une amie à Lyon pour un festival. Malgré le changement d’environnement, j’étais un peu l’ombre de moi-même. J’avais beau me répéter qu’il valait mieux accepter le cours naturel des choses, je ne faisais que ressasser cet épisode qui me faisait alors l’effet d’une mauvaise blague du destin. Avec des pieds de plomb, j’ai accompagné mon amie et sa bande au festival des Nuits Sonores où pendant 3h, je me suis sentie comme coupée du monde par un épais mur de tristesse. Je n’arrivais à sourire, rire et danser qu’au prix d’un effort incommensurable, et l’euphorie générale ne faisait que renforcer mon sentiment de solitude. Vers minuit, j’ai arrêté de me faire violence et je suis rentrée me coucher. Retrouver l’air frais et le calme des rues endormies m’a tout de suite soulagée, et je me suis promis de ne plus me forcer à sortir pour faire plaisir à des copains.
Le lendemain, on quittait Lyon et l’on rejoignait la maison vendéenne d’un nouveau pote qui fêtait ses 30 ans. De joyeux préparatifs se sont vite mis en place : allers-retours au marché, confection de quiches, de tartes et de gâteaux délicieux, suspension de guirlandes lumineuses et de lampions de papier sur les arbres du jardin, installation de la tireuse et du système son… Petit à petit, les copains de notre ami sont arrivés et j’ai découvert des golden-boys aux comptes Insta remplis de couchers de soleil à Mykonos, de soirées Folie Douce et de selfies sur les sommets alpins – un épisode de Gossip Girl, version Paris 16. Ils ne semblaient pas ignorer qu’ils étaient jeunes, riches, beaux et surdiplômés, ce qui les rendait aussi têtes à claques que charmants. Par ailleurs, ils n’étaient pas de mauvais bougres, avaient beaucoup de conversation et un humour acerbe qui me ravissait – parfois un peu contre mon gré. Un petit jeu de drague s’est vite établi avec l’un d’entre eux.
Robe, maquillage, paillettes, couronnes de fleurs… Le jour J, je me suis parée comme si c’était la dernière soirée de ma vie. Après un magnifique apéro coucher de soleil et un dîner somptueux, on est rentrés à l’intérieur. Alors que la plupart des gens commençaient à “taper”, on m’a proposé un “para”, une méthode d’absorption de cristaux de MDMA réduits en poudre. Plusieurs potes avaient déjà essayé, les mecs étaient connaisseurs, le cadre on ne peut plus rassurant… Je ne me suis pas fait prier pour verser la petite poudre blanche dans mon verre. Une heure plus tard, alors que la musique commençait à me sembler absolument extraordinaire, je me suis sentie gagnée par un grand sentiment de bonheur, de paix intérieure, d’amour et de désinhibition. Mon énergie ne tarissait pas et j’ai dansé comme une déjantée jusqu’à l’aube, ce qui ne m’était pas arrivé depuis des années. J’ai fini par embrasser un des jeunes hommes. Les mâchoires serrées, les pupilles dilatées et le cœur léger, on a erré tous les deux dans la grande maison jusqu’au lever du soleil.
J’ai beau savoir que tout ça était dû à un procédé chimique artificiel, cette soirée a été comme une petite renaissance. De retour à Paris, j’allais beaucoup mieux, comme si la fête avait lavé mes chagrins et relancé un feu qui s’était réduit à l’état de petite flamme vacillante. Il y a quelques semaines, en errant sur Arte, je suis tombée sur le très beau court-métrage animé 27, réalisé par la hongroise Flóra Anna Buda. On y suit Alice, jeune femme morose que la crise du logement contraint à vivre chez ses parents. Le soir de ses 27 ans, elle prend un verre avec un copain. Tous les deux finissent en boîte de nuit, où on les voit danser dans une scène flamboyante de beauté où Alice semble se reconnecter à sa joie de vivre, ses désirs et sa vitalité.
