Le dimanche 9 janvier 2022, Stromae prenait la parole sur TF1 en prime time pour évoquer un sujet qui reste habituellement dans les tréfonds de la peur et de l’intime. Après une longue pause, notamment en raison de ses problèmes de santé mentale, Stromae scande les paroles de son titre L’Enfer et parle ouvertement de ses pensées suicidaires, qui l’ont hanté ces dernières années.
Cette prise de parole courageuse, n’en déplaise à certain·e·s, a permis à des milliers de personnes de se sentir moins seules. Depuis le passage de Stromae au JT, les prises de rendez-vous chez les psychiatres ont explosé ainsi que les appels au 3114, le numéro national de prévention au suicide. Les liens entre la musique et la santé mentale sont intimement liés. Pour le meilleur et parfois pour le pire.
PRENDRE LE MIC POUR SE LIBÉRER DE SES DÉMONS
Que ce soit dans la sphère privée ou publique, la musique est un porte-voix redoutablement efficace pour parler de la santé mentale. Elle permet de la déstigmatiser comme l’a fait Stromae. Et aussi elle est une véritable catharsis pour les artistes. L’art de manière générale a cette vertu de nettoyer l’âme et de poser un autre regard sur ses propres démons.
L’autrice féministe, Virginia Woolf, qui souffrait de bipolarité et de troubles de l’humeur, dessinait son visage lors de ses épisodes de dépression. Edvard Munch a peint “Le Cri” suite à une balade sur les bords des Fjords à Oslo alors qu’il était effrayé par le ciel, qu’il percevait à feu et à sang dans sa tête. Il était en fait en pleine hallucination.

