12 mai 2023

Libérer la parole sur les réseaux sociaux

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Aujourd’hui, j’aimerais vous partager un extrait du podcast enregistré en novembre 2022 dans le cadre du Facettes Festival, premier festival sur la santé mentale des jeunes. Alors que d’après une étude de We are social et Hootsuite, les Français·e·s passeraient en moyenne chaque jour 1h46 sur les réseaux sociaux, soit 5 minutes de plus qu’en 2021, nous avons échangé sur l’influence des réseaux sociaux sur notre santé mentale.

Au micro de la journaliste et créatrice du podcast “On marche sur la tête” Clotilde Costil, trois créatrices de contenus nous ont partagé leur expérience sur les réseaux sociaux et les impacts sur leur santé mentale. On retrouve alors Laurène Le Gall, créatrice du podcast “Et si tu posais ton tel ? » pour prendre conscience de notre hyperconnexion, Juliette Begnaud, créatrice du compte Instagram et du podcast “Bien dans nos baskets” pour parler de développement personnel et Amélie Foulatier, créatrice du compte Instagram @hellopecia sur lequel elle parle d’alopécie dont elle est elle-même atteinte. Elles nous ont partagé leur utilisation des réseaux sociaux pour libérer la parole sur des sujets encore tabous, mais aussi comment elles se protègent. et échange afin de montrer les complexités de se confier sur les réseaux sociaux. Pour aller plus loin, si vous sentez que vous êtes en train de tomber en addiction de votre téléphone portable, écoutez le podcast en entier.

 

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POURQUOI AVOIR CHOISI INSTAGRAM OU LE PODCAST POUR PARLER DE SANTÉ MENTALE ?

 

 

Amélie Foulatier : J’ai choisi Instagram car j’avais cette volonté de montrer quelque chose que j’avais passé des années à cacher. J’ai grandi avec une perte de cheveux partielle qui ne se voyait pas forcément et j’arrivais mais qui était un tabou pour moi. C’est quelque chose d’assez honteux que j’avais intériorisé comme la plupart des femmes qui perdent leurs cheveux. Donc en utilisant un réseau social basé sur l’apparence, l’idée était de venir casser les codes. J’avais vraiment une volonté d’esthétiser cela. Par exemple, j’ai fait des photos avec des photographes professionnels parce que j’avais envie de rendre cela joli. Quand j’ai commencé mon compte il y a 3 ans, j’avais encore des cheveux donc j’avais des trous dans les cheveux. À l’époque, je trouvais ça vraiment pas beau, j’avais besoin de le sublimer. Ce qu’on a l’habitude de cacher a aussi sa place sur les réseaux sociaux.

Juliette Begnaud : Je suis passionnée par le bien-être. C’est pour ça que j’ai créé le compte “Bien dans nos baskets” et le podcast. J’ai commencé la kinésithérapie et ça n’allait pas pour moi, donc je me suis dit « prends soin de toi ». Je suis partie en voyage et je me suis rendu compte que le bien-être était clé. Cela fait des années que j’expérimente des choses pour moi et je me suis dit qu’en lançant le podcast, je pourrais les partager et que ça pourrait m’apporter plein de choses. Étant donné que le podcast est un média qui n’est pas forcément très promotionnel, j’ai utilisé les réseaux sociaux pour pouvoir communiquer sur le sujet. Ce qui est bien, c’est qu’avec les réseaux sociaux, tu peux toucher une communauté hyper facilement.

 

 

COMMENT LES RÉSEAUX SOCIAUX PEUVENT CONTRIBUER À IMPACTER POSITIVEMENT VOTRE SANTÉ MENTALE ?

