11 février 2022

Santé mentale et sport

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Sous le feu des projecteurs, les JO de Pékin cristallisent bon nombre de nos enjeux de société actuels : sociaux, environnementaux, démocratiques mais aussi en matière de santé mentale. Et ils s’annoncent délicats d’un point de vue psychologique en raison de la politique anti-covid extrêmement contraignante et autoritaire du régime chinois. En plus de vivre dans une bulle sanitaire qu’iels n’ont pas le droit de quitter, les sportif·ve·s doivent aussi se faire tester tous les jours, avec la crainte d’un isolement en cas de résultat positif. C’est ce qui est arrivé à la Belge Kim Meylemans, spécialiste du skeleton, qui a été testée positive à son arrivée à Pékin. Au lieu d’être isolée au sein du village olympique, elle a été transportée en ambulance dans un lieu qu’elle ne connaissait pas. En larmes, elle a livré un témoignage poignant sur les réseaux sociaux.  Les voix des athlètes de haut niveau s’élèvent de plus en plus fort pour lever l’omerta sur les problèmes de santé mentale. Mais il y a encore du boulot pour démanteler la toxicité de la culture du sport de haut niveau. Pour creuser le sujet je vous invite aussi à écouter le podcasts mūsae stories avec Marion Haerty, quadruple championne du monde de snowboard freeride.

Écouter le podcast avec Marion Haerty

NOS SPORTIF·VE·S : SES SUPER HÉROS 

 

Dans l’imaginaire collectif, les sportif·ve·s de haut niveau sont des super héros, toujours au maximum de leur forme et de leur bien-être mental. Perçus comme des demi-dieux, il nous semble invraisemblable de les imaginer en proie à leurs démons ou subissant de plein fouet la pression psychologique imposée par leur environnement. Et pourtant en réalité çe ne va pas fort du tout.
Nombreux sont celleux qui souffrent de troubles de la santé mentale : épuisement, toxicomanie, troubles de l’alimentation, dépression… C’est une culture globale du sport de haut niveau qui est à prendre en compte : de la mauvaise qualité du sommeil, passant par l’angoisse des processus de sélection, ou encore en raison d’une retraite prématurée pour cause de blessure… Ça a été le cas du nageur Michael Phelps pour qui sa baisse radicale d’activité a provoqué une spirale infernale menant à des pensées suicidaires.

35% des athlètes d’élite sont affectés par des troubles de la santé mentale.  

Source : Comité Internationale Olympique

Mais comment ne pas succomber lorsque leur sport est leur raison d’être ? Les sportif·ve·s vivent en étroite dépendance avec leurs résultats. Combien de fois on nous a répété à nous “communs des mortels” : tu n’es pas que ton boulot, ton identité va au-delà de ça. Oui mais pour les sportif·ve·s de haut niveau c’est différent. La prolongation de leur contrat, la pression du club, la pression personnelle et celle des supporters sont exclusivement liées à leur performance. Autant de sources de stress importantes. Et puis peut-être qu’on se dit aussi intuitivement que c’est leur job après tout de surmonter tout cela, non ?

L’américain Kevin Love, basketteur pro a d’ailleurs récemment pris la parole sur ce sujet.

Je suis allé à mon premier rendez-vous chez mon psy avec un certain scepticisme. Mais il m’a surpris. Pour la première fois de ma vie, le basket n’était pas le sujet principal de la discussion.

Kévin Love, 2020

L’OMERTA DANS LES SPORTS COLLECTIFS

 

En 2021, une étude a été demandée en France par le Comité Ethique et Sport, Alyne Dossou (sportive professionnelle de taekwondo), Gary Florimont (basketteur) et Jérôme Fernandez (ex-handballeur). Elle est notamment partie d’un premier constat que le sentiment de mal-être est nettement plus mis en avant par les hommes et dans les sports collectifs.

Les hommes sont les premiers à souffrir du poids du silence qui pèse sur leur santé mentale. Au-delà d’être en proie à leurs luttes intérieures, il leur est très difficile d’en parler. Ils ne veulent pas que leur fiabilité soit remise en cause par leurs coéquipiers.  Car exprimer sa vulnérabilité est clairement un signe de faiblesse au sein d’une équipe

Cette culture du silence est particulièrement prégnante dans l’univers des sports collectifs. Elle met sous clé les violences psychologiques et physiques vécues au quotidien par les joueurs. Laure Delisée, psychologue; explique que le tabou de la dépression existe dans le sport au même titre que celui des maltraitances».

