14 décembre 2021

Santé mentale et cyber-harcèlement

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La journée contre le harcèlement scolaire a lieu le 18 novembre dernier. Elle a de nouveau mis en lumière que la différence n’est pas acceptée dans nos sociétés performatives. Nous avons la dent dure contre la vulnérabilité. Nous avons tendance à l’étouffer car ce qui “ne nous tue pas nous rend plus fort”. Et bien si pourtant.

C’est ce que nous a démontré l’insoutenable cas de Dinah, qui a mis fin à ses jours à cause du harcèlement scolaire. Cette newsletter cherche toujours à mettre des mots sur les maux de la santé mentale. Celle-ci sera sans doute plus dure que d’autres, je vous préviens. Car évoquer le harcèlement cristallisé par le digital, c’est parler d’acceptation de soi, de l’autre et d’apprendre à écouter la souffrance. 

Plus de contenus sur la santé mentale ici

20% des enfants de 9 à 18 ans ont déjà été victimes de cyber-harcèlement.

Étude de l’association e-enfance, 2021

 

#1 ÇA PART DE LÀ  

 

Les concepts de harcèlement et de cyber-harcèlement sont très récents. Ils font l’objet d’étude et de recherche depuis une trentaine d’années à peine.

Le mot harcèlement puise son étymologie dans l’univers agricole. Son usage courant, que nous lui donnons aujourd’hui, a longtemps été réservé pour décrire le comportement agressif d’animaux attaquant d’autres animaux par des attitudes imposantes, hostiles et des attaques répétées.  Ce n’est que tardivement que le terme « harcèlement » est utilisé pour décrire une certaine forme de violence humaine. Comme si l’humain ne pouvait pas s’abaisser à cela.

Quant au cyber-harcèlement, sa définition est assez proche du harcèlement tout court. Ce sont ses usages et sa force de frappe qui font la grosse différence :

  • Il se pratique via les smartphones, forums, tchats, jeux en ligne, emails, réseaux sociaux, sites de partage de photographies etc..…

  • Il part d’un acte malveillant appelé la cyber-violence. Cela peut être l’expression de moqueries, menaces, insultes, agressions à caractère sexuel, ostracisme, rumeurs, diffusion d’images humiliantes, lynchage, dissémination de documents privés sans l’autorisation de la personne impliquée, usurpation d’identité, un usage frauduleux d’un mot de passe…

  • Les cyber-violences deviennent du cyber-harcèlement lorsqu’elles se répètent et s’inscrivent dans le temps d’après la psychologue Catherine Blaya. 

Le cyber-harcèlement est souvent le prolongement des harcèlements IRL (In Real Life). La plupart des cyber-violences sont perpétrées au sein même de l’établissement scolaire, voire de la même classe pour un tiers des jeunes interrogés selon la revue Le Cairn.

Mais la grosse différence entre le cyber-harcèlement et le harcèlement c’est l’escalade de la violence qu’il provoque en raison :

  • D’une diffusion massive des messages violents

  • D’une répétition à l’infini. La personne harcelée n’a aucun répit nulle part, ni dans l’établissement scolaire, ni chez soi et ce, du matin au soir.

  • De l’anonymat du harceleur·se . Cela augmente la nature de la violence (toujours plus simple de se cacher derrière son écran) et démultiplie l’angoisse de la victime jusqu’à la paranoïa. 

  • De la durée de vie des contenus malveillants. L’actrice américaine Jennifer Lawrence en a fait les frais. Elle a été victime en 2014 d’un piratage de ses données personnelles et de certaines de ses photos intimes. 7 ans après les faits, ses photos piratées sont toujours en circulation. Cet été encore, Bigard Magazine (oui, oui ça existe), le média de “l’humoriste” les a publiées avec des commentaires graveleux. Un traumatisme qui demeure malgré des faits punis par la justice américaine en 2019.

Le harcèlement concerne celleux qui essaient de se conformer et celleux qui n’y arrivent pas

 

#2 UN MIROIR GROSSISSANT DE LA VIE IRL

 

Alors comment lutter contre le cyber-harcèlement ? Déjà il faut bien se dire que le digital n’est pas un monde parallèle complètement dissocié de la vraie vie. C’est un miroir grossissant des inégalités et des injustices de la vie In Real Life. (IRL).  “Les pays où le cyber-harcèlement est le plus fréquent ne sont pas les pays où les jeunes sont le plus en ligne mais ceux où la violence dans la société est la plus forte, où l’individualisme règne et où la gestion des émotions est complètement réprimée comme en Chine, en Inde, au Japon ou encore dans certains États américains où le port d’arme est légal (Livingstone, 2011). C’est pour ça que personnellement, quand on nous raconte que le Métaverse offrira un monde d’égalités et d’expression libre pour chacun·e… Et bien je n’y crois pas trop, n’en déplaise aux fans de Marko Z.

Le cyber-harcèlement n’est pas dissocié non plus des modes de domination qui existent dans nos sociétés. Le genre, l’origine, le handicap, la sensibilité, tout ce qui est considéré comme source de différence et de vulnérabilité est générateur de cyber-harcèlement.

