Bonjour, bienvenue dans cette nouvelle newsletter de mūsae. À l’occasion des semaines de l’information sur la santé mentale qui se tiennent partout en France, nous vous avons concocté une newsletter dédiée à l’accès aux soins en santé mentale. Et aujourd’hui c’est Bessma Sikouk, journaliste spécialiste des questions de santé et de société qui vous écrit et dresse un état des lieux de cette problématique. Bonne lecture !
Dans la précédente newsletter nous vous expliquions pourquoi le fait que la santé mentale soit labellisée grande cause nationale est une opportunité à saisir. Notre nouveau premier ministre Michel Barnier a affirmé vouloir faire de la santé mentale “la Grande cause nationale 2025”. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il y a du boulot, on attend le gouvernement au tournant sur de nombreux points qui méritent d’être améliorés politiquement.
La santé mentale est aujourd’hui le premier problème de santé publique, devant les maladies cardio-vasculaires et les cancers. Une personne sur trois vivra une expérience de trouble psychique au cours de sa vie selon l’OMS. Les troubles mentaux représentent le premier poste de dépenses de l’assurance maladie et les personnes qui vivent avec un trouble psychique peuvent voir leur espérance de vie réduite de 25 ans.
Malgré ces chiffres, l’accessibilité à des soins de santé mentale reste très insuffisante en dépit de l’ampleur des besoins. Rappelons-le : 87% de la population française vit dans un désert médical. Permettre aux citoyen.nes de bénéficier de soins appropriés est aujourd’hui un véritable enjeu politique dont le gouvernement doit se saisir.
STIGMATISATION ET DISCRIMINATION : DES FACTEURS AGGRAVANTS POUR LA SANTÉ MENTALE
La lutte contre la stigmatisation des maladies mentales est cruciale. Le centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH), basé au Canada, estime que la stigmatisation empêche 40% des personnes souffrant de dépression ou d’anxiété de consulter un médecin : “Ce préjugé et cette discrimination conduisent à des sentiments de désespoir et de honte chez les personnes qui luttent pour composer avec leur situation, créant ainsi un sérieux obstacle au diagnostic et au traitement. »
Les personnes vivant avec un trouble de santé mentale peuvent même souffrir parfois davantage de la stigmatisation que du trouble lui-même.
À tel point qu’il existe “un véritable délai entre le début de la maladie et la mise en place des soins adaptés”, explique Nadia Younès, psychiatre, dans un article sur l’accès limité aux soins psychiatriques. Il faut compter environ 2 ans pour le trouble schizophrène et 10 ans pour le trouble bipolaire.“Un délai préjudiciable par son impact sur le devenir des personnes” peut-on lire un peu plus loin. C’est ce qu’a vécu Andréa Marie G., 22 ans, diagnostiquée d’un trouble borderline à 16 ans. “J’ai galéré pendant six ans avec mes études. Mes parents étaient désœuvrés. Je n’avais plus de cercle social : on s’enferme dans cette boucle sans savoir vers qui aller parce qu’on n’a pas de prévention ni d’information”, raconte la jeune fille. “Quand je vois toutes ces préventions sur le tabac, l’alcool, etc, on n’a quasi rien sur la santé mentale et c’est difficile de s’en sortir et de chercher les infos par soi-même quand on est au fond du trou et qu’on n’a plus envie de rien”, explique-t-elle. Lutter contre cette stigmatisation est d’autant plus important qu’elle peut mener à de véritables discriminations : avoir un trouble psychique diminue l’employabilité et augmente les risques de pauvreté. C’est aussi la première cause de handicap, qui reste le premier motif de discrimination, selon le défenseur des droits. “On a mis fin à ma période d’essai alors que j’étais en réalité juste malade”, raconte Katia .D.. Alors qu’elle est employée au sein d’une grande entreprise, et encore non diagnostiquée du trouble bipolaire, la jeune femme vit un épisode de crise maniaque. “Je partais dans tous les sens, j’annulais des réunions, je dormais trois heures par nuit, j’avais perdu du poids, je n’avais plus un discours rationnel.” À la suite de cet épisode de crise, elle dépose un premier arrêt maladie mais lorsqu’elle revient, l’entreprise met fin à son contrat. “Ils savaient que j’étais malade, ils auraient pu solliciter la médecine du travail ou même appeler les urgences mais non.” Pire encore, elle découvre dans le carton contenant ses affaires, un post-it laissé par ses collègues avec l’émoji fou. “Ça m’a beaucoup marqué. Si on connaissait un peu mieux le sujet de la santé mentale, ça aurait pu m’éviter beaucoup de difficultés”, regrette-t-elle. Pourtant, il