11 avril 2022

Santé mentale et applis de rencontre

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Aujourd’hui les applications de rencontre ont créé une culture du dating à part entière. Swiper, matcher, chatter, sont rentrés dans le langage courant. On n’a même plus honte de dire qu’on “est sur les apps”. On ne la cache plus sur le dernier écran de son téléphone. Aux US une étude datant de 2017 annonçait déjà qu’un couple sur 5 s’était rencontré grâce aux apps. Bref “les apps de rencontres” font désormais partie de notre quotidien. Mais côté santé mentale ça se passe comment ?

 

 JE T’AIME MOI NON PLUS  

 

83% des utilisateur·ice·s des applications de rencontre sont insatisfait·e·s.

Étude YouGov pour Once, 2020.

Ce chiffre peut paraître paradoxal à l’heure où 67% des célibataires passent jusqu’à 4h par semaine sur leur application de rencontre préférées. Et j’imagine que leur usage s’est particulièrement intensifié durant ces deux dernières années où les confinements, couvre-feux et autres restrictions nous ont isolé·e·s. Au-delà de la quête de romance, les apps sont désormais aussi utilisées pour se sentir moins seule et se redonner un peu de courage grâce à une socialisation de proximité et de réconfort. D’ailleurs certaines applications ont développé des fonctionnalités de géolocalisation et de rencontres amicales.

Alors d’où nous vient cette désillusion ? Le premier problème c’est que les apps ne remplissent pas leur promesse de vente : rencontrer quelqu’un·e plus facilement grâce à elles.

Avant que vous n’alliez plus dans cette lecture, j’aimerais avoir votre avis. Et vous quel est votre rapport aux applis ?

Répondre au questionnaire

 

 

LE « FEAR OF BETTER OPTION »

 

Les applications de rencontre offrent une multitude de choix. L’horizon des possibles est vaste. C’est cool ça, non ? Et bien pas forcément non. Ça crée chez nous ce que le média américain The Atlantic appelle le « Fear of Better Option ». C’est cette volonté qui nous pousse à « swiper « à l’infini pour voir si la personne d’après ne collerait pas mieux à nos standards.
Le terme “standard » n’est pas anodin. Le supermarché du dating est régi par la loi du marché d’après Eva Illouz, sociologue et directrice des études à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris. Selon elle, le « date des temps modernes » s’est toujours fait selon la loi du marché, d’autant plus depuis la révolution sexuelle des années 1970. Désormais on est libre de rencontrer qui on veut, où on veut et de faire nos propres choix. On analyse nous-mêmes les bénéfices/les risques, les coûts/les opportunités de chaque rencontre alors qu’auparavant ils étaient calculés en regard des intérêts d’une communauté spécifique (famille, religion etc…). D’après Eva Illouz ce qu’on observe pour le domaine des rencontres c’est exactement ce qui se passe sur le marché lorsque l’offre rencontre la demande, sans autorité de régulation (visible du moins). “Tout le monde évalue tout le monde d’une certaine façon”. 
Je trouve que c’est une vision un peu mécanique de l’amour et de la rencontre mais elle a le mérite d’expliquer certains de nos comportements dans le dating. Et les apps les ont renforcés, notamment avec le principe de gamification du parcours utilisateur. Ce principe nous donne envie de rester sur l’application. Pour passer le temps, tu te retrouves à scroller sur les apps, comme à scroller sur Insta. Ces fonctionnalités « ludiques ont » des « vertus » anesthésiantes. Et à force de voir des profils décrits par une légère ligne et quelques photos, l’objectivation des corps et des personnes n’est pas loin. On a tendance à faire nos choix amoureux en fonction de standards qui peuvent entraîner le « body shaming.« 

 

Si ça ne passe pas bien, dans tous les cas j’ai 20 autres personnes qui te ressemblent dans mes DM.  

Extrait de Modern Dating, The Atlantic, 2020.

 

 

DES COMPORTEMENTS QUI LAISSENT À DÉSIRER

 

Qui ne s’est jamais fait ou n’a jamais ghosté par ici ? Vous savez, le ghosting c’est cette délicate manière de sortir de la vie de quelqu’un·e en disparaissant complètement, du jour au lendemain de sa vie, sans transition. On se retrouve seul·e face à un mur de silence sans aucune clé de compréhension.