 

Amélie Foulatier : Il faut savoir que l’alopécie est un terme général qui désigne la perte de cheveux quelle qu’en soit la cause et il y en a plusieurs formes. Moi j’ai une pelade, c’est une maladie auto-immune. Et il y a beaucoup de stigmatisation autour des maladies parce que ce sont nos propres corps qui génèrent ces maladies.  Cet aspect est intimement lié à la santé mentale. Quand je voyais des médecins, on me disait toujours que je perdais mes cheveux à cause du stress  que j’avais intériorisé. Selon elleux, la pelade était une manifestation extérieure de mon mal-être interne. Mais je n’avais pas du tout envie que les gens sachent que je n’allais pas bien. Le fait d’en parler ouvertement sur Instagram et d’être vulnérable c’était faire la paix avec l’image que ça pouvait renvoyer aux autres. C’était également faire la paix avec le fait que je n’allais pas toujours bien et que c’était ok. Il n’y a pas de honte à avoir une santé mentale qui varie. Sans tomber dans un côté journal intime, j’avais vraiment envie de partir de mon expérience et de mes ressentis pour essayer de décrire les émotions très aléatoires que je pouvais ressentir au quotidien. Ce qui a été chouette, c’est qu’il y a plein de gens qui ont connecté à mon contenu sans forcément avoir de perte de cheveux et qui se retrouvaient dans ce que je disais. Cela crée des échanges précieux. On voit que tou·te·s à notre échelle, peu importe ce par quoi on passe dans la vie, on peut se retrouver sur plein de sujets.
Le but était d’aider les gens à se sentir moins seul·e·s. Je sais que quand on a quelque chose que l’on cache, dont on a honte, on peut se sentir très isolé·e·s dans ce que l’on vit et on peut avoir l’impression que personne ne peut nous comprendre, que personne ne va pouvoir entendre cette souffrance. Il y avait vraiment la volonté de dire aux gens « je vous vois dans cette souffrance car moi aussi je l’ai eue et je l’ai encore parfois« . C’est normal que ça soit difficile de vivre avec quelque chose qu’on n’a pas choisi. Il y avait vraiment l’envie de déstigmatiser et de créer un espace où n’importe qui pouvait se retrouver. J’ai des retours très positifs de personnes à qui ça a fait du bien de se sentir représenté·e·s.

Juliette Begnaud : Les réseaux sociaux peuvent nous impacter positivement car ils permettent de libérer la parole, déculpabiliser, se rendre compte qu’on n’est pas tout seul·e·s. S’il y a des jours où ça ne va pas, c’est normal. J’ai vu un post de la créatrice de podcast Pauline Laigneau, qui a tout le temps le sourire sur les réseaux sociaux et de l’extérieur on pourrait se dire que tout va bien pour elle. Récemment elle a mis un message disant « aujourd’hui, ça ne va pas et je ne le partage pas pour me plaindre mais pour montrer que moi aussi ça ne va pas et on est tous pareil ». Je pense vraiment que les réseaux sociaux sont super pour ça.

Clotilde Costil : Pour résumer de ce que vous avez dit, ça a permis de délier les langues sur les maladies et les troubles psychiques, mais aujourd’hui il y a un nouveau fléau qui inquiète les professionnel.les de la santé, c’est l’auto-diagnostic. Alors sur Tiktok, sur Youtube, sur Instagram, il y a pas mal d’influenceur·euse·s en santé mentale qui prodiguent leurs conseils en 30 secondes par rapport à une maladie psychique et face à elleux, il y a une armée d’abonné·e·s qui sont convaincu·e·s par effet miroir de « souffrir » du même trouble. Le problème, c’est qu’iels ne passent pas par la case médicale donc c’est un véritable enjeu qui est problématique.

 

Le problème par rapport au sujet que je traite, est qu’il y a tellement peu d’informations que les personnes sont perdues et démunies.

Amélie Foulatier, créatrice du compte Instagram @hellopecia

 

 

EST-CE QUE VOUS EXPLIQUEZ D’OÙ VOUS PARLEZ ?