Cet été, j’ai beaucoup dansé, comme si la soirée vendéenne avait permis à mon corps de prendre la mesure de l’énergie qu’il pouvait déployer et du plaisir qu’il y avait à danser de façon aussi intuitive, libre et décomplexée. De mon premier festival, je me rappelle ce moment jouissif où, galvanisés par la “techno orientale” de Zajal et la “disco italienne” d’une certaine Fenouil2000, nous n’étions plus qu’une masse bougeant à l’unisson, dans un mélange de joie et de brutalité, comme pour exorciser toute l’inquiétude et la tristesse de la vie. Changement climatique, inflation et crise économique, futur du travail incertain… Ces facteurs d’anxiété s’ajoutent aux questionnements et à la pression que l’on peut ressentir entre 20 et 30 ans. Danser aide à décompresser !
Je suis d’ailleurs tombée sur un très bel extrait de La force de l’âge, où Simone de Beauvoir décrit les “fiestas” où elle se rendait pendant l’occupation : “Pour moi, la fête est avant tout une ardente apothéose du présent, en face de l’inquiétude de l’avenir ; (…) la mort, pendant un moment fulgurant, est réduite à rien. Nous étions menacés ; après la délivrance, bien des démentis nous attendaient, bien des tristesses et l’incertain tohu-bohu des mois et des années ; nous ne nous leurrions pas : nous voulions seulement arracher à cette confusion quelques pépites de joie et nous saouler de leur éclat, au défi des lendemains qui déchantent.”
Depuis, il y a eu des fêtes de copains, une pendaison de crémaillère, la soirée de départ d’une amie… Moi qui me pensais couche-tôt et raisonnable, chaque occasion est bonne pour danser au moins 2 heures. Et aussi fatigantes que soient ces fêtes entre deux semaines de travail, chacune a été une pulsion de vie qui m’a reconnectée à une énergie vitale, à la joie d’être ensemble, à ce grain de folie que j’avais un peu perdu après mes études. Et puis, à la transgression, la sensualité, la séduction, la bizarrerie et l’exhibition que l’on peut refouler dans “la vraie vie”. En plus de nous connecter à la joie d’être ensemble et bien vivants, la fête est aussi une catharsis hyper libératrice.
APPRENDRE À DOSER
Mais pour autant, la fête ne doit pas devenir une injonction. Vendredi dernier, j’ai rejoint des copains à un petit concert. La rentrée avait été intense, j’avais très mal dormi la veille et j’espérais secrètement retrouver mon lit avant minuit. Après le dernier morceau, la chanteuse nous a invités à rejoindre les musiciens dans une boîte de nuit à proximité. Avec une amie, on a échangé un regard sceptique qui signifiait “mmmh, pas sûr !”. Quand on a dit à un pote qu’on n’était pas sûres de suivre, son visage s’est décomposé, l’air de dire “vous êtes pas drôles…” 5 minutes plus tard, on nous lançait “ben alors, pourquoi vous venez pas ?” et je me suis une nouvelle fois sentie obligée de justifier mon choix de fille pas marrante. Et encore : ma pote n’aurait pas été là, je me serais peut-être forcée. Petit message à moi-même pour la prochaine fois : on n’est pas toujours d’humeur à faire la fête, danser et déconner. Il y a des moments pour croquer la vie à pleines dents, d’autres pour se reposer. Quand je suis triste, fatiguée ou que j’ai besoin d’être seule, la fête est tout l’inverse de ce dont j’ai besoin : une séance de sport, un coup de téléphone avec une amie, un bon petit plat, une série au lit… Alors, j’essaye de ne pas laisser le syndrome du FOMO (abréviation de l’anglais fear of missing out) reprendre le dessus, de ne plus me “laisser convaincre” et de m’écouter. Quitte à avoir l’air “pas fun du tout”.