Cette nouvelle forme de violence relationnelle est aussi liée à notre façon consumériste de vivre les relations. Parfois on peut avoir l’impression d’avoir de bonnes raisons de ghoster, y compris car on l’a été. Je vous invite à lire cet article de VICE.

Judith Duportail, journaliste, autrice et podcasteuse explique que la façon dont sont conçues actuellement les applications de rencontre nous place dans une posture de client. On choisit notre date selon des critères bien définis : CSP, hobbies, orientations politiques, signe astrologique sans laisser place à l’ouverture et à la spontanéité.

La journaliste a aussi écrit un ouvrage L’amour sous Algorithme qui détaille que le fonctionnement des algorithmes des apps de rencontre est biaisé. La régulation est hyperprésente et se fait souvent au détriment des personnes LGBTQ et des hommes qui ont beaucoup moins de chance de matcher.

Ce jeu des « algos » entraîne du ressentiment et notamment de la part des hommes qui se sentent floués par les applis car ils ont moins de « matchs ». Alors attention, loin de moi l’idée de dire que ce n’est que la faute des « algo ».  Rien n’excuse ce que je vais décrire ci-dessous mais ça l’explique, en partie. 50% des femmes confient avoir déjà reçu un contenu explicite non sollicité (dickpics, contenu à caractère sexuel, etc.) sur les applications de rencontre, contre 22% des hommes. Dans la même veine, 49% de femmes estiment avoir déjà reçu des messages jugés agressifs contre 21% des hommes.

 

 

Ce sont autant de phénomènes de violences symboliques qui empiètent sur notre bien-être mental, notre attention, notre patience et notre capacité de résilience. Judith Duportail appelle ça le « dating fatigue » ou la fatigue émotionnelle et la lassitude. C’est le titre de son dernier ouvrage. Le fait de ne pas avoir de match ou de réponse peut nourrir un sentiment de rejet, d’autant plus quand ils sont récurrents et qu’ils viennent nourrir une blessure émotionnelle déjà présente en nous. Cela nous place dans une posture de vulnérabilité qui fait que notre estime personnelle est de plus en plus liée à la validation des autres.
La fonctionnalité « swipe »joue un rôle dans cette surconsommation sans lendemain. Elle laisse peu de place pour mettre en avant une personnalité et exprimer toute sa complexité. On se fait une idée, un avis, une émotion rapide et à emporter. Elle est nourrie par une simple photo et quelques lignes que parfois on ne prend même plus le temps de lire tant le geste est devenu mécanique.

ALORS QU’EST-CE QU’ON FAIT ? 

 

On supprime complètement les applis de rencontre ? Personnellement je n’y crois pas, ça fait 10 ans qu’elles existent, elles font partie des codes du dating.

Alors certaines ont fait leur coming out comme Hinge avec son (re)lancement autour de « Dating Apocalypse ». Ils ont choisi de capitaliser en communication sur les travers de certaines de leurs fonctionnalités. À voir si on aime ce genre de procédé ? D’autres mettent en place des campagnes de sensibilisation et de communication aux comportements agressifs et toxiques comme Tinder avec Green Flag. D’autres tentent une nouvelle manière d’envisager la rencontre comme Bumble avec Dating Romance et son choix d’ambassadrices engagées (Camille Aumont Carnel, Anna Toumazoff ou Rokhaya Diallo.

Quelques pistes : 

  • Revoir la fonctionnalité « swipe » : d’après des études cela permettrait  de résoudre certains de nos maux en limitant l’effet consumériste des applications.
  • S’éduquer pour développer une relation plus saine aux applis comme le détaille le podcast Health Healtyh Headlines.
  • Réinventer la culture du dating (et de la relation).  Ce qui se passe sur les apps est certes alimenté par le design de leurs fonctionnalités mais aussi le miroir de ce qui se passe IRL. Il serait donc temps de proposer une culture de la rencontre et de la relation plus empathique qui s’affranchisse des injonctions d’un patriarcat qui met en avant une vision viriliste et excluante pour notre santé mentale à tou·te·s. C’est ce que propose notamment Victoire Tuaillon dans le Coeur sur la Table.

 

Les trois points clés à retenir
#1 Les apps de rencontre ne répondent plus aussi facilement à leur promesse de vente initiale.
#2 Le dating est devenu consumériste et agressif.
#3 Il faut réinventer l’usage du swipe et la culture de la rencontre pour notre santé mentale. 

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