Oumayma B. Tanfous © 2021
Aujourd’hui, la musique et la pop culture de manière générale, mettent sur la table la santé mentale : comme Billie Eilish ou la chanteuse pop Pomme qui en parle notamment dans son clip Anxiétés. Ce titre est issu de son album Les Failles sorti en 2019. Pour elle, “cet album était pour moi un safe space où je pouvais tout lâcher”. Girl in Red dans son clip Summer Depression fait le choix de la nostalgie et nous montre des images d’enfance comme si elle voulait retrouver ses étés insouciants au rythme d’une balançoire qui balaie ses idées noires.
Vous allez me dire : ok les musiques pop rock ont toujours parlé de près ou de loin de la santé mentale. Mais en y regardant de plus près, les artistes hip-hop et rap parlent également de santé mentale. Leurs codes sont toutefois plus sombres.
Déjà au milieu des années 90, Notorious Big sortait Suicidal Thoughts, l’un des titres les plus cash sur la santé mentale dans le hip-hop. Je ne suis pas certaine qu’à l’époque Booba aurait osé clasher Notorious comme il l’a fait avec Stromae. Mais bref ceci est une autre histoire. Plus récemment Dinos évoque dans les Pleurs du Mal, le passé colonial et raciste qui hante ses pensées.
Je ne fais que raper mes carences, mes peines et mes malchances.
Dinos, Les Pleurs Du Mal
Le rappeur français Laylow lui tire le fil de sa santé mentale au gré de ses sons et de ses films. On plonge avec lui dans la noirceur de ses sentiments et de sa peur du rejet. Il exprime depuis ses débuts sa singularité et explique aussi que le racisme ambiant n’a fait qu’ajouter à ce sentiment d’exclusion. Dans son album l’étrange histoire de Monsieur Anderson, Laylow révèle une partie enfouie de lui-même. Sa personnalité serait double (Laylow et Monsieur Andersen) laissant penser qu’il souffre en fait de bipolarité. Depuis toujours il a eu ce besoin viscéral de révéler cette petite voix intérieure à travers la créativité et la musique. Mais elle le hante parfois. Laylow essaie même de la faire taire en tirant sur Monsieur Andersen au sniper dans le titre Special avec Nekfeu.
LES TROUBLES DE LA SANTÉ MENTALE, UN SUPPLÉMENT D’ÂME ARTISTIQUE ?
De nombreuses études ont démontré la corrélation entre le fait d’être créatif·ve (au sens large du terme, on entend ici les artistes et les scientifiques compris ) et le fait de souffrir de troubles de la santé mentale. D’après une enquête publiée sur la United States Library of Medicine, les personnes atteintes de bipolarité, de schizophrénie, de toxicomanie sont souvent considérées comme étant plus créatif·ve·s.
Dans l’imaginaire collectif, on a tendance à « glamouriser » les troubles mentaux chez l’artiste. Sans la folie pas de génie créatif possible. De Kurt Cobain, en passant par Amy Winehouse, ou Mac Miller on se dit qu’ils ont été au sommet de leur art grâce à leurs problèmes de santé mentale. Pas si vite, le tableau est un peu moins manichéen que cela. D’une part malheureusement toutes les personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale ne deviennent pas tou·te·s artistes à succès. D’autre part, on a souvent tendance à confondre chez les artistes : mélancolie avec troubles psychologiques.
30% des artistes électro ont des symptômes de dépression ou d’anxiété.
Enquête Sage Journals sur un panel de DJs
En 2017 sort le documentaire sur la scène électro Why We DJ, Slaves to the Rythm. On y découvre la santé mentale des DJs. Le tableau est plutôt sombre. La solitude est évoquée presque unanimement par les artistes interviewés. Seth Troxler juge qu’elle façonne l’esprit humain et peut engendrer des problèmes d’addiction à la drogue ou au sexe. Laurent Garnier considère quant à lui qu’elle est la chose la plus compliquée dans la vie de DJ.
Ainsi souvent perçues comme des personnalités extraverties, solides ou charismatiques, la réalité vécue par les Djs en est bien loin. Le suicide d’Avicii en 2018 a été le triste témoin de cette réalité. Tim Begling, de son état civil, a été prodige de l’EDM avec une ascension fulgurante. On peut voir le sombre envers du décor dans le documentaire Avicii, True Story Introverti, sur-sollicité, mal entouré (notamment par son manager) et souffrant de solitude, seul l’alcool lui permettait de tenir le coup et de regagner confiance en lui. À bout émotionnellement et physiquement, il avait alors développé une pancréatite tant son addiction à l’alcool était ravageuse. Son manager lui en demandait toujours plus, y compris sur son lit d’hôpital, jusqu’au jour où il n’a plus pu tenir la cadence.

Réalisateur : Levan Tsikurishvili
Sa disparition a été un électrochoc pour l’industrie de la musique électronique qui commence à s’organiser sur le sujet de la santé mentale de DJs et de leurs managers.
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La fondation Tim Bergling a été créée par les proches du jeune DJ pour dénoncer les dérives du secteur
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L’Association For Electronic Music au Royaume-Unis a développé un guide à destination de l’industrie de la musique électronique,
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Le collectif CURA en France dédié à la santé mentale des artistes et à la Guilde des Artistes de la Musique propose quelques outils.
Les trois points clés à retenir
#1 La musique permet d’ouvrir le débat sur la santé mentale
#2 Il y a trop souvent confusion entre mélancolie créative et troubles psy
#3 L’industrie de la musique commence à prendre la mesure du problème

Illustration de Gringe par Coraline de La Maison Perchée
Après la sortie de son livre co-écrit avec son frère schizophrène « Ensemble, on aboie en silence », Gringe, rappeur français a décidé de s’engager auprès de la Maison Perchée. Cette association fait la jonction entre le patient et l’hôpital. La Maison Perchée fonctionne sur le principe de la pair-aidance pour créer la première communauté d’entraide de jeunes atteints de troubles psy.
J’ai eu l’opportunité de partager ma vision de la santé mentale dans une tribune pour le très bon Usbek & Rica. N’hésitez pas à partager si vous avez aimé.