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1 septembre 2021

Santé mentale populationnelle : première approche des enjeux sociaux et économiques

Un enjeu majeur du 21ème siècle 

 

« Il ne s’agit pas simplement d’un problème de santé publique, cela concerne aussi le développement. Nous devons agir maintenant car l’économie mondiale ne peut tout simplement pas se permettre une telle perte de productivité. » Jim Yong Kim, ancien président de la banque mondiale, 2018.

Dans le monde, près d’un milliard de personnes souffrent d’au moins un trouble mental et le nombre de personnes atteintes de dépression a augmenté de 18% de 2005 à 2015, ayant aujourd’hui dépassé les 300 millions. 

L’OMS définit la santé mentale « comme un état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté ». De ce fait, la santé mentale implique bien plus que l’absence de troubles mentaux. 

En plus des souffrances, il existe de nombreuses autres conséquences humaines, sociales et économiques à une mauvaise santé mentale

  • Humaines : Une diminution de l’espérance de vie. En effet être atteint d’un trouble mental augmente les chances de développer une maladie physique chronique comme une maladie cardiovasculaire. Ainsi les personnes atteintes de maladie(s) mentale(s) sévère(s) décèdent entre 7 et 20 ans plus tôt que le reste de la population. Lors du diagnostic d’une maladie grave, le lien avec un trouble mental déjà identifié n’est que très rarement mis en évidence par le corps médical.
  • Sociales : Des difficultés face à l’emploi. Les individus atteints de troubles mentaux graves sont 6 à 7 fois plus susceptibles d’être au chômage que le reste de la population. Les maladies mentales sont la première cause  d’invalidité et d’arrêt maladie de longue durée. Cela accentue en conséquence la stigmatisation dans le milieu professionnel. Les malades sont les victimes de violations des droits humains, d’exclusion sociale et de stigmatisation. En effet les personnes montrant une fragilité psychologique sont moins à même de défendre leur intégrité psychique et donc plus susceptibles de subir des violences verbales, physiques, sexuelles ou auto-infligées. Par exemple les victimes de viols – qui sont 95% à présenter des troubles cognitifs, et dont l’espérance de vie est réduite en moyenne de 20 ans – sont davantage exposées à d’autres violences.
  • Économiques : Des difficultés financières pour les personnes atteintes et leur famille.

Au niveau sociétal, la mauvaise santé mentale des populations a également de lourdes répercussions, comme notamment :

  • Economique : Des coûts directs et indirects dus aux maladies mentales peuvent être dans certains pays supérieurs à 4% du PIB, et ce même dans les pays développés comme la France2. En effet les pertes de productivité uniquement dues à la dépression et à l’anxiété s’élèvent à environ US $1000 milliards par an dans le monde.
  • Sociale : La mobilisation sociale est freinée par le manque de bien-être des individus, et par conséquent le changement vers une société plus égalitaire, inclusive et durable7. Le peuple est moins à même de s’organiser, de se rassembler, de protester.

Les pays ne consacrent en moyenne que 2 % de leur budget santé à la santé mentale1. Pourtant, d’après une étude scientifique publiée en 2016 dans The Lancet Psychiatry, chaque euro investi dans le domaine de la santé mentale rapporterait 4 euros. Un investissement mondial de l’ordre de 100 milliards de dollars US supplémentaire permettrait une augmentation de 5% de la participation et de la productivité de la main-d’œuvre, et rapporterait ainsi 400 milliards de dollars US à l’économie mondiale sur le long terme.

 

La situation en France

« La population en détresse augmente chaque année et ça, cest une douleur sourde qui ne dit pas son nom. Quand on a mal, généralement, on le cache »Christophe Malavoy, ambassadeur de S.O.S Amitié, 2020.

En France une personne sur 5 a souffert ou souffrira de dépression au cours de sa vie. 12 millions sont touchées par au moins un trouble mental et environ 200 000 personnes en détresse tentent de mettre fin à leur jour chaque année.

Sur le plan socio-économique, les coûts directs et indirects des troubles mentaux représentent la somme colossale de 109 milliards d’euros par an, dont :

  • 65 milliards pour la perte de qualité de vie,
  • 24,4 milliards pour la perte de productivité liée au handicap et aux suicides,
  • 13,4 milliards dans le secteur médical,
  • 6,6 milliards pour le secteur médico-social.

