10 juillet 2022

Horloge biologique et libération mentale

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À l’heure où le corps des femmes semble de moins en moins leur appartenir, j’ai envie de parler de la loi bioéthique du 2 août 2021 qui autorise la congélation d’ovocytes pour les femmes sans raison médicale. Vous n’en avez pas entendu parler ? C’est normal 95% des médias s’en fichent et quasi-personne ne prend la parole à ce sujet. Pourtant, on parle d’une loi libérant une charge qui pèse très lourd dans la balance de la santé mentale des femmes : celle de l’horloge biologique. Une fois n’est pas coutume, je m’inspire de mon expérience personnelle pour écrire cette newsletter. Pourquoi ? Car j’ai vraiment le sentiment que très peu de gens sont au courant de l’existence de cette loi et ça me semble d’utilité publique d’en parler.

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COMMENT CONGELER VOS OVOCYTES EN FRANCE ? 

 

Avant de commencer petit rappel de vocabulaire car personnellement j’en ai eu besoin aussi, mes cours de bio étant un lointain souvenir :

  • Gamète : cellule reproductrice mâle ou femelle qui contient un seul chromosome.
  • Ovocyte : cellule reproductrice stockée dans les ovaires des femmes qui sont produites à chaque cycle menstruel. L’ovocyte se transforme en ovule au moment de la fécondation par un spermatozoïde.
  • Spermatozoïde : gamète reproducteur mâle.
Avant la loi du 2 août 2021, l’autoconservation d’ovocytes pour “convenance personnelle” (entendre par là jouir pleinement de son corps en tant que femme) était interdite sauf pour motif médical (maladie, fertilité…).
Les femmes pouvaient avoir recours à la congélation d’ovocytes uniquement dans le cadre d’un don pour soutenir une femme atteinte d’une maladie ou de problème de fertilité. Et si par chance, il restait des ovocytes non utilisés, la donneuse pouvait les congeler. Mais franchement ça n’arrivait que rarement.
La loi bioéthique du 2 août 2021 a enfin changé cette donne. Elle permet aux femmes  de congeler leurs ovocytes sans motif médical et avec comme objectif la réalisation ultérieure d’une assistance médicale à la procréation.

Mode d’emploi 

  • Comment ça fonctionne ? Le prélèvement d’ovocytes peut être réalisé à compter du 29e anniversaire et jusqu’au 37e anniversaire.
  • Où le faire ? Dans les établissements de santé publics et privés à but non lucratif.
  • Quelle est la prise en charge ? La Sécurité Sociale prend en charge le traitement médical et la ponction pour permettre le prélèvement des ovocytes. Seul le coût de la conservation des ovocytes n’est pas pris en charge (en moyenne 45 euros par an).
  • Pour combien de temps? Les femmes ont accès à leurs ovocytes jusqu’à 45 ans.
  • Quand le faire ? Entre 29 et 37 ans. Mais attention je tiens à préciser ici que le fait de congeler ses ovocytes ne garantit pas une réussite de grossesse à 100%. Il est aussi recommandé de le faire avant 35 ans par le corps médical. Ceci n’est qu’une recommandation.
  • Quid du consentement d’un·e conjoint·e potentiel·le ? Le recueil du consentement de la/du conjoint·e de la/le donneur·se d’ovocytes est supprimé.
Cette loi a répondu à une demande importante et latente de la part des femmes. On n’a pas encore de chiffres précis car il est trop tôt maisd’après les témoignages les demandes sont nombreuses et les services concernés débordés. À titre d’exemple, les chiffres des pays où la congélation est autorisée sont éloquents, et ce même si les conditions financières sont (beaucoup) moins accessibles qu’en France.

 

 

2695%
C’est le taux d’augmentation des femmes qui ont congelé leurs ovocytes aux US entre 2009 et 2018.

Source : Time, 2021.

 

 

POURQUOI JUSQU’ICI ÇA N’A PAS ÉTÉ UNE SINÉCURE ? 

 

La loi bioéthique du 2 août 2021 est une libération fondamentale pour les femmes. En tout cas, c’est comme ça que je vis cette légalisation. Lorsque j’ai congelé mes ovocytes, j’ai eu le sentiment de (re) prendre le pouvoir sur mon être. Pendant longtemps, je me suis laissée entendre dire par la société qu’en tant que femmes on ne peut pas tout avoir dans la vie : les enfants, le boulot, la vie amoureuse, la liberté. Au bout d’un moment il faut choisir. « Ah bon pourquoi je devrais choisir alors que j’ai le sentiment que 50% de l’humanité n’a pas à le faire ? Pour moi c’est simple de répondre ça du tac au tac car j’ai bénéficié d’une éducation qui m’a donné les ressources et les moyens de m’affirmer. J’ai une maman qui m’a toujours dit et a incarné cet adage : “le plus important dans ta vie de femme, c’est d’être indépendante intellectuellement et financièrement”

Alors oui avoir la possibilité de congeler ses ovocytes libère une charge mentale importante. Cependant c’est un sujet qui n’existe pas médiatiquement et qui n’est pas connu de l’opinion publique. Lors de mon parcours, j’ai souffert de ne pas trouver de ressources pour m’informer ou pour en parler. J’ai été dans une démarche très proactive. Aucun dispositif de prévention et de communication n’a été mis en place au sein des professionnels de la santé pour les sensibiliser et les former sur ce sujet. À tel point que j’étais étonnée de constater que bon nombre des soignant·e·s  ignoraient l’existence de la loi bioéthique du 2 août 2021. 