existe de nombreuses façons de démocratiser et dédramatiser les problèmes de santé mentale pour les rendre moins tabous comme les premiers secours en santé mentale (PSSM). “C’est un dispositif qui vise à former non pas les professionnels mais nos concitoyens pour les aider à repérer les signes d’un problème de santé mentale”, explique Cédric Lemogne, psychiatre et co-auteur d’un article sur les difficultés d’accès aux soins pour les personnes souffrant de troubles psychiques. Cependant le coût reste élevé : 250 euros par personne environ. Réfléchir à un dispositif de gratuité pourrait être un levier intéressant afin de lutter contre la méconnaissance et les tabous liés à la santé mentale. “Quand quelqu’un met la main sur le cœur et tombe par terre, on sait qu’il faut appeler le 15 mais quand une personne leur envoie un SMS d’adieu, beaucoup ne savent pas quoi faire or, c’est une urgence médicale aussi. Tout comme quelqu’un qui se met à insulter des affiches dans le métro. En santé mentale on a moins ce réflexe de prise en charge médicale de l’événement.” Pour cela, l’association Nightline France a développé la Fresque santé mentale, un atelier interactif qui permet d’explorer la santé mentale sous différents aspects comme les causes, les conséquences mais aussi les solutions possibles et ainsi pouvoir échanger et sensibiliser de manière concrète sur cette thématique souvent méconnue. Les bibliothèques vivantes représentent également un outil important dans la lutte contre la stigmatisation. Elles proposent à des personnes vivant avec un trouble de santé mentale de raconter leurs parcours et ressenti à un public qui souhaite en savoir plus sur ces sujets. “C’est la meilleure manière de déstigmatiser, c’est d’origine danoise. Ça aide aussi les personnes qui témoignent à raconter leur vécu”, constate le professeur Nicolas Franck. En plus de ces dispositifs, il faut agir à plus grande échelle et enseigner la santé mentale à l’école. “De la même manière qu’on bosse l’anatomie avec les enfants et qu’on leur apprend comment fonctionne le corps, je pense qu’il faut aussi leur apprendre comment fonctionne le cerveau”, estime Hugo Baup, psychiatre. Un point de vue partagé par Nicolas Franck pour qui il faut intégrer un module santé mentale à l’école : “Le module existe, ça vient d’Australie, on pourrait très bien le mettre en place dans les écoles françaises pour expliquer aux ados ce qu’est la santé mentale et comment la protéger.” “Il faudrait aussi de grandes campagnes de prévention pour dégommer les tabous comme le fait qu’aller mieux n’est qu’une question de volonté”, indique Hugo Baup. Rencontrer un problème de santé mentale n’a rien à voir avec le bon vouloir et contrairement aux idées reçues ou le fameux adage “quand on veut on peut”, une prise en charge médicale sérieuse et adéquate est nécessaire pour se rétablir. Une prévention à grande échelle que demande aussi le collectif santé mentale Grande cause nationale 2025 : “Il y a un véritable enjeu qui est de changer les regards et d’écouter la parole des personnes concernées, découvrir ce qu’elles vivent pour comprendre que ce sont des personnes comme les autres.” Mais même une fois les préjugés dépassés, se soigner reste un chemin long et difficile. “C’est un véritable parcours du combattant d’accéder à des soins en santé mentale”, remarque le psychiatre Hugo Baup. Le printemps de la psychiatrie, un collectif de professionnel·les et de personnes concernées par la souffrance psychiatrique a publié une tribune dans l’Obs pour interpeller le gouvernement sur les mesures à prendre pour améliorer l’accès aux soins. “Actuellement, nous sommes face à des structures de soins publiques dysfonctionnelles en termes d’offres de prise en charge : aussi bien en termes de manque de lits d’hospitalisation, que de manque de disponibilités pour des suivis dans les centres médico-psychologiques (service public de soins psychiques ambulatoires appelés CMP NDLR)”, précisent-ils à mūsae. Cela engendre d’importants délais d’attente pour les patient·es, “jusqu’à 18 mois en pédopsychiatrie dans certains cas”, indique Nicole Dubré-Chirat, députée Renaissance du Maine-et-Loire et co-rapporteuse d’une mission sur les urgences psychiatriques avec la députée EELV Sandrine Rousseau. “Vers chez moi, à Martigues, le délai d’attente est très long”, affirme Florie Serrault, âgée de 24 ans et vivant avec un trouble borderline. Elle a dû attendre plusieurs mois pour avoir accès à un psychiatre du CMP et même une fois le rendez-vous obtenu, le suivi ne s’est pas montré à la hauteur de ses besoins. “Je voyais la psychiatre 10 à 