La vulnérabilité psychologique des Françaises et Français a fortement augmenté durant la crise sanitaire. D’une part les incertitudes autour de nos projets personnels et de l’évolution de la situation ainsi que la couverture médiatique ont installé un climat anxiogène.

D’autre part, les mesures visant à lutter contre la pandémie comme le confinement, ont modifié nos habitudes, notre rôle social, nos activités sportives essentielles au bien-être et ont fortement impacté nos relations avec les autres. La peur du virus comme les restrictions sociales  sécuritaires  entraînent  des  difficultés  psychologiques.  Ainsi la proportion de la population présentant des symptômes dépressifs durant les périodes de confinement était de 20%.

Graphique de Prévalence et d’évolutions des indicateurs de santé mentale et des problèmes de sommeil (% pondérés). Santé Publique France. Enquête CoviPrev, novembre 2020

Une population particulièrement touchée : les jeunes

« L’impréparation de la psychiatrie sonne comme une alerte et rappelle, une fois encore, que les malades dont nous nous occupons restent dans l’angle mort de nos politiques publiques. ».Extrait du Communiqué au gouvernement de la fondation FondaMental, 2020

Plus d’un jeune sur deux (55 %) a déjà supporté un mal-être quotidien durant une période de sa vie (anxiété, phobie, dépression, paranoïa…). Alors que 80 % des pathologies psychiatriques chroniques de l’adulte débutent avant 25 ans, le suicide est la 1ère cause de mortalité chez les 25-34 ans.

Les élèves sont exposés à de nombreux facteurs qui peuvent être source de mal-être et troubles psychiques durant leur étude, une période décisive pour leur avenir. Notamment le stress qu’ils subissent. En effet, un stress trop important augmente les chances d’être atteint de dépression, d’anxiété, ou de faire un burn-out. 9 étudiants sur 10 déclarent subir au moins une période de stress dans l’année et 3 d’entre eux se disent continuellement stressés. En conséquence, 70% des étudiants se sont déjà sentis dépassés, submergés par leur quotidien.

La crise sanitaire a aggravée la situation des jeunes : incertitudes pour leur avenir, manque  de  lien  social,  précarité,  faible  activité  physique…  Durant  le  1er   confinement seulement 12,4 % des étudiants présentant au moins un trouble mental ont consulté un professionnel de santé.

Ce faible taux est dû à la peur d’être stigmatisé mais aussi au sous-effectif des professionnels de santé en France, et notamment dans les universités. En effet, alors que l’Accréditation Internationale des Services de Santé Mentale Universitaire préconise un taux de 1 ETPT (Equivalent Temps Plein Travaillé) de psychologue pour 1000 à 1500 étudiants, la France compte 1 ETPT de psychologue pour environ 30 000 étudiants.

Graphique de comparaison du nombre d’ETPT de psychologue par étudiant entre 7 pays. Nightline France. Extrait du Rapport ETPT, novembre 2020

Fin janvier 2021 une étude IPSOS révèle que parmi les 18-24 ans :

  • 40% sont suspectés d’avoir un trouble anxieux généralisé ; + 9 points par rapport à l’ensemble de la population,
  • 21% ont un trouble dépressif sévère ou modérément sévère ; + 5 points comparé au premier confinement,
  • Et enfin 29% ont eu des idées suicidaires ou ont songé à se mutiler.

Les jeunes jouent un rôle primordial dans le développement continu de la société : ils sont des acteurs importants du développement économique, mais aussi une population clé et motrice du changement vers un monde plus juste et plus inclusif, par leur imagination, leurs idéaux et leur énergie. À cause mal-être de toute une génération, cette énergie est diminuée. Les jeunes sont moins aptes à mener des actions individuelles ou collectives pour lutter contre les inégalités d’accès aux biens critiques, les inégalités hommes-femmes et les violences sexuelles, le racisme, les abus de pouvoir, ou encore les violations des droits humains, persécutions, stigmatisations et discriminations de minorités comme les personnes atteintes de troubles mentaux.

 

Conclusion

La santé mentale reste un sujet tabou en société. Les troubles mentaux sont encore très largement stigmatisés et les souffrances qui en découlent sont dramatiques et trop ignorées. Une prise de conscience générale de l’importance de la santé mentale, pour  l’individu comme pour le groupe, est nécessaire et possible par une sensibilisation massive. En plus d’être primordiale au bonheur de chacun, la santé mentale doit être perçue comme un enjeu social et économique, ainsi qu’une composante essentielle de la démocratie.

