Ce n’était pas mon idée de faire le livre au départ. Je ne me sentais pas légitime. Pendant longtemps, je n’ai pas assumé mon harcèlement scolaire, pas par honte, mais parce que je me disais qu’il y avait pire ailleurs. Puis, j’en ai parlé avec mes équipes, et ils m’ont dit “Ça pourrait être cool que tu prennes la parole à ce sujet.” Nous avions déjà vu l’écho de la musique sur des thématiques liées à la santé mentale. Nous avons donc décidé de faire ce livre, et je me suis dit “Ok, je le fais.” Non pour des raisons personnelles, mais pour aider des jeunes à se reconnaître. Les premiers retours ont été très positifs. De nombreuses personnes se sentaient enfin comprises. D’autres m’ont partagé que ça leur avait permis d’avoir les clés pour comprendre leurs proches qui souffrent de phobie scolaire. On ne la prend pas assez au sérieux. Pourtant, elle peut mener à l’hôpital. Ces retours très touchants m’ont aidée à accepter le fait que oui, j’avais été victime de harcèlement scolaire.

Frôler les murs, Tessae
COMMENT LA MUSIQUE ET L’ÉCRITURE ONT JOUÉ UN RÔLE DANS TON PROPRE PARCOURS EN SANTÉ MENTALE ?
Je fonctionne beaucoup par obsessions. Par exemple Billie Eilish, Twenty One Pilots, Tom Odell, ou encore Aurora sont des artistes qui représentent des périodes de ma vie. Il y avait des moments où je pouvais écouter la même chanson en boucle pendant des mois, et cela me faisait du bien physiquement. C’est de là qu’est venue cette relation spéciale avec la musique. Généralement ce sont des moments où j’ai des difficultés à interagir avec les autres. Plus jeune, je restais enfermée chez moi, incapable de sortir. Heureusement j’avais la chance d’avoir un piano, une guitare, un ukulélé. J’ai appris de manière autodidacte. J’ai toujours eu du mal avec les cours. Je me sentais trop honteuse.e Je me sens facilement en position d’infériorité et j’ai l’impression de tout faire mal. J’ai donc tout fait de mon côté, à mon rythme, et j’ai commencé à créer mes premières chansons. En écoutant des artistes qui mettaient des mots sur leurs maux en musique, je me suis dit que je pouvais faire la même chose. J’ai commencé en anglais, puis j’ai ressenti une libération physique en créant. Cela m’aidait à passer le temps sans être trop dans ma tête. La musique était là pour moi, elle ne pouvait pas me faire de mal comme certaines personnes ou mon anxiété.
Créer de la musique vient naturellement pour moi quand je sens qu’il faut extérioriser quelque chose. Si je me force, je ne me sens pas bien car je sens que je n’y arriverai pas, qu’il y aura un blocage. Je ne me force jamais à vivre du négatif pour l’inspiration. En ce qui concerne la création, comme le côté cathartique de la musique, ça fait du mal mais du bien en même temps. J’en fais quelque chose dont je suis fière. La musique affecte ma santé mentale de manière très naturelle.
QUELS SONT TES CONSEILS POUR DES JEUNES ARTISTES QUI SOUHAITENT ÉVOQUER LA SANTÉ MENTALE DANS LEUR CRÉATION MAIS QUI HÉSITENT PAR PEUR DE TROP SE DÉVOILER ?
Lors d’interviews ou même avec ma famille, quand on me demandait si je parlais de moi, je disais que je racontais des histoires fictives dans mes chansons, car finalement, en création, tu peux dire que c’est toi, que c’est ton vécu, comme ne pas le faire. Moi, j’avais ce mécanisme où je me disais : “Si je n’ai pas envie de dire ça dans cette chanson, je parle de tel sujet, j’ai imaginé un scénario, j’ai imaginé telle ou telle situation.” Cela crée une certaine distance si on n’a pas envie de dire que c’est notre ressenti. Mais vis-à-vis du texte de l’artiste, on n’est jamais à l’abri qu’une personne se reconnaisse là-dedans et que finalement ton combat devienne le combat de plusieurs personnes et que cela ne soit plus si personnel.