Patrice Evra, ex-capitaine de l’équipe de France de Footballeur, vient d’ailleurs de publier un ouvrage qui dévoile les abus sexuels dont il a été victime. Sur le plateau de Clique en janvier 2021, il dénonce aussi l’omerta sur la santé mentale dans le monde sportif en France. Dans un autre contexte, Ouissem Belgacem publiait aussi l’année dernière, Adieu ma Honte pour expliquer comment et pourquoi il a tout fait pour dissimuler son homosexualité dans un milieu footballistique hostile au sujet.

En plus du poids du tabou autour de la santé mentale, le racisme et le sexisme sont des facteurs aggravants. Souvent dans l’univers professionnel du sport les structures de pouvoir favorisent largement les hommes blancs. Si Simone Biles a pris la parole lors des JO de Tokyo sur sa santé mentale, c’est aussi que son poids a largement été alourdi par les abus sexuels qu’elle a connus de la part du docteur Larry Nassar en charge de l’équipe américaine féminine de gymnastique.

La revue scientifique américaine The Lancet met en lumière le fait que le sport (amateur et professionnel) favorise les formes de violence psychologiques et identitaires. Elle milite pour une refonte structurelle de la culture du sport. 

CHANGER LA CULTURE DU SPORT

 

Libérer la parole

 

Pour passer d’une culture de la performance à outrance à une culture du soin, la libération de la parole est le premier levier. Le fait que certains athlètes parlent de leur santé mentale permet de proposer d’autres représentations du sportif·ve de haut niveau. Véritable caisse de résonance, la libération de la parole participe à la démocratisation de la santé mentale pour les professionnels comme pour le grand public. Aujourd’hui des sportifs jettent l’éponge et préfèrent préserver leur santé mentale plutôt que de participer aux JO de Pékin. C’est le cas du hockeyeur suédois Robin Lehner, qui évolue aux Etats-Unis. Le gardien de but qui s’exprime ouvertement sur ses troubles, notamment sur sa bipolarité, a expliqué avoir pris la décision de ne pas participer aux JO de Pékin.

 

La préparation mentale dans les structures sportives 

“Si t’es un joueur et que tu as des envies noires, je pense que tu es plus à l’aise pour en parler à quelqu’un d’extérieur qu’avec quelqu’un qui va boire des bières avec le coach”, affirme Gary Florimont. Il est partisan de la création d’une cellule psychologique indépendante, que les athlètes pourraient contacter en tout anonymat. En effet la prise en compte de la psychologie dans le sport est inégale en France. L’Institut National du Sport de l’Expertise et de la Performance fait partie des meilleurs élèves. L’Institut emploie toute une équipe de psychologues cliniciens, de préparateurs mentaux , de coachs, et de chercheurs en psychologie.

La (timide) prise de conscience du CIO 

Même s’il y a eu une prise de conscience indéniable depuis quelques années les actions concrètes du Comité International Olympique  demeurent à la marge. Pour les JO de Pékin, le CIO a mis en place la «Mentally Fit Helpline», une hotline téléphonique pour décharger la pression psychologique des athlètes en compétition. Elle est ouverte sept jours sur sept.

Des marques qui s’engagent

L’industrie du sport joue également un rôle important dans les représentations collectives qu’on se fait de la santé mentale. Même si ce n’est pas le cas de toutes les marques, certaines comme Asics prennent aussi la mesure de leur responsabilité et proposent une autre vision du sport amateur. L’année dernière à ce titre, mūsae a également accompagné Reebok dans son repositionnement stratégique pour proposer une vision holistique et inclusive du fitness. Pour tout savoir, vous pouvez écouter en podcast ma discussion avec Thibault Durand de chez Reebok Europe.

Les trois points clés à retenir 

#1 La parole des sportif·ve·s de haut niveau se libère sur la santé mentale
#2 La vulnérabilité pour les hommes a besoin d’être légitimée
#3 Le milieu du sport commence à réclamer une réelle culture du soin 

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