Les nouvelles générations sont davantage touchées, en particulier depuis la crise sanitaire et de nombreuses répercussions se feront ressentir dans les années à venir. Il est urgent d’agir, sur le plan national comme international, chez les jeunes comme chez les plus âgés : promouvoir largement la santé mentale et investir massivement dans le secteur de la psychiatrie pourrait être efficace pour réduire les conséquences de la crise sanitaire. Car la santé mentale n’est pas seulement une composante de la santé publique, mais également un puissant levier dans notre capacité à créer de la richesse, à mener le progrès social, à se mobiliser pour un monde plus juste et plus inclusif, à défendre nos droits et libertés, ainsi qu’à s’organiser pour relever les défis majeurs du 21ème siècle.

Références :

  • ONU. Santé : le nombre de personnes souffrant de dépression en hausse, selon l’OMS, 2017
  • OECD. Focus on Health – Making Mental Health Count, 2014 http://www.oecd.org/els/health-systems/Focus-on-Health-Making-Mental-Health- Count.pdf
  • Chesney E., G. Goodwin G., S. Fazel S. Risks of all‐cause and suicide mortality in mental disorders: a meta‐review, 2014 https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/wps.20128
  • Fondation Fondamentale. Etude Prévention des maladies psychiatriques : pour en finir avec le retard français, 2014 https://www.fondation- fondamental.org/sites/default/files/etude_sante_mentale_institut_montaigne_fondament al_2014_1.pdf
  • OMS. Investir dans la Santé Mentale, 2004
  • https://www.who.int/mental_health/media/en/InvMHBr8.pdf
  • Max Bird. Idée Reçue #46 : L’habit fait le viol, mars 2020 https://www.youtube.com/watch?v=8oGNE-Ij-gs
  • OMS. Promoting health and well-being, 2020 : https://www.who.int/activities/promoting-health-and-well-being
  • OMS. Les investissements dans le traitement de la dépression et de l’anxiété rapportent quatre fois leur valeur, 2016 https://www.who.int/fr/news/item/13-04-2016-investing-in-treatment-for- depression-and-anxiety-leads-to-fourfold-return
  • INSERM. Dépression, Mieux la comprendre pour la guérir durablement, 2019 https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/depression
  • Comité Stratégique de la Santé Mentale et de la psychiatrie. Feuille de route de santé mentale et psychiatrie, juin 2018
  • Rezrazi M. Covid-19 et Santé Mentale : Les incidences du confinement sur la Santé Mentale, juillet 2020 https://www.policycenter.ma/publications/covid-19-et-sante-mentale-les- incidences-du-confinement-sur-la-sante-mentale
  • Santé Publique France. Données d’enquête relatives à l’évolution des comportements  et  de  la  santé  mentale  pendant  l’épidémie  de  COVID-19  (COVIPREV), novembre 2020 https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/donnees-denquete-relatives-a-levolution-des- comportements-et-de-la-sante-mentale-pendant-lepidemie-de-covid-19-coviprev/
  • Ministère des Solidarités et de la Santé, La prévention en Santé Mentale, 2018 https://solidarites-sante.gouv.fr/prevention-en-sante/sante-mentale/article/la-prevention-en-sante-mentale
  • OpinionWay. La santé des étudiants et des lycéens, OpinionWay pour HEYME, juillet 2019
  • International Accreditation of Counseling Services. IACS Standards for University and College Counseling Services, 2016
  • Nightline France. Rapport – En parler, mais à qui ?, novembre 2020 https://www.nightline.fr/sites/default/files/publications/2020-11/2020-11-16_Nightline- France_rapport_ETPT.pdf
  • IPSOS. Perceptions et représentations des maladies mentales avec l’urgence sanitaire, l’urgence psychiatrique, focus jeunes 18-24 ans, janvier 202110 https://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/news/documents/2021- 01/ipsos_rapport_fondamental_focus_jeunes_0.pdf
  • ONU. Programme d’action mondial pour la jeunesse, 2010 https://www.un.org/esa/socdev/documents/youth/publications/wpay2010FR.pdf

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