Laurène Le Gall : Personnellement, je ne considère pas que suis professionnelle de la santé mentale. Je fais plutôt de la sensibilisation, de la prévention et de la pédagogie par rapport à l’hyperconnexion. Donc dès que ça va être hors de ma portée, je vais toujours dire « si vous ressentez un mal-être, si vous sentez que ça va trop loin, que ce n’est plus bon pour vous, que vous êtes en perte de contrôle complète de votre utilisation des réseaux sociaux : allez consulter un·e professionnel·le ». Et effectivement, je pense que c’est important, quand on communique sur ces questions, de renvoyer vers des professionnel·le·s qualifié·e·s, que ce soit des médecins, des services de santé ou des lignes d’écoute… Donc, je fais ce projet en toute modestie, en donnant des informations pédagogiques, en essayant de créer une communauté, un mouvement social qui motive les gens à se poser des questions par rapport à leur hyperconnexion. Mais c’est plus proche du développement personnel, c’est plutôt pour donner des clés, une boîte à outils, des informations de manière assez ludique et accessible. Sur le sujet de l’hyperconnexion, il existe beaucoup d’articles ou des études qui sortent mais si on se demande vraiment « qu’est-ce que je fais devant mon écran une fois que je suis hyperconnecté·e ? », on peut se sentir un peu démuni·e. C’est plutôt rendre accessible ces informations.

Quand je vais sur un terrain glissant sur les sujets de santé mentale, je précise toujours que je ne suis pas professionnelle de santé. Je pense que les réseaux sociaux sont une scène idéale pour prendre la parole avec confiance et avec conviction. Mais attention, si quelqu’un·e énonce une information dont iel a l’air très sûr·e mais qui n’est pas forcément sourcée, méfiez-vous. Il faut garder son esprit critique. Ce n’est pas forcément facile sur les réseaux sociaux, surtout si c’est votre influenceur·euse préféré·e qui prend la parole. Mais tout le monde n’est pas médecin, tout le monde n’est pas capable de dire « je suis comme ça donc vous êtes comme ça et nous sommes pareils ». Mais par contre, il y a de nombreux autres aspects positifs comme vous l’avez dit plus tôt.

 

Amélie Foulatier : Je rejoins Laurène sur la question des sources. J’ai fait de la  vulgarisation scientifique pour essayer d’expliquer les différentes formes d’alopécie. On m’a aussi posé beaucoup de questions sur les différents traitements qui existaient. Maintenant, je réponds de moins en moins car c’est quelque chose qui me met mal à l’aise. Je ne suis ni médecin, ni professionnelle de santé ou dermatologue. Je reçois des photos de personnes avec leurs cheveux, qui me demandent des diagnostics. Et je leur dis que je ne peux pas car ce n’est pas ma casquette. Le problème par rapport au sujet que je traite, est qu’il y a tellement peu d’information que les personnes sont perdues et démunies. La plupart des personnes qui ont une alopécie, notamment les femmes, malheureusement, ont la sensation d’être désemparées. Elles sont mal re-dirigées ou mal prises en charge. Souvent les professionnel·le·s de santé disent « ce n’est pas grave, ce ne sont que des cheveux » et ne prennent pas en compte l’impact que ça peut avoir sur la santé mentale. Parfois je fais des points quand je parle d’un traitement pour dire que ce sont des informations que je suis allée chercher sur Internet, sur des revues scientifiques mais je n’encourage rien. Je n’encourage ni la prise de ce traitement ni la non-prise de ce traitement, je donne juste les informations en toute neutralité. Après je les encourage à faire leurs propres recherches et à aller voir des médecins, mais les personnes ne l’entendent pas toujours. Je trouve que parfois, quand on aborde un sujet, iels ont envie qu’on leur apporte toutes les réponses mais ce n’est pas évident de mettre des limites et de cadrer la situation.