La drogue non plus ne doit pas devenir une injonction. De la MDMA, j’ai aussi perçu les effets moins rigolos : notamment, la descente et le risque d’addiction. À l’euphorie et la béatitude ressenties pendant quelques heures succèdent la fatigue, la difficulté à réfléchir et se concentrer, ainsi que d’éventuels petits coups de blues. Mon envie irrépressible de trouver de la “D” au festival m’a montré combien cette drogue (très bon marché) était addictive, malgré sa réputation “récréative” et sa banalisation dans le milieu de la fête. Je sais que je pourrais m’y habituer et finir par trouver bien fades les soirées sans ! Et comme le rappelait Gabriel Raskinet dans un épisode très complet sur la MDMA de son podcast Sortir de l’addiction, la MDMA est illégale pour une raison : mal dosée, mélangée, elle est potentiellement dangereuse et mortelle. Dans ce podcast et une newsletter, il s’est confié avec beaucoup de transparence sur la spirale infernale de l’addiction, son expérience d’ex-addict et son usage désormais exceptionnel de la “drogue de l’amour”.
Au-delà du sujet “drogue”, la fête peut devenir un échappatoire pour des personnes un peu paumées, une sorte de “pays imaginaire” pour adultes qui chercheraient à fuir la vraie vie et à se fuir eux-mêmes. Dans la magnifique BD Les Rigoles de Brecht Evens, on suit trois personnages un peu fous dans leur errance nocturne à Paris. Âmes tourmentées en proie à des démons irrépressibles, chacun va partir en vrille à sa manière, oscillant constamment entre euphorie et mélancolie, douceur et violence, contrôle et dérapage. Personnellement, je tiens à rester ancrée dans la réalité et à me préserver du pendant glauque de la vie nocturne, lieu de possibles écarts mais aussi d’éventuelles agressions.
Je crois bien que j’ai retrouvé le goût de la fête, dont je suis heureuse d’avoir redécouvert le sens esthétique merveilleux, le plaisir de la musique et de la danse, le jeu du déguisement et de la coquetterie. La fête me permet de me sentir vivante, d’éprouver le lien et la complicité que j’ai avec mes amis, d’exprimer une part plus libre et créative de moi-même. Et au final, comme Christelle le racontait au fil de son interview dans le podcast Speak Eeasy, de prendre soin de ma santé mentale ! Tant de scènes de cinéma me reviennent en tête, du bal du Guépard et des soirées grandioses de The Great Gatsby à la magie de l’imprévu dans le Sens de la fête, aux soirées d’été norvégiennes dans Julie (en 12 chapitres) ou à la danse endiablée de Mads Mikkelsen dans Drunk, en passant par les danses très sexys de Dirty Dancing et le final mythique de Grease. Après cet été festif, j’ai envie de continuer à faire honneur à ces soirées qui me permettent d’évacuer les tensions, d’éprouver une joie collective grisante et de recharger mes batteries – même la Première ministre danoise en a besoin de temps en temps ! Et si le retour à la réalité est parfois un peu dur, je sais aussi que cette joie qu’on voudrait voir perdurer, on ne peut l’éprouver que parce qu’elle est éphémère.
Les Rigoles – Brecht Evens
Le roman graphique Les Rigoles, de Brecht Evens qui retrace la nuit entière de trois protagonistes dans une grande ville de Belgique. On baigne dans un univers de fête et de rencontres avec un condensé d’aquarelles et de palettes de couleurs.
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Nightline et mūsae vous convient à l’événement de lancement de Tête la première le 5 octobre prochain sur le thème « santé mentale et sport ». Pour donner plus d’écho à cette campagne, l’association collabore avec mūsae en organisant un talk avec des athlètes médaillé·es.
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J’espère que cette newsletter vous aura été utile. Si vous avez des idées de sujet ou des questions, envoyez-moi un e-mail. Je vous dis à la prochaine.
D’ici là gardez la pêche.
Christelle.
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