28 mars 2022

Santé mentale et travail

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Entre 2020 et 2021, le nombre de burn-out a doublé. Ce syndrome d’épuisement professionnel fait de plus en plus de victimes. Alors le burn-out, qu’est-ce que c’est concrètement ? Certain·e·s pensent que c’est un effet de mode prisé par une génération capricieuse. D’autres considèrent que c’est un mal-être plus profond qui en dit long sur l’organisation sociale du travail. Aujourd’hui, je vous propose de décrypter ce qui se joue pour nous quand on parle de santé mentale et de travail.

 

C’EST QUOI LE BURN-OUT ?

 

On a commencé à parler de burn-out dans les années 70. Il a été conceptualisé par la psychologue sociale américaine Christina Maslach.

Le burn-out, c’est l’écartèlement entre ce que les gens sont et ce qu’ils doivent faire. Il représente l’érosion de la dignité.

Burn-out, le syndrome d’épuisement professionnel, Christina Maslach et Michael Leiter, 2011

En Français, on parle plus communément d’épuisement émotionnel généré par les conditions de travail. Il se caractérise par trois aspects clés :

  • Une perte totale d’énergie physique et psychique qui a des répercussions sur le travail mais aussi sur la vie personnelle et sociale.

  • Une perte d’efficacité professionnelle et un manque d’accomplissement.

  • Une dépersonnalisation voire un cynisme sur la finalité du travail.

Mais attention cette définition ne fait pas l’unanimité. Le burn-out n’est pas non plus considéré comme une maladie professionnelle ou mentale. L’OMS avait tenté de le reconnaître en 2019 et puis finalement avait rétro-pédalé.

C’est aussi car il y a une frontière floue entre burn-out et dépression. De plus, les symptômes sont très nombreux et variés en fonction des personnes. On en dénombre plus d’une centaineLes plus courants sont : insomnie, perte de poids, irritabilité, isolement social, migraines… Et malgré toutes ces incertitudes, le burn-out est l’un des grands maux psychiques de notre siècle.

MILLENNIALS, GÉNÉRATION BURN-OUT ?

 

Je le disais en introduction, on a quand même l’impression que le terme burn-out est devenu le syndrome des millennials. Je ne suis pas hyper à l’aise avec le fait de ranger les générations dans des cases mais pour certain·e·s ça facilite les grilles de lecture.

Parfois on pense que c’est une histoire d’éducation. Les premiers de la classe privilégiés sont plus susceptibles de vivre un burn-out. Pourquoi ? Car ils auraient reçu une éducation de la part des “boomers” qui les surprotège du monde extérieur, qui les incitent à exister socialement à travers leur boulot et à faire preuve d’hyperactivité pour taire leurs démons intérieurs.

Il y a sans doute une part de vérité. En revanche, on ne peut pas occulter un contexte sociétal plus global qui fragilise notre rapport au travail comme:

  • La précarisation du marché de l’emploi avec une hausse importante du chômage.

  • Des études très/trop longues qui sont parfois trop abstraites et déconnectées du monde du travail.

  • Un manque de transmission entre les générations au sein de l’entreprise notamment en raison de différences culturelles et d’attentes (trop) élevées de la part des jeunes diplômé·e·s. C’est vrai que dans certaines grandes écoles on te répète à longueur de journée que “tu es l’élite de la nation”. Alors, attention je ne dis pas que tou·te·s les diplômés des grandes écoles sont comme ça mais pour l’avoir entendu sur les bancs de l’école, je pense que ça peut créer une difficulté à communiquer avec les générations précédentes.

  • Le syndrome du “tout ça pour ça”. Quelle déception en termes de ROI (Return On Invest) ! Toutes ces études pour ça. On perd pied dès son premier emploi car ils s’avèrent être un bullshit job. On ne sait plus pourquoi on travaille. On a aucune compréhension réelle du monde qui nous entoure, comme l’écrit Jean-Laurent Cassély.

En réalité, le burn-out concerne toutes les classes d’âge. Il renvoie à une profonde remise en question de l’organisation du travail. C’est le cas dans le secteur public. Par exemple, les soignant·e·s et les médecins souffrent clairement d’une perte de sens qui est liée aux logiques de rentabilité auxquelles a été soumis le système hospitalier. Elle a été particulièrement accélérée avec la tarification à l’activitéC’est une règle qui a tendance à privilégier les soins qui sont le plus rentables pour la Sécurité Sociale.

Et puis d’une manière générale, que ce soit dans le public comme dans le privé, c’est la loi de la jungle. La société est devenue ultra-concurrentielle et violente (incivilités, harcèlement). Cela engendre une surcharge de travail et une pression permanente, qui n’en déplaisent à certains, n’améliore pas du tout la performance des organisations. Vous allez me dire ça a toujours existé non ? Pas dans ces proportions et auparavant le collectif faisait rempart: que soit grâce à la famille, les amis, les organisations. Le processus d’individualisation de la société provoque un sentiment de solitude extrême. Je vous laisse imaginer ce que ça donne quand on se retrouve solo face à son ordinateur en temps de télétravail. Du coup on lâche la rampe plus facilement. Les premiers à en souffrir ce sont les femmes et les managers.

Certaines études montrent aussi que des traits de personnalité peuvent créer un terreau plus fertile pour l’épuisement émotionnel comme :
  • Les personnes consciencieuses.

  • Les personnes instables émotionnellement.

  • Les personnes qui surinvestissent le travail en pensant qu’il va les sauver de toutes leurs blessures.

49% des salarié·e·s français·e·s sont en détresse psychologique.

Enquête Empreinte Humaine. octobre 2021.

 

 

HANNAH ARENDT À LA RESCOUSSE DU TRAVAIL ?

 

Alors vous allez me dire, ok mais c’est normal d’accorder de l’importance à son travail, non? Je suis complètement d’accord avec vous. Le travail a son importance pour sa fonction rémunératrice mais aussi sociale (la reconnaissance) et personnelle (l’accomplissement). C’est d’ailleurs tout le propos d’Hannah ArendtSouvent on a tendance à penser que la philosophie allemande n’était pas une grande fan du travail car on se focalise sur l’explication qu’elle fait de son étymologie latine. Travail venant de tripalium, ce qui veut dire torture en latin.

En réalité Hannah Arendt donne trois visées au travail :

  • Le travail :  ce qui nous maintient en vie et nous permet de gagner un salaire.

  • L’œuvre : la trace, l’impact qu’on veut laisser après notre mort.

  • L’action : c’est le rôle social, c’est le sens qu’on accorde à notre activité de travailleurs au quotidien pour “vivre humainement”.

 

 

ALORS COMMENT ALLER MIEUX AU TRAVAIL ? 

 

Soyons clair n’est pas avec la création d’un poste de “chief happiness officer” ou de l’installation d’un baby-foot que ça va aller mieux. Coucou la start-up nation. Il s‘agit d’étudier les risques psychosociaux au sens large. Ils concernent l’intensité et le temps de travail, les exigences émotionnelles liées à l’environnement de travail, le conflit de valeurs, les rapports sociaux au travail ou encore l’autonomie.

Ce qu’on peut faire :

 

Les trois points clés à retenir
 
#1 Le burn-out n’est pas considéré comme une maladie professionnelle ou mentale.
#2 L’organisation moderne du travail est en quête de sens, d’empathie et de collectif.
#3 Travailler ce n’est pas la santé mais travailler dans les bonnes conditions ça aide.

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