En plus, on a souvent essayé de me faire ressentir un sentiment de honte ou de culpabilité.

J’ai eu le bonheur de croiser des médecins et des personnes qui m’ont bien fait sentir que j’étais une nullipare. NDLR : C’est l’adjectif dont on affuble les femmes lorsqu’elles n’ont pas porté d’enfants. Charmant n’est-ce pas ?

 

Illustration par Siobhan Keane.

 

Iels ont pu me dire sans vergogne des phrases du type :

  • « Mais qu’avez-vous fait jusqu’à présent Madame ? » Phrase à laquelle je répondais : je me suis réalisée, j’ai kiffé et appris plein de choses ? Et vous ?  Parce que vous m’avez l’air un peu aigri du coup ?

  • « Vous devez être trop carriériste et égoïste Madame pour faire ce choix qui relève du simple confort personnel ? » Franchement à ça je ne répondais pas, je n’avais pas la force d’avoir ce débat à ce moment-là.

  • « Ne savez-vous donc pas comment votre corps fonctionne ? Car la fécondabilité baisse drastiquement à partir de 30/35 ans ». Merci de me prendre pour une enfant de 7 ans et vous vous savez qu’une loi existe ? Pourquoi vous n’en parlez pas alors ?

Ces petites phrases vous minent le moral et pèsent dans la balance de la charge mentale des femmes. Mais j’ai envie de penser qu’elles ne sont plus en phase avec la société actuelle, avec nos aspirations, avec notre façon d’envisager le couple et la maternité. La chanteuse turque Nermine Sfar qui milite pour la légalisation de la congélation d’ovocyte dans son pays a eu cette phrase très juste. « Il y a un décalage entre l’âge biologique qui commande l’âge de la reproduction et l’âge sociétal qui commande l’évolution de nos carrières. »

Phrase à laquelle j’ai envie d’ajouter : à nos vies de manière générale, la notion de carrière  étant réductrice. Les codes et la société nous font sentir plus jeunes (si tant est que ça veuille dire quelque chose) dans la trentaine aujourd’hui qu’auparavant. D’après la journaliste et auteure Myriam Levain, les avancées sociales proposées par la congélation d’ovocytes sont équivalentes à celles liées à la légalisation de l’IVG. Et je suis bien d’accord avec cela. Après l’avoir fait, j‘ai eu ce sentimental salvateur de m’offrir du temps et de me libérer de la pression psychologique imposée par une certaine société.

 

 

C’est une démarche très positive pour les femmes, on a l’impression de ne plus être infantilisée, de prendre son destin en main, de ne pas subir une situation, c’est libérateur. C’est une vraie révolution.

Myriam Levain, fondatrice de Cheek Magazine et auteure.

 

 

MES TIPS 

 

La loi bioéthique de 2021 est une avancée importante car elle libère le champ des possibles en matière de réalisation personnelle, professionnelle et de couple pour les femmes. La démarche de congélation d’ovocytes n’est pas pour autant anodine. Pour vous en dire plus, il y a 4 grandes étapes.

La préparation

C’est l’étape la plus longue C’est selon moi indispensable d’en parler à ses proches et/ou à un·e thérapeute tout au long du parcours pour être accompagnée et soutenue psychologiquement. D’un point de vue médical, votre gynécologue vous demandera de faire un test de fertilité pour évaluer les chances de réussite de la congélation. C’est tout simple, c’est une prise de sang et une échographie.

Le traitement hormonal 

Cette période dure en moyenne 2 à 3 semaines. Elle commence généralement par des médicaments. À partir du cycle, la stimulation hormonale prend la forme de piqûres quotidiennes pendant 10 à 15 jours. Pendant ce temps, le dosage hormonal est vérifié au moyen de prises de rang et d’échographies régulières. C’est la période pendant laquelle ta vie est rythmée par les rendez-vous médicaux. Cette quinzaine de jours peut être éprouvante émotionnellement et physiquement. Il est conseillé d’avoir des espaces de temps disponibles qui soient dédiés à cela et au repos.

La ponction 

Elle se fait en ambulatoire, sous anesthésie locale et générale. C’est indolore et la sortie se fait le jour même. Je vous conseille vivement d’être accompagnée par un·e proche le jour de l’opération pour être avec vous en soutien.

Après

Dans les jours qui suivent la ponction, on peut ressentir une grande fatigue. C’est le contrecoup de la stimulation et de l’anesthésie. Franchement le concept de self care à ce moment-là prend tout son sens. On a besoin d’être au calme. Levez le pied, reposez-vous, prenez du temps pour vous. La démarche n’est pas anodine. Relâchez la pression pour mieux célébrez plus tard ce choix. Et franchement je l’ai fait, ça fait plaisir!

 

Un podcast en anglais pour comprendre les différentes étapes de la congélation avec Sophia Money-Coutis host qui témoigne de son expérience de congélation en faisant intervenir des guests. 

 

 

 

Dans leur podcast, trois potes, Coni, Dan, et Pascal s’interrogent sur le rapport amoureux et décident d’en parler avec une invitée qui nous livre son témoignage. L’épisode que je vous recommande aujourd’hui c’est celui sur l’horloge biologique bien sûr.

 

 

 

Les trois points clés à retenir
#1 C’est autorisé et remboursé par la Sécurité Sociale pour toutes les femmes. 
#2 La limite d’âge est de 37 ans. 
#3 C’est un puissant moyen pour reprendre le pouvoir sur son être.

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