Pour en revenir à la question, je ne suis pas thérapeute et je ne me considère pas comme « influenceuse » non plus, parce que déjà je ne suis pas très fan de ce terme. Je n’ai pas envie d’influencer les gens en quoi que ce soit. On me dit souvent « influenceuse body positive » ou « influenceuse santé mentale » et je l’entends, mais personnellement, je ne me considère pas influenceuse. Pour moi, c’est un partage d’expériences. Je me considère plutôt créatrice de contenus, c’est un travail que je fais complètement bénévolement.

 

Juliette Begnaud : C’est un peu pareil pour moi, je ne suis pas influenceuse, je ne suis pas psychologue, mais je partage juste des informations qui m’ont servies. Ça me plaît de les partager, c’est un peu égoïste mais je le fais parce que j’aime bien faire cela. Je reçois des messages positifs de gens qui me disent « merci, tu es comme nous et ça fait du bien d’entendre des gens dire que ça ne va pas et si tu as des astuces, on est preneur·euse·s ». C’est juste des astuces que l’on partage ensemble mais en toute modestie. Il n’y a pas de thérapie derrière, pas de diagnostic.

 

Respecter le consentement des gens, c’est également valable sur les réseaux sociaux. Parfois, se confier, c’est compliqué quand on est la personne. C’est important de poser un cadre et des limites.

Amélie Foulatier, créatrice du compte Instagram @hellopecia.

 

 

 EST-CE QUE VOUS ARRIVEZ À VOUS PROTÉGER LORSQUE VOUS ÊTES EN INTERACTION AVEC VOTRE COMMUNAUTÉ ? 

 

 

Juliette Begnaud : Il y a des gens qui me disent quand ça ne va pas. Je trouve que c’est bien d’être  une oreille. Si tu as besoin de m’en parler, c’est bien. C’est aussi ce que je fais en tant que kinésithérapeute. Je ne suis pas psychologue, mais j’écoute mes patient·e·s. J’ai reçu des messages auxquels parfois je n’ai pas de réponse, ni je ne sais aider. Mais je crois que juste écouter, ça  fait du bien.

Amélie Foulatier : Je trouve que c’est super de pouvoir échanger avec des personnes et qu’iels aient envie de se confier. Iels savent qu’en face iels ont quelqu’un·e qui va pouvoir les comprendre. Mais moi je mettrais juste un petit warning là-dessus. Si vous avez envie d’aller parler à quelqu’un·e sur les réseaux sociaux, que vous ne connaissez pas ou que vous connaissez à travers son compte, notamment pour des sujets de santé mentale, et même si la personne est thérapeute, vous ne savez vraiment jamais à qui vous avez affaire en face. Personnellement, ça a été parfois compliqué de recevoir des messages de personnes en souffrance et parfois en grande détresse qui pensaient que je pouvais les comprendre. C’est vrai que je peux les comprendre mais ça ne veut pas dire que je peux tout entendre non plus. Quand on débarque dans les messages privés de quelqu’un·e pour lui raconter sans préambule, un épisode traumatique, c’est difficile à recevoir pour la personne en face. Parfois, j’ai eu du mal à mettre des limites là-dessus et je ne l’ai jamais vraiment fait parce que j’avais envie d’apporter mon soutien à tout le monde. Si je veux parler à quelqu’un·e que je ne connais pas sur les réseaux sociaux, je vais faire un premier message où je vais demander, par exemple « j’aimerais pouvoir te parler de quelque chose sur laquelle tu pourrais peut-être m’aider » en mettant les grandes lignes, et en demandant si iel a l’espace pour cela, si jamais il y a un “trigger warning”. Je veux laisser à la personne le choix de dire nonRespecter le consentement des gens, c’est également valable sur les réseaux sociaux. Parfois, se confier, c’est compliqué quand on est la personne. C’est important de poser un cadre et des limites.

Pour l’épisode du podcast Self-care ta mère : Peut-on politiser le bien-être ?, Judith Duportail reçoit Camille Teste, autrice de Politiser le bien-être. Elles y abordent notamment le lien entre les défaillances de notre système de santé et le fait que les personnes se dirigent vers les réseaux sociaux.

 

 

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