20 minutes tous les un à deux mois”, raconte-t-elle. “Quand je la voyais elle me disait juste prenez ce traitement et c’est tout. Ces médicaments étaient là pour m’assommer et j’ai développé une addiction aux benzodiazépines. Ce n’est que par la suite que j’ai appris que j’avais besoin d’une psychothérapie”. La psychothérapie est très souvent le traitement de fond et un outil indispensable pour se rétablir mais elle reste encore aujourd’hui difficile d’accès et réservée aux plus privilégiés. Le dispositif “Mon Parcours psy”, mis en place en avril 2022 par le gouvernement d’Emmanuel Macron, est considéré comme largement insuffisant par de nombreux usagers et professionnels. Très souvent, une séance par semaine voire toutes les deux semaines pendant plusieurs années est nécessaire à la bonne prise en charge d’une personne atteinte de troubles psychiques. Il faut compter entre 50 euros et 90 euros par séance, ce qui, très vite, peut représenter un budget important. “C’est réservé aux plus riches et ça aussi c’est quelque chose qui peut entraîner un retard de prise en charge”, déplore le professeur Nicolas Franck. “En plus, les troubles psy peuvent appauvrir et empêcher de travailler, souvent il y peut y avoir des addictions associées qui coûtent de l’argent comme l’alcool, le tabac, la drogue”, ajoute Hugo Baup. Cette errance médicale, liée notamment à un manque de psychiatres et de psychologues disponibles, peut durer très longtemps : “J’ai tenu au Xanax et à la magie des choses pendant des années”, raconte Mélissa G.* diagnostiquée d’un trouble borderline après dix ans d’errance médicale. “On m’a souvent dit qu’il fallait que je suive une psychothérapie mais ça coûte minimum 50 euros et je n’en ai pas les moyens.”Alors elle s’est inscrite à une thérapie prise en charge par la sécurité sociale mais elle est sur liste d’attente depuis trois mois et demi. “La thérapie, à la fois je l’attends et à la fois je ne l’attends plus.” Pour la députée Nicole Dubré-Chirat il faut “développer l’accès aux CMP, c’est vraiment quelque chose qui est urgent. Il s’agit d’un endroit où on peut faire de la première consultation jusqu’au suivi. C’est vraiment le lieu privilégié qu’il faut renforcer.” Un constat que partage Maram, psychologue clinicienne et créatrice du compte Libérer la santé mentale qui vise à politiser les questions de santé mentale. “Il faut recruter davantage de psychologues dans les CMP et financer plus pour que ça fonctionne.” “Redorer le blason de la psychiatrie auprès des étudiant·es en médecine est crucial”, rappelle Hugo Baup. La psychiatrie est en effet l’une des dernières spécialités choisies par les internes. Elle souffre d’une mauvaise image et d’un manque de formations et de stages. Chaque année 10 à 20% des postes de psychiatres proposés restent vacants, ce qui ne fait que rendre l’accès aux soins plus long et difficile. Du fait des difficultés à trouver un médecin généraliste ou un psychiatre en libéral, certaines personnes ont tendance à passer par les urgences psychiatriques afin d’être prises en charge. “Ils viennent parce qu’ils ont un peu plus de chances d’avoir accès à un médecin généraliste dans un premier temps et à un psychiatre ensuite pour pouvoir bénéficier d’un suivi en ambulatoire ou d’une hospitalisation si nécessaire”, explique la députée. Mais là encore, le manque de moyens se fait sentir. Andréa Marie a connu six hospitalisations dans le service public dont elle garde un mauvais souvenir. “J’ai toujours eu cette expérience des hôpitaux psychiatriques qui ressemblent plus à une prison. Je n’ai eu aucun suivi psychologique et je voyais très peu le psychiatre.” Un vécu similaire que relate Florine Serrault lors de son hospitalisation après une tentative de suicide. “J’avais l’impression d’être dans “Un jour sans fin”, il n’y avait rien à faire à part fumer toute la journée.” Ces récits vont dans le sens de ce qu’observe le Printemps de la psychiatrie : “les structures de soins publiques et de prises en charge par la sécurité sociale sont délaissées, les patients n’ont plus qu’à chercher dans le privé (dont le libéral) alors que certaines zones sont proprement désertiques en termes d’offres de soin et que les autres sont surchargées de demandes”. Dans un contexte de délitement de l’hôpital public, la psychiatrie, souvent désignée comme le parent pauvre de la médecine, ne s’en retrouve que davantage affectée. En 2022, Nathalie L.