La musique a été un refuge. D’abord en tant que simple consommatrice, je me suis rendue compte que cela pouvait être thérapeutique pour moi. @tessae
La santé mentale est certes intime, mais nous sommes tellement nombreux·ses à vivre des expériences et des symptômes similaires. Ne pas parler de ses expériences enferme dans l’idée que l’on est seul·e à traverser certaines choses lorsque l’on fait face à des problèmes de santé mentale. Plus on en parle, plus on se rend compte que nous sommes nombreux·ses à vivre les mêmes situations. Cela ne devrait pas être considéré comme un tabou. Le fait d’en parler peut être libérateur pour soi. Aussi j’aime bien rappeler que nous ne devons rien à personne. Il est important de prendre son temps et de ne pas se précipiter. Si quelqu’un veut vraiment se livrer dans sa musique et en parler personnellement, qu’iel ne se force pas s’i·el ne se sent pas prêt·e ou s’i·el a peur de ne pas pouvoir assumer après s’être dévoilé dans une chanson. Il y a tout le temps nécessaire pour oser dire les choses comme on a envie qu’elles soient dites.
COMMENT ENVISAGES-TU DE CONTINUER À ABORDER LA SANTÉ MENTALE DANS TES PROCHAINES OEUVRES ?
De manière générale, dans mes textes. Je produis également pas mal de contenu sur les réseaux sociaux axé sur la santé mentale. Il faut que je prenne le temps de me poser et de réfléchir à la direction que je veux prendre, si je veux continuer de faire ça et quelles thématiques je peux aborder. Mais je pense que j’en parlerai toujours d’une manière ou d’une autre, que ce soit en chanson, sur les réseaux sociaux ou encore dans un livre.
TU ES NÉE À MARSEILLE. NOUS ÉTIONS PRÉSENT·ES LE 26 MAI À L’OCCASION DU RELÈVE FESTIVAL. AS-TU DES INSTITUTIONS, DES ÉVÉNEMENTS OU DES ASSOCIATIONS À NOUS RECOMMANDER LÀ-BAS ?
Il y a l’hôpital où j’étais, qui s’appelle Le relai – Séréna. C’est une structure psychiatrique pour adolescent·es offrant un suivi psychiatrique, des thérapies et des ateliers. J’y ai passé deux ans et demi de ma vie et cela m’a beaucoup aidé. Il y a notamment Radio Emma, qui était justement un atelier que je faisais avec eux, géré par une dame qui s’appelle Mika. Tous les jeudis, nous animions une radio, parlions de nos artistes préférés, et on nous laissait parler de tout ce que nous voulions.
SI TU DEVAIS TE QUALIFIER, TOI OU TON ART, EN 3 ADJECTIFS, LESQUELS SERAIENT-CE ?
Instable, cru et sensible.

Twenty One Pilots aborde la santé mentale avec une maturité croissante. Leur univers visuel symbolise cette thématique dans leurs clips. Le groupea su fédérer une communauté forte autour de ces sujets. Même sans connaître leur musique, l’unité du public lors de leurs concerts est évidente, créant une véritable cohésion chez leur public.
Houston est un rappeur qui se distingue par la brutalité de ses paroles. Son style est direct et sans détour, ce qui rend ses messages particulièrement percutants. Sa manière de s’exprimer, toujours très crue, laisse transparaître une intensité qui touche profondément celle·eux qui l’écoutent (à commencer par Tessae.)
Billie Eilish est reconnue comme l’une des pionnières pour aborder ouvertement la santé mentale dans le monde de la musique. Sa manière de s’exprimer, à la fois honnête et accessible et ses textes mélancoliques et sincères ont permis de briser des tabous et d’ouvrir un dialogue sur ces questions, tout en offrant une perspective positive à son public.