24 juin 2021

Mettre des mots sur nos maux

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Notre société est de plus en plus bavarde. On en oublie le sens des mots et même des actes. Mais qu’est-ce que je raconte ? Qu’est-ce que je fais ? Pourquoi je le fais ? C’est ainsi qu’a débuté ma discussion en live avec Mariette Darrigrand, sémiologue, et Marie Robert, philosophe. Pendant ce live nous avons tenté de prendre de la hauteur par rapport au terme ‘santé mentale’ qui est désormais devenu un mot-valise.
D’où vient-il ? Que dit-il de nos sociétés ? On l’oublie mais mettre des mots sur nos maux est bien plus significatif qu’il n’y paraît.

Découvrez le live ici.

 

 

PERCEPTIONS CULTURELLES 

 

Loin d’être exhaustive, je vous propose de parler des perceptions françaises et anglo-saxonnes.

En France, pendant très longtemps, nous avons défini la santé mentale par objet négatif ou en opposition à un comportement hors norme (ex : l’aliénation ou la maladie) . Cette vision a été prédominante jusque dans les années 1990. Alors que dans les pays anglo-saxons, à partir des années 1950, on a cherché à sortir de l’ornière anxiogène du médical pour donner au terme santé mentale un ancrage plus culturel et institutionnel. On en parle certes chez les médecins, mais pas que… On en parle aussi dans les médias, la bouche des artistes, des sportifs, avec les voix des associations, de l’opinion publique. On en parle alors de manière plus libérée.

L’ouverture anglo-saxonne sur la santé mentale a trouvé récemment son créneau en France depuis 30 ans.  La sémiologie et la philosophie nous invitent néanmoins à toujours faire un pas de côté et à nous questionner. Lorsqu’on traduit santé mentale en anglais, ça donne “Mental Health”. Health ne veut pas juste dire santé en anglais, il sous-entend être sain, c’est-à-dire “la très bonne santé”. Et la très bonne santé est souvent soutenue par toute une panoplie de pathologies et de diagnostics tout préparés parmi lesquels on nous demande de choisir.

Le risque ici est celui des prophéties auto-réalisatrices. Et c’est là qu’avec Marie Robert, nous avons parlé du risque de la » jurisprudence Doctissimo ». Cette dernière nous incite fortement à nous trouver une pathologie pour rentrer dans la bonne case. Mais cela pose plusieurs questions.  “Le concept même de maladie mentale est-il fiable ? Est-ce que la perception de la santé mentale peut être linéaire ? On va bien ou on va mal ? Est-ce qu’on ne me force pas à rentrer dans la case du moment ? À force de tous s’autoproclamer comme ayant des problèmes de santé mentale, ne risquons-nous pas d’être moins attentifs à des pathologies qui doivent bénéficier de toute notre vigilance (autisme, schizophrénie, handicaps mentaux…) ?

 

 

 

RETOUR AUX SOURCES

 

En français, le terme mental puise une partie de ses origines étymologiques dans le grec avec la psyché ou l’anima en latin. Elles font référence à l’enveloppe de notre vie intérieure, à notre âme. Cette piste autorise l’âme à avoir des bugs, des parts d’ombre et c’est bien naturel, voire “sain” parfois que notre âme nous apparaisse comme étant un peu entamée. C’était un peu à l’image de notre ressenti pendant le premier confinement de 2020. “Il aurait fallu être fou pour ne pas avoir peur” nous disait Mariette Darrigrand. Les artistes, les poètes, les peintres ont valorisé l’âme dans l’expression de leur for intérieur. En France, la psychanalyse est restée étymologiquement du moins dans cette lignée en introduisant encore plus de mystères, et de troubles, ou le conscient et l’inconscient sont difficilement palpables.

Mental, vient aussi en partie du latin “Mens” qui veut dire l’esprit, le fait d’être là, de demeurer, d’exister. Il a été choisi dans certaines cultures européennes pour décrire l’humanité. Il a donné “Man”, “Woman” en Anglais ou “Mensch” en Allemand. Dans les langues romanes, cette notion d’humanité n’a pas réussi à percer. On a préféré l’autre racine : « Spiritus » qui faisait référence au vent, à l’esprit, au souffle. Cette notion moins palpable est peu à peu devenue spirituelle et préemptée par le christianisme, c’est l’esprit sain/saint. Mais il n’a pas le même sens pour le commun des mortels. Peu à peu le mental est devenu un for intérieur qu’il fallait absolument maîtriser, dompter. Car il nous faut  un mental d’acier pour affronter la vie.

LA SANTÉ MENTALE UN ENJEU SOCIÉTAL ET INDIVIDUEL

 

Cette définition en acier de la santé mentale devient un enjeu sociétal. Pourquoi ? Car elle est clivante. Celle·eux qui ne parviennent pas à maîtriser leur for intérieur sont alors pointés du doigt. Nous les désignons comme des “fous”, des “idiots” ou des “faibles” que nous devons mettre à l’écart de la société. Iels ne parviennent pas à maîtriser leurs émotions et risquent de troubler l’ordre public. C’est le regard philosophique de Michel Foucault. Il nous alerte sur cette approche de la santé mentale qui à force de trop normer fini par exclure.

Pourtant déjà 17e siècle, le “Traité des Passions” de René Descartes nous invite à accueillir nos passions plutôt qu’à les condamner. Selon lui, tout peut être mécanique sauf une chose : c’est l’âme. L’âme résiste aux visions manichéennes. Nous sommes tou·te·s singulière dans notre corps et dans notre esprit. Chaque personne est multiple. Nous possédons tou·te·s des parts de nous-même qui échappent aux classements, aux normes, aux étiquettes. ⁠René Descartes se place comme un fervent défenseur de l’importance de nos passions. Il en cite 6 : l’admiration, la haine, la joie, la tristesse, le désir, l’amour. Plutôt que de les subir ou de les condamner à tout prix, il nous invite à prendre du recul, à les observer pour mieux les comprendre et nous en nourrir.

LES RECO MŪSAE

 

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