*, infirmière en psychiatrie à l’hôpital Bichat, a interpellé avec certain·es de ses collègues le député LFI Aymeric Caron sur leurs conditions de travail et d’accueil des patient·es. “On a voulu dénoncer l’insalubrité dans laquelle nos patient·es étaient accueilli·es ainsi que la vague de violences que nous subissions dues à des mauvaises prises en charge. Dans mon service, on n’avait même pas de médecin”, déclare l’infirmière. Ces conditions de travail peuvent parfois privilégier une sur-médicamentation.”Ils m’ont donné, dès la première consultation, du xanax et du lexomil. C’était super violent, ça m’a complètement shootée et je n’étais pas la seule dans ce cas. Il faut arrêter de donner des médicaments à tout bout de champ, surtout aux enfants”, dénonce Mélissa. G* au sujet d’une hospitalisation lorsqu’elle avait 12 ans. Les pratiques engendrées par le manque de moyens humains et financiers entraînent ce que le Printemps de la psychiatrie appelle un “(re)développement de la médecine asilaire”. Ils déclarent que “les soins sous contrainte augmentent, que les services de contrôle se développent ainsi que la contention chimique et physique” . Ils dénoncent également la cérébrologie, un concept qui consiste en un réductionnisme du psychisme à la “matière cerveau” et selon lequel il suffirait de modifier les quantités de certains neurotransmetteurs pour guérir. “Cela entraîne une fuite de fonds dans des recherches neuroscientifiques qui n’aboutissent à aucune avancée significative en termes d’amélioration de la qualité de vie des patients”, déplorent-ils. Il est aussi impératif de prendre en considération les conditions économiques et sociales dans lesquelles vivent les personnes atteintes d’un trouble psychique car elles ont, elles aussi, un impact sur leur santé. Certaines ne sont plus en capacité de travailler du fait de leur trouble ou nécessitent un aménagement du temps de travail couplé d’une reconnaissance en tant que travailleur handicapé qui permet l’accès aux droits et prestations des personnes handicapées. Mais, ces démarches sont longues et fastidieuses, si bien que le baromètre 2023 de l’UNAFAM évalue que 85 % de ses répondant·es considèrent que leur proche accède difficilement à un de ses droits fondamentaux. Pour le psychiatre Hugo Baup, il est nécessaire de faciliter les démarches auprès de la maison départementale des personnes handicapées. Il a fallu près de 8 mois à Katia D. pour obtenir son statut de travailleuse handicapée. Plus que jamais, la santé mentale doit être démocratisée afin de venir à bout des préjugés qui nuisent au diagnostic et au traitement des personnes qui rencontrent un problème de santé psychique au cours de leur vie. L’accès doit aussi être amélioré et renforcé en accordant plus de moyens humains et financiers aux structures d’accueil et de soins, sans lesquelles les patient·es ne peuvent avoir de véritable rétablissement. #1 Faire davantage de prévention sur les questions de santé mentale pour diminuer l’auto-stigmatisation des personnes concernées et les retards d’accès aux soins. #2 Améliorer les structures médicales publiques d’accueil et de soins comme les CMP et l’hôpital public en y mettant plus de moyens humains et financiers. Rendre la psychothérapie plus accessible grâce à son remboursement par la sécurité sociale. #3 Renforcer les formations en santé mentale pour faciliter les capacités d’écoute et de compréhension de l’ensemble de la société. Le compte instagram liberer_la_sante_mentale “Ma tête et moi” La Zone Grise x Psyké (épisode 7) : Développement personnel vs psychiatrie ?
La dose d’inspirations et d’actions positives sur la santé mentale.PRÉVENIR POUR MIEUX GUÉRIR
ERRANCE MÉDICALE ET DÉSERTS MÉDICAUX : RENFORCER LES CENTRES MÉDICO PSYCHOLOGIQUES (CMP)
AMÉLIORER LES CONDITIONS D’HOSPITALISATION
LES TROIS POINTS CLÉS À RETENIR :
LES COUPS DE CŒUR DE MŪSAE :
Tenu par Maram, psychologue clinicienne, Libérer la santé mentale est un compte qui a pour objectif de politiser les questions de santé mentale et de libérer la psychologie de ses dérives oppressives.
“Ma tête et moi” est une série vidéo du quotidien “20 minutes” qui explique les différents trouble psy à travers des témoignages afin de sensibiliser et démocratiser les connaissances autours des ces derniers comme le trouble schizophrène, la dépression ou encore l’alcoolisme.
“Le développement personnel, c’est une secte” pour les gourous qui veulent gagner de l’argent. “La psychiatrie c’est pour les fous”. Révèle le maître yogi qui est en toi ! Le psychiatre ne sert qu’à prescrire des médicaments. Il ne tient qu’à toi d’être heureu·se. La psychiatrie enferme. L’hypnose c’est dangereux, ça fait hyper peur !🔒 Pour continuer votre lecture, inscrivez-vous à la newsletter de mūsae
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