Les filles sont les premières harcelées en ligne (51% des cas)tout comme elles le sont dans l’espace public finalement. Elles font l’objet d’agressions à caractère sexuel comme
  • Revenge porn (« vengeance pornographique”) : diffusion de contenus intimes d’une personne sans son consentement dans le but de se “venger” et d’humilier.
  • Slut-shaming : rabaisser ou humilier une femme en la ramenant à la figure de « salope » (littéralement dans le texte).
  • Fisha : un compte Instagram, généralement privé, sur lequel sont publiées sans consentement des photos de jeunes femmes (parfois mineures) dénudées avec le nom de la victime, son âge, son adresse postale ou l’adresse de son établissement scolaire.

Les garçons sont aussi victimes de cyber-harcèlement mais davantage pour une homosexualité réelle ou supposée, pour leur origine ethnique ou encore ils sont ostracisés en raison de leur activité plus intense sur les jeux multi-joueurs (Blaya, 2015).

Twitch, après Twitter, est devenu la plateforme de haine préférée. Fin octobre 2021 avait lieu ZEvent sur Twitch. Cet événement, qui rassemble toute la communauté de streamers, a réussi à récolter plus de 10 millions d’euros pour Action Contre la Faim. Un record historique pour ce projet caritatif créé en 2016 par Zerator (@zerator) et Alexandre Dachary (@dach) qui vise à réunir annuellement des streameur·ses afin de lever des fonds en faveur d’une association choisie.

Mais lors de ce même évènement, la plateforme a vite revêtu des comportements toxiques lorsque la streameuse Ultia (@ultiaa), après avoir dénoncé le comportement problématique d’un autre streameur en live, s’est pris de plein fouet la haine injustifiable de certains de ses viewers.
Twitch essaie, sans mesure concrète, mais en comptant sur la bonne volonté de ses streamers stars, de préserver la santé mentale de sa communauté. Et c’est vrai que la plateforme a un sacré atout pour ça : elle permet à l’audience d’avoir un accès direct et privilégié aux streameur·se·s grâce aux tchats.

Maintenant de plus en plus de streameur·se·s donnent l’exemple en prenant la parole contre le cyber-harcèlement et ce genre de comportements toxiques. Par exemple dans le talk-show français Popcorn le sujet de la santé mentale a été abordé le 5 octobre dernier. Les invités Cyrus North, Charlie Danger et Zack Nani ont fait part de certaines de leurs angoisses, et ont évoqué leur prise en charge psychologique.

#3 BRISER LA LOI DU SILENCE

 

On comprend donc bien pourquoi il est important de développer des actions de prévention simultanées entre le digital et le Real Life. Ce sont deux univers qui se répondent. C’est pour ça que personnellement, quand on nous raconte que Métaverse offrira un monde d’égalités et d’expression libre pour chacun·e… Et bien je n’y crois pas trop, n’en déplaise aux fans de Marko Z..

La première étape est de briser loi du silence. Pourquoi les victimes ne parlent pas ? Par honte, par peur de répression de la part des agresseurs. Parce qu’on préfère enfouir les traumas (stratégie d’évitement comme le soulignent Slonje et Smith (2008). Parce qu’on a tendance à diminuer la gravité du problème. Parce que trop souvent encore on pense qu’il s’agit de simples enfantillages ou de faiblesse.

Heureusement il existe des actions pour briser la loi du silence et faciliter l’écoute grâce au Dispositif Sentinelles 

C’est un programme qui permet de former des équipes pédagogiques, des élèves et des parents à l’observation de phénomènes de violences visibles et invisibles. L’objectif est de lutter contre le principe de bouc émissaire qui à terme a de grandes chances de devenir une personne harcelée. Bien sûr le rôle des élèves n’est pas de devenir une “balance” et d’être en contact avec les harceleur·euse·s.  Leur rôle c’est d’apprendre à repérer la souffrance, pour faire en sorte que la personne harcelée se sente moins seule. On mise sur une dynamique de groupe positive entre les élèves. Le reste du boulot est fait par les référents adultes et professionnels. Le dispositif Sentinelles a fait ses preuves depuis sa création dans les années 2010 par Eric Verdier mais à présent (comme pas mal de choses dans le monde de la santé) il souffre d’un manque d’investissement de la part de l’Etat. Donc si vous me lisez et que vous souhaitez soutenir le Dispositif Sentinelles c’est par là avec la Ligue Française pour la santé mentale.

Le 3018
C’est le numéro vert 100% anonyme pour toutes les personnes atteintes de cyber-harcèlement. Il est ouvert de 9h à 20h en semaine et de 10h à 18h le samedi. Et vous pouvez également signaler un harcèlement ici.

Stop Fisha

C’est une association qui s’est créée pendant le confinement pour lutter le contre le cyber-sexisme et la pratique du FISHA que j’évoquais plus haut. En effet le cyberharcèlement a augmenté d’au moins 30 % chez les jeunes à cette période et clairement la brigade policière dédiée est débordée. En même temps elles ne comptent que 28 agents…

Les trois points clés à retenir

#1 Le cyber-harcèlement puise ses origines dans la vie réelle
#2 Le COVID a augmenté la violence interpersonnelle
#3 Briser la loi du silence est clé pour lutter contre le harcèlement

Chanteuse, Tessae a été repérée par Booba en 2019 lors d’un concours sur les réseaux sociaux. Elle vient de sortir son album: Frôler les Murs et une série de podcasts qui traite du harcèlement scolaire, de ses conséquences sociales et digitales. Dans un dialogue avec la pédopsychiatre Leila Benoît, Tessae libère sa parole et nous explique en quoi la musique a